Dans cet essai, Badinter revient sur une pratique qui se développe de plus en plus en France mais aussi partout en Europe : le naturalisme.
Quel est ce courant en vogue et surtout quelles en sont les conséquences et les dérives ? 
Le naturalisme, comme son nom l’indique, remet en avant ce qui est naturel. Ainsi pour la femme qui vient d’accoucher, l’allaitement (durant les 6 premiers mois de la vie, et à la demande) est par exemple l’unique voie du salut pour le bébé. La mère se doit donc de donner son corps, son énergie à son nouveau-né tout en oubliant la femme qu’elle était et en mettant de côté son couple, ce qui pour Badinter revient à un sacrifice qui mettrait en cause le désir de devenir mère.
Outre l’allaitement, certaines pratiques comme le cododo (faire dormir le nourrisson dans le lit conjugal) ou encore les couches lavables accentueraient encore ce sacrifice.
Ainsi pour Badinter, c’est un véritable retour en arrière pour la femme : alors qu’elle avait trouvé une relative émancipation dans les années 70 (grâce au biberon surtout), voici que la femme reviendrait d’elle-même (mais aussi à cause de la crise économique qui a renvoyé bon nombre de femmes dans leurs pénates dans les années 90) à un état antérieur qui lui enlèverait la possibilité d’être l’égale de l’homme.
Au « moi d’abord », nous serions donc repassés au « bébé d’abord ».
La fameuse fusion entre la mère et l’enfant est remise en avant et même prônée. D’où une certaine inquiétude pour Badinter qui dans L’amour en plus remettait déjà en cause le fameux instinct maternel.

Dans une première partie, l’auteur fait « l’état des lieux » en mettant en avant « l’ambivalence de la maternité » : alors que le « moi d’abord » semble faire légion en Europe, la maternité serait donc un défi puisque la femme s’oublie durant de nombreux mois au profit de la mère qu’elle est devenue, et elle remettrait même en cause l’inégalité au sein du couple.
De ce fait, il existerait quatre types de vie de femme : aux deux extrémités, les mères des familles nombreuses et les femmes qui refusent clairement d’avoir un enfant.
La deuxième partie traite de l’offensive naturaliste qui s’est propagée grandement dans tous les pays industrialisés. Selon l’auteur, on retrouverait les arguments d’un Plutarque ou d’un Rousseau qui surent si bien culpabiliser celles qui restaient sourdes à la voix de la nature. Badinter revient alors sur ce phénomène qui a commencé à émerger dans les années 70 lorsque les femmes ont commencé à accoucher chez elle, lassées d’être tyrannisées par des médecins qui les infantilisaient … phénomène qui atteint aujourd’hui son apogée avec la création d’un nouveau métier, celui de « la doula » qui a un rôle essentiellement psychologique puisqu’elle accompagne de façon naturelle la femme enceinte. Alors que ce courant était perçu comme minoritaire auparavant, il revient en force en ce moment puisque même les médecins prônent l’allaitement à la demande ou « jusqu’à plus soif » comme l’écrit l’auteur.
Dans le chapitre « Mères, vous leur devez tout », Badinter revient sur les nombreux bienfaits de l’allaitement, bienfaits mis en avant à outrance selon elle puisqu’ils culpabiliseraient la mère qui ne souhaite pas donner le sein.
Du coup, le nouveau maître à la maison n’est plus l’homme, mais bien le bébé. Aussi, malgré le combat des féministes pour donner à la femme la même place qu’un homme au sein du foyer, voici que c’est la femme elle-même qui met au centre de sa vie son bébé. Au centre, puisqu’elle doit l’allaiter à la demande. Ce qui suppose être à la merci du nourrisson : c’est « l’imperium du bébé ». Et puisque selon les statistiques, l’homme ne s’engage pas plus dans les tâches ménagères, la femme aurait moins de temps pour se consacrer à son image de femme.
Exit la femme, place à la mère aux seins lourds.
Les plus machistes des hommes peuvent se réjouir : la fin de leur domination n’est pas pour demain. Ils ont gagné la guerre souterraine sans prendre les armes, sans même dire un mot. Les tenants du maternalisme s’en sont chargés.
La troisième partie revient alors sur les contradictions qui animent les femmes, tiraillées entre leur désir de plaire et le désir de bien élever son enfant. L’enfant serait alors un obstacle à l’épanouissement.
Conséquences de tout cela : la baisse de la natalité.
Le livre se clôt sur le cas des françaises.

Livre polémique bien-sûr car il émet des idées bien arrêtées et péremptoires.
Le ton est souvent tranché et ne fait pas dans la dentelle. D’ailleurs, lorsque Badinter parle de la Leche League « les oukases des ayatollah de l’allaitement » , c’est à peine si ce n’est pas une secte ! Cette association s’est d’ailleurs vivement retournée contre l’auteur.
Pour ma part, (et puisque je suis en plein dedans, je peux donc « témoigner » …) j’allaite à la demande, oui, cela est fatigant et très chronophage mais je n’ai pas l’impression de m’être fourrée dans un courant sectaire qui m’aliène. Après tout, je l’ai choisi et je peux m’arrêter si jamais je vois que je deviens un zombie. Après tout, je ne suis pas non plus une adepte du masochisme …
Cela dit, il est tout de même intéressant de se pencher sur ce que j’appellerai « une nouvelle féminité ». La femme moderne est habituée à pouvoir régir sa vie de femme comme bon lui semble : elle peut choisir (enfin plus ou moins tout de même) grâce à la contraception la date d’arrivée de son enfant, et elle peut aussi choisir si elle souhaite allaiter ou non. Il existe à l’heure actuelle des laits artificiels proches du lait maternel, et je trouve qu’en France nous sommes loin de culpabiliser la femme qui a choisi de ne pas allaiter.
Je peux comprendre que ce maternalisme puisse effrayer, mais comme pour tout, il convient de prendre la juste mesure de ce qui nous est proposé. En ayant choisi d’allaiter, je ne pense pas faire partie du courant maternaliste. C’est avant tout un choix personnel et dûment réfléchi. J’ai donc regretté que Badinter soit trop généraliste et qu’elle présente l’allaitement comme une nouvelle religion …

Ed. Flammarion, 270 pages, 18 €

Je remercie encore Homaire de m’avoir offert ce livre : ce dernier est tombé à pic car j’ai pu m’interroger sur une façon de vivre que je venais de choisir en allaitant.