L’Estonie est à l’honneur cette année, avec Purge de Sofi Oksanen, mais aussi avec ce premier roman de Katrina Kalda, jeune auteur née en 1980 en Estonie et vivant actuellement en France.
Son premier roman, écrit d’ailleurs en français, invite le lecteur dans les limbes de la création littéraire. Au début, il y a August, homme sans relief, qui rencontre Eerik, riche industriel, homme politique mais aussi directeur d’un journal. Parfois la vie fait bien les choses, et Eerik prend par erreur sous son aile cet homme introverti, et il lui donne même l’opportunité de publier un roman-feuilleton à tendance patriotique dans son journal, un récit qui se déroulerait avant l’indépendance de L’Estonie.
Le vent semble donc tourner pour August. Malheureusement, quand il fait la connaissance de la femme d’Eerik, tout bascule : il vient de tomber irrémédiablement amoureux de l’épouse de son mécène …
L’intrigue racontée ainsi peut sembler convenue. Mais là où Katrina Kalda est très forte, c’est que ce canevas ne lui sert que de prétexte pour créer le véritable héros de notre histoire : lui-même création d’August. En effet, notre homme pâlot aime une femme inaccessible (face à la richesse d’Eerik comment rivaliser ?), aussi il crée Théodore, son double, dans le roman-feuilleton qu’on lui a commandé.
Et voici que commence une double histoire : celle d’August et celle de Théodore. A ceci près que c’est Théodore (le personnage d’August, donc) qui nous raconte l’histoire de son auteur, car il a choisi de se révolter contre son propre auteur …
Outre la poursuite de la femme aimée (Charlotte de la vie réelle devient alors Carlotta) commence alors un enchevêtrement d’histoires : souvent la fiction dépasse la réalité, puisqu’elle est le fantasme couché sur papier d’August, mais parfois Théodore lui-même n’accepte pas ce qu’on lui impose de faire.
Ainsi, Un roman estonien parle bien sûr de l’Estonie, durant une période mouvementée donc riche en évènements, mais ce récit parle aussi de la création littéraire : quels sont les enjeux d’écrire un roman trop proche de la vie réelle ? Cela pourrait-il être fatal à l’auteur ? Et les proches de l’auteur peuvent-ils se rendre compte qu’une partie d’eux est devenue oeuvre de fiction ? Comment peuvent-ils réagir ?
Outre ce jeu de miroirs parfaitement maîtrisé, voici un premier roman à l’écriture un peu désuète. Alors que les phrases courtes et hachées ou encore les retours à la ligne pullulent dans les romans récemment publiés, Kalda est un ovni car elle offre aux lecteurs de longues phrases soigneusement travaillées et puissamment évocatrices.
Une écriture du XIXème siècle en somme.
On sourit de nombreuses fois quand Théodore se moque ouvertement des codes romanesques ou bien quand lui-même détourne ces mêmes codes à l’insu de son créateur, on apprend pas mal de choses sur ce « minuscule pays en pointillés qui disparaît des cartes puis réapparaît ».
Avant d’écrire ce billet, j’ai regardé ce que le net disait de ce premier roman et j’ai été étonnée d’apprendre que l’auteur avait au départ situé l’intrigue dans les années 30, avant de se rétracter et de reprendre son manuscrit pour la placer dans les années 90, après l’indépendance, donc. J’ai été surprise car tout au long du roman, j’ai dû me faire violence pour imaginer que cette histoire se passait à notre époque. A chaque fois, mon imagination me jouait des tours et je plaçais le récit plutôt vers le début du XXème siècle.
Ainsi, peut-être que les personnages de ce roman, à l’instar de Théodore, ont joué un vilain tour à Katrina Kalda, en faisant croire aux lecteurs que l’intrigue se passe au début du siècle … On ne sait jamais vraiment jamais de quoi sont capables les personnages …
Un roman estonien, Katrina Kalda
Broché: 195 pages
Editeur : Editions Gallimard (19 août 2010)
Collection : Blanche
Langue : Français
ISBN-10: 2070129683
ISBN-13: 978-2070129683
Roman lu pour Les chroniques de la rentrée littéraire.