Paco Cortes, auteur de romans policiers, met la touche finale à son dernier roman au moment où un de ses amis frappe à la porte. Paco reste concentré sur son travail : fiction et réalité se confondent souvent quand il écrit. Est-ce dans la réalité que quelqu’un frappe à la porte ou dans son roman ? Il faut dire qu’il met tout le temps un peu du sien en imaginant une intrigue. Ainsi, dans ses romans, il y aura toujours une femme dont le nom rappellera celui de son ex-femme : Dora. Dorothea, Dori, Dorita, Devora : le prénom varie peu.
Une fois son manuscrit déposé chez son éditeur véreux, Paco ira en compagnie de son ami dans un café rejoindre d’autres amis qui forment le Club des Amis du Crime Parfait. Ils sont dingues de romans policiers et adorent parler de ce genre. D’ailleurs, ils ont tous un pseudo évocateur : Sam Spade, Miss Marple, Poe, Maigret, Nestor Burma …
En ce moment, ils aiment établir des points de comparaison entre le crime parfait dans la réalité et celui qu’on rencontre dans les romans : « Règle numéro quatre : le coupable ne peut en aucun cas être le détective, ni un membre de la police. Ce serait une escroquerie aussi vulgaire qu’inacceptable. » Il brandit la main, tous les doigts tendus. « Règle numéro cinq : le coupable doit être démasqué par une série de déductions, non par accident, par hasard ou à la suite d’une confession volontaire, du style : « Monsieur le commissaire, c’est moi, je me constitue prisonnier. » Le cas de Raskolnikov dans Crime et Châtiment est proprement inacceptable, on l’a repéré à l’envi chez les A.C.P …
Alors que ce groupe discute littérature dans ce café, à l’extérieur d’autres fomentent un coup d’Etat. Nous sommes le 23 février 1981 en Espagne, et à cette époque la démocratie est encore bien brinquebalante. Le fantôme de Franco est encore présent à tous les coins de rue. L’Espagne est alors un pays à la cicatrice encore bien rouge.
Bien-sûr, un premier meurtre puis une second viendront perturber la petite vie de chacun des membres du groupe …
Difficile de classer ce roman.
Au début, il s’agirait plutôt du pouvoir de la littérature sur l’homme. Paco est en effet un auteur animé par ses écrits : l’écrivain vivait les dénouements de ses romans avec une intense excitation. Il se rendait bien compte que c’était absurde, mais cela ne le retenait pas : il succombait à ses propres histoires. Il devenait fébrile, ne pouvait tenir en place sur sa chaise plus de cinq minutes d’affilée, il se levait, éclatait de rire, allumait une cigarette alors qu’il en avait déjà une se consumant dans le cendrier, battait des mains, interpellait ses personnages comme s’ils existaient en chair et en os : Tiens, prends ça ! vociférait-il, l’esprit échauffé.
Le narrateur aime mélanger réalité et fiction : ainsi quand Paco entre chez son éditeur, il compare la secrétaire qui le reçoit à un personnage d’un roman gothique : en toute logique, vu l’aspect de la réceptionniste, ils n’en ressortiraient pas vivants. On les assassinerait avant d’aller vendre leurs dépouilles au factotum d’un médecin psychopathe et sans scrupules.
Ces différentes interventions du narrateur donne une petite touche humoristique à l’intrigue. Jamais déplaisant. C’est aussi invraisemblable qu’un Agatha Christie, dit un des personnages à un moment de l’intrigue.
Et puis, c’est aussi une réflexion sur le genre policier. C’est assez étonnant de voir comment un groupe peut discuter des heures sur un genre qui a été si souvent jugé comme mineur. Ce groupe rendrait donc ses lettres de noblesse au roman policier.
Néanmoins, ce roman ne tourne pas seulement autour de ce genre. Avec les meurtres, il plonge en plein dedans. Une belle mise en abyme voit donc le jour.
Et puis, le narrateur prend le temps de détailler chacun des personnages, donnant à chacun une épaisseur certaine. En outre, comme l’action du roman se passe en Espagne durant les années 80, c’est une période historique très riche, et souvent peu utilisée en littérature.
Si jamais vous attendez un roman policier en ouvrant ce livre, vous risquez d’être déçus car l’intrigue policière démarre vraiment très tardivement. Mais selon moi, cette mise en place était nécessaire pour bien comprendre tous les enjeux de ce roman qui ne sont pas seulement liés à une intrigue policière dans les formes.
Voici donc un roman foisonnant qui parle à la fois des codes du roman policier tout en tombant dedans. Original et bien ficelé !
Collection Quai Voltaire pour La Table ronde, 368 pages, 21€50
D’autres l’ont déjà lu : pour Frisette, c’est une belle découverte ; un coup de cœur pour Biblio ; Anneso a passé un bon moment même si elle a été déçue de voir le meurtre arriver si tard ; Choco s’est ennuyée en revanche car elle trouvait que l’action ne démarrait pas assez vite.