Je me souviens d’avoir vu, adolescente encore, une femme sourde
recevoir un Molière. J’avais été impressionnée par ce p’tit bout de
femme …
Le cri de la mouette est son autobiographie : la
mouette, c’est elle, ou plutôt c’est le surnom donné par ses parents
lorsqu’elle était petite. En effet, elle faisait de drôles de bruits,
semblables à ceux d’une mouette.
Témoignage poignant où elle raconte ses débuts difficiles : comment se faire comprendre ? Comment communiquer ?
Ce n’est qu’en 1991 que le langage des signes a été autorisé dans les écoles ! Avant ce langage était interdit. On forçait les mal-entendants à parler.
Extrait :
J’ai
décidé de ne plus rien faire en classe. J’en ai marre de leurs cours,
marre de lire sur des lèvres, marre de m’escrimer à faire sortir des
grincements de ma voix, marre de l’histoire, de la géo, même du
français, marre des professeurs découragés qui n’en finissent pas de
m’engueuler, marre de moi au milieu des autres. La réalité me dégoûte
un peu. Alors je décide de ne plus la regarder en face. Je fais ma
révolution. Passer ma vie à
l’école, c’est ridicule. Les heures les plus importantes de ma vie se
perdent en prison. J’ai l’impression qu’on ne m’aime pas, que je
n’arrive pas à suivre. Et que tout ça ne sert à rien. L’avenir
est quelque chose de mystérieux. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne
veux pas savoir. Je e dis : « On va mettre ça de côté, en attendant. » Et
en attendant, je rêve de voyages, de randonnées illimitées, de voir du
pays, d’autres cultures, d’autres gens. Je rêve de vie. Je n’écoute
pas. Même les erreurs, j’ai envie de les connaître. On a beau me dire :
« Attention à ci, attention à ça… tu vas faire des erreurs. » A
treize ans, je suis contre le système, contre la manière dont les
entendants gèrent notre société de sourds. J’ai le sentiment d’être
manipulée, on veut effacer mon identité de sourde. Au lycée, c’est
comme si on me disait : « Il
faut que ta surdité ne se voie pas, il faut que tu entendes avec ton
appareil, que tu parles comme une entendante. La langue des signes, ce
n’est pas beau. C’est une langue inférieure… » C’est
essentiellement contre cette stupidité que ma révolte gronde. Je l’ai
entendue toute mon enfance ; je me suis tue, jusqu’au moment où cette
sorte de colère a éclaté. A treize ans, j’explose. Je suis contre tout. Je veux mon monde à moi, ma langue à moi, et que personne ne s’en mêle. La
surdité est le seul « handicap » qui ne se voit pas. On voit les gens en
fauteuil roulant, on voit que quelqu’un est aveugle, ou mutilé, mais on
ne voit pas la surdité, alors les autres rêvent de l’effacer,
puisqu’elle n’est pas visible. Ils ne comprennent pas que les sourds
n’aient pas envie d’entendre. Ils nous veulent semblables à eux, avec
les mêmes désirs, donc les mêmes frustrations. Ils veulent combler un
manque que nous n’avons pas. Entendre,
je m’en fous ! Je n’en ai pas envie, ça ne me manque pas, je ne sais
même pas ce que c’est. On ne peut pas avoir envie de quelque chose
qu’on ignore.