formats

Julien Doré, pour ceux qui ne le connaîtraient pas est un chanteur issu de la télé réalité.

Bouuuuuuh, ne jetez pas de suite vos tomates, gardez-les pour vos salades de ce soir plutôt.

Doré ne semble pas être promis à devenir un chanteur kleenex qu’on jetterait au bout de quelques mois. Il a sorti un album pas dégueu du tout. « Ersatz » qu’il s’appelle même.

Cocoon, Christophe et Arno, BabX font partie des artistes ayant contribué à ce que cet album voie le jour. Du bon monde, hein.
Doré est connu pour aimer les surréalistes (je rappelle qu’il est diplômé des Beaux-Arts). Du coup, j’ai regardé de plus près les différentes paroles de l’album …
Voici ce que j’en ai retiré … (pour ceux qui n’auraient pas les paroles sous les yeux, elles se trouvent facilement sur le net.)

Bouche Pute :


Découvrez Julien Doré!

Non, il ne parle pas forcément de sodomie (j’espère que ce mot ne figurera pas trop dans les mots-clés menant à ce blog)… mais plutôt de l’amour violent en général.
pisser sur tes hanches
corps noué aussi ..
l’homme slave aussi (/esclave)
La bouche pute = une bouche rouge comme les putes mais aussi bouche qui appelle le désir.
Amour violent donc jusqu’à la rage.
Mais pas seulement puisqu’il parle de large (cette femme est partie ..
d’où p’tre aussi la putasserie du titre). D’autant plus qu’elle est
passée de De jolie brume à pauvre conne. Que fait-on quand l’autre nous quitte ? Ben on le traite de tous les maux, de tous les noms d’oiseaux …

S’il a détouré son corps à la craie, c’est p’tre pour rendre présente l’absente. Seule la craie peut symboliser le corps absent.
La
fin instrumentale du titre monte crescendo et montrerait à la fois la
violence du sentiment amoureux (physique ou psychique) mais aussi la
peine de cet homme quitté.
Braif pour résumer on a là un homme
quitté qui revient sur une relation très passionnée voire violente …
Rien de bien caché ici. Juste quelques images et jeux de mots mais pas
de double sens pour moi puisqu’il est explicite.

Passons à un autre titre, Acacia :


Découvrez Julien Doré!

Pour « Acacia », si on ne lit pas les paroles, on peut facilement entendre Marie-Jeanne (pitète une réminiscence de Joe Dassin ou une ode au cannabis mrgreen.gif ) Bon c’pas ça, puisqu’il dit
Au nord je /t’ai tuée
. Tant pis. tongue.gif

Cette chanson est jolie comme tout et la voix de Morgane (du groupe Cocoon) s’allie bien à celle de Doré.
Les paroles me font penser à un poème de V. Hugo, surtout la fin du poème surtout.
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

La
bruyère et le houx sont des plantes vivaces et persistantes et la
bruyère en fleur symbolise la vie. Le poète montre ici que la mort
n’est finalement pas une fin, qu’elle mène vers une renaissance.
Ben
dans la chanson de Doré, on a la même chose avec l’acacia. Cet arbre
dans plusieurs cultures est le symbole de l’éternité, de l’immortalité.
Belle antithèse dans la chanson donc, puisqu’il la tue mais sous un
arbre symbolisant l’immortalité.

Pour les fleurs en papier, on peut au choix penser à Sayonara d’Hervé Villard mrgreen.gif

Mais le doute m’habite … il faut tout de même signaler que la première phrase de Villard est Je vais quitter ton jardin de fleurs en papier. Ah oui tout de même .. l’influence est manifeste.  uhuh.gif

Bon sinon, « les fleurs en papier » montrent au contraire le côté éphémère des choses. L’antithèse est toujours présente.

Néanmoins ces antithèses accentuent paradoxalement une (ré)union  : le nord / le sud, la vie/ la mort, fugacité / éternité.
Belle alliance des contraires, le tout ordonné par une Nature personnifiée. Chanson très proche du mouvement romantique. Finalement Doré se crée une religion, lui qui se dit athée dans la chanson
Je n’ai même pas prié car je rappelle que l’étymologie de religion est re-legere =  » ce qui lie deux choses ». 


Allez, une dernière chanson, Piano Lys ; elle m’plaît bien celle-là.

 


Découvrez Julien Doré!

Là l’influence surréaliste se voit bien mais on peut même étendre ses influences à toute la première moitié du XXème…
Doré a choisi d’associer des images assez éloignées les unes des autres ; comme l’a dit Reverdy (poète surréaliste) L’image ne naît pas d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Ben là nous sommes en plein dedans.
Finalement il ne fait que « sculpter les opposés » comme il le dit dans son titre « Figures imposées ».

« Je peins la langue bleue de Cézanne ». 

Cézanne n’était pas un mouton (cf la maladie de la langue bleue qui touche les moutons),
mais un peintre qui aimait le bleu. D’ailleurs à cette époque là, cette
couleur inspire pas mal d’artistes. Cézanne a produit pas mal d’oeuvres
avec une dominante de bleu, Matisse ( avec son Nu bleu), et Eluard
aussi avec son fameux « la terre est bleue comme une orange ».
Pourquoi peindre une langue ? P’tre pour montrer qu’avec cet album il donne de la couleur aux mots ?
A cette couleur primaire vient s’en ajouter une autre : le rouge (le fer rouge pivoine). Autre couleur fétiche des fauves. L’a pas fait les Beaux-Arts pour rien le Doré. tongue.gif

Ajoutons à cela des jeux de mots  : il joue avec nos attentes afin de mieux les briser.
Quand il dit qu’il trace en large, il omet le « en long », mais on le retrouve à la phrase suivante Qui me remonte le long. L’attente de l’oreille est comblée et le jeu de mots est crée.
Au début du titre, on entend les larmes de tous tes fonds
… alors que normalement on aurait dû s’attendre « aux lames de fond ».
Sonorités proches mais sens différent, et bing l’image dans nos
cerveaux est décuplée. Ces larmes prennent l’ampleur des lames de fond.

Et c’est là qu’on voit une autre influence manifeste. Le titre
« Piano Lys » est une référence directe au pianocktail de Boris Vian. Et
que fait ce pianocktail ? Ben il fait de la musique et de l’alcool. Ah
ben tiens, on retrouve notre trait d’absinthe qui figure aussi sur cette chanson. Alcool dont raffolaient les artistes de la fin du XIXème.

L’ensemble est donc très mélancolique  : le bruit des baleines sûrement, mais aussi un réseau de mots très sombre comme lames, exportes (on part d’un endroit), la porte qui ferme un accès, et le virage derrière lequel on ne sait pas ce qu’on va trouver.. .
Et
je suis certaine qu’il y aurait encore des choses à dire. Par exemple,
loin de se limiter aux paroles, les instruments eux aussi s’allient. Le
piano, le clavecin, mais aussi un bruit en fin de titre qui pourrait
faire penser à un cétacé. Le tout mixé à de l’électro. Belle alliance.
Les synesthésies baudelairiennes ne sont pas loin.

De jolies influences dans cette chanson dont Julien s’est servi pour enfanter un bel album. Alors oui bien-sûr, les détracteurs disent qu’il n’a rien crée, que l’ensemble ne ressemble qu’à un patchwork d’influences. Ben je leur dirai qu’en littérature, copier un artiste fait partie du lent processus de création. Je ne citerai que Rimbaud dont les premiers poèmes ne sont que des topoï romantiques.

Je ne compare pas Doré à Rimbaud, je dis juste que cette démarche de copier autrui est nécessaire pour un artiste.