Commentaires sur L’écume des jours de Boris Vian

Alors par où commencer ? Y a tellement de choses à écrire que mes neurones patouillent.
L’écume des Jours est l’histoire de Colin, tombé follement amoureux de Chloé (dont le nom lui rappelle un célèbre morceau de Duke Ellington); mais aussi celle de Chick dont le cœur balance entre Alise et Jean-Sol Partre. Au début de l’intrigue Colin vit dans un appartement lumineux, avec son cuisinier Nicolas et une souris qui pourrait très bien sortir d’un Walt Disney.

Colin a des occupations tout à fait normales pour un garçon de 22 ans puisqu’il va à la patinoire avec ses amis … mais ne vous fiez pas aux apparences très singulières de ce résumé. Ce roman (ce conte ?) sort tout droit d’un cerveau amateur de jazz cinéphile à l’imagination débordante (et aussi pataphysicien). Ainsi la scène de la patinoire est loin de ce que nous, pauvres humains, nous pouvons vivre à la patinoire du coin. Avez-vous déjà vu des varlets-nettoyeurs ? Ces hommes ont la lourde tâche de nettoyer les patineurs qui se sont écrasés sur la piste. Où les emmènent-ils ? Vers le trou à raclures. Violent et complètement burlesque.

Est-ce l’œuvre d’un artiste visionnaire ? Oui mais visionnaire de quoi ? Artiste atemporel ? On peut dire ça, oui. Au cours de ma lecture, si je n’avais pas su que cette œuvre avait plus de soixante ans, j’aurais parié qu’elle venait d’être publiée tant les images développées glissent sur le temps comme l’eau sur les plumes d’un canard.
Pourtant j’ai déjà lu ce roman quand j’étais au collège et j’avais détesté. Cette vision du monde était pour moi complètement absurde (et elle l’est ! ) et j’avais lâché le livre avant sa fin. Je pense savoir pourquoi … En fait, je n’avais pas été avertie que le livre que j’ouvrais ne ressemblait à aucun autre.

Le monde de Colin oscille entre réalité et fiction, comme si ce monde était vu à travers un prisme. Ainsi Colin se rend à son mariage dans un wagon semblable à celui du train-fantôme, Chloé a du mal à respirer à cause d’un nénuphar logé dans un de ses poumons, Jean-Sol Partre est un philosophe égocentrique et Jésus baille face aux supplications de Colin. Y a de quoi être dérouté. Surtout que cette déformation ne s’arrête pas là.

A l’instar du monde, le langage est lui aussi déformé. L’écriture de Vian est riche d’images, de jeux de mots. Queneau n’est pas loin, tout comme Rabelais. Ainsi  « le lance-pierres » est vraiment un outil pour pouvoir manger, Chick « bave » réellement « de convoitise » ;  les bonnes sont « presque à tout faire »; La Nausée devient  le Vomi , sans oublier le fameux pianocktail …

De quoi en laisser plus d’un sur le carreau.

Musique de la langue, mais aussi musique tout court avec le jazz. Je ne pourrai pas tous les citer, mais on croise au fil des pages Ellington, Armstrong, Johnny Hodges … le personnage Chick fait furieusement penser à Chicago, capitale du jazz. Et ce mot lui-même est disséminé dans pas mal de phrases. Comme l’illustre l’extrait suivant :

– Suppose, dit-il à la souris, en s’asseyant sur le rebord de la baignoire rectangulaire d’émail jaune pour se rapprocher d’elle, que je trouve chez les Ponteauzanne mon vieil ami Chose.

La souris acquiesça.

Suppose, pourquoi pas, qu’il ait une cousine ? Elle serait vêtue d’un sweat-shirt blanc, d’une jupe jaune, elle s’appellerait Al … elle s’appellerait Onésime.

La souris se croisa les pattes et parut surprise.

Etonnant, hein ! Et j’ai pris cet extrait au hasard …vrai de vrai. 
 

De plus, la structure du roman est travaillée comme une partition de musique. Le dernier chapitre sonne le glas du roman. C’est le soixante-huitième. Le trente-quatrième est celui de l’annonce de la maladie de Chloé et le dix-septième celui du mariage de Colin et de Chloé. Une telle coïncidence ne peut pas être fortuite.

L’écume des jours est donc une œuvre à part que je ne peux que conseiller de lire. Dépaysement garanti.

Comme j’aurais aimé être à cette table : Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Michelle la première femme de Vian et Simone de Beauvoir. 

Je vous laisse en compagnie de Duke.


Découvrez Duke Ellington!

Leiloona
Épicurienne culturelle, je sillonne villes, pays et musées, toujours un livre dans mon tote bag ... Chaque lundi, je publie mes textes dans un atelier d'écriture basé sur une photographie que j'anime depuis 5 ans. Museo geek l'hiver, sirène l'été. J'aime les bulles, le bon vin et les fromages affinés. View all posts by Leiloona →

9 commentaires

  1. Je dois l’avoir au moins en cinq exemplaires, un de mes favoris, un compagnon de route de trente ans au moins
    J’en ai quelques uns de Boris et des Vernon Sullivan aussi
    Et fasse qu’on n’oublie pas davantage que Boris était un excellent musicien.
    Mais tu as raison Leil, c’est un livre qu’il faut reprendre régulièrement, à chaque changement de dizaine, on lit autre chose.

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  2. Eh ben, tu l’aimes d’amour, ma Lolo.

    Je le ferais bien découvrir aux morpions d’ailleurs … peut-être en fin d’année. Je vais y réfléchir : on ne peut pas leur balancer « l’écume des jours » sans les prévenir, le choc serait brutal.

    @ Karine : c’est exactement ça.

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  3. Un livre unique, en effet. Cette poésie déroutante, je l’ai aimée moi aussi. Ton article est très intéressant : n’étant pas férue de jazz, je n’avais pas fait attention à toutes ces subtilités.
    L’univers de Boris Vian n’est semblable à nul autre : entre humour et violence, la poésie se faufile partout. Omniprésente, elle n’enraye en rien le tragique des récits mais elle nimbe cet univers d’une beauté atemporelle.

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  4. Oh que oui, ce livre traverse le temps sans vieillir. J’aurais pu écrire un billet bien plus long, tant cette œuvre est riche ! Difficile de ne parler que de l’essentiel.

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  5. c’est un grand classique qui nous a été imposé au cours de français (il y a trente ans déjà, mais les classiques sont immortels, n’est-ce pas). J’ai aprécié le côté déjanté du récit et de l’écriture, déjà, à l’époque!

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  6. Quand je l’ai lu pour l’école, je ne l’ai pas aimé … et l’an dernier je l’ai adoré. Comme quoi !

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  7. Ping : En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut | Bric à Book

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