Commentaires sur Le voyage dans le passé de Stefan Zweig

Sur le quai de la gare de Francfort, Louis n’entend pas les bruits mécaniques et sourds qui l’entourent. Tout son être est tourné vers celle qu’il attend. Bientôt il la voit, et c’est le sourire aux lèvres qu’il la rejoint. Voilà neuf ans qu’il espérait voir ce jour arriver. Neuf ans qu’il avait fait la connaissance de cette femme.
Dès les premiers regards échangés, Louis avait su qu’il était tombé sous le charme de cette femme à l’allure parfaite. Mais ce sentiment rencontrait un opposant de taille : cette femme était mariée à son patron.
Toute liaison était alors impossible, mais la seule vue de cette femme pouvait rendre Louis heureux.
Ce fut une demande de son patron qui perturba singulièrement le cours des choses. Celui souhaitait ardemment envoyer Louis résoudre une mission délicate au Mexique. Le jeune homme, mû par une certaine ambition accepta sur-le-champ, avant de comprendre -mais un peu tard- que ce voyage l’éloignerait de sa douce.
Commence alors une longue séparation. Louis ne se doutait pas alors qu’elle durerait neuf ans.

En une centaine de pages, le lecteur se trouve propulsé au centre d’une chaste histoire d’amour bridée par les conventions du début du XXème siècle. Du premier regard échangé aux premières angoisses liées à la situation, les sentiments de Louis sont décrits avec une justesse qui fait penser aux romanciers du XIXème.
Comment ne pas y songer quand naît cet amour entre ce jeune homme sans le sou et cette femme riche et plus âgée ? Louis ne fait-il pas là son éducation sentimentale ? Aux effluves flaubertiennes de cette nouvelle s’ajoute l’ambition stendhalienne de Louis. Mais les comparaisons s’arrêtent là car il n’y a rien d’ironique chez Zweig et l’ambition ne fait aucun ravage. En outre, chez Zweig, l’Histoire (avec un grand H) est toujours omniprésente, et peut-être le réel message de l’œuvre est-il situé ailleurs que dans cette histoire d’amour …

Le thème du récit est donc de montrer quel est l’impact du temps sur l’amour, le tout sur fond de première guerre mondiale. Le sentiment amoureux ne s’étiole-t-il pas avec le temps ? N’est-ce pas une vaine chimère ? Mais aussi comment l’amour peut-il encore survivre alors qu’autour la guerre fait rage ?
Et c’est là que je tire mon chapeau (que je n’ai pas) à Zweig car il excelle dans la description psychologique du sentiment amoureux. Là où j’aurais pu être agacée par ce torrent d’amour, j’ai été séduite. Je crois que le charme tient en grande partie à l’écriture de Zweig. J’ai souvent relu les phrases pour leur belle cadence (A ce propos, je remercie Baptiste Touverey pour son excellent travail de traduction. Bien que l’édition possède la version originale en allemand, je n’ai pas pu la lire car la langue de Goethe est un labyrinthe impénétrable pour moi.)

Cette nouvelle inédite de Zweig vient d’être traduite en français, vous auriez tort de passer à côté de ce joli bijou finement ciselé. Dès ce billet terminé, je cours ouvrir mon recueil des Fêtes galantes de Verlaine.

Chez Grasset, 173p, 11 €

Fashion elle aussi aime Zweig et Verlaine, Lily aussi a été bercée par ce récit et Alwenn a été conquise (d’ailleurs elle aussi a trouvé qu’il y avait du Stendhal et du Flaubert dans cette nouvelle.)

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34 comments

  1. bel gazou says:

    Alors toi aussi! decidement on le voit partotu et à chaque fois il me tente un peu plus! aprce Zweig , parce que le sujet et parce que la couverture;…

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  2. fashion says:

    Une très belle nouvelle! Je me suis aperçue que je n’avais pas lu « Les très riches heures de l’humanité » de Zweig. Il faut que j’y remédie fissa. (oui, aucun rapport, tant pis)

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  3. Stephie says:

    Aah ! j’ai dit que je devais combattre mes pulsions et ne plus rien acheter (suis rentrée avec 9 livres hier…), mais celui-là me tente trop à s’afficher partout ainsi.

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  4. Leiloona says:

    @ Bel Gazou :
    Oui moi aussi ! Il était dans ma PAL depuis 3 semaines, et j’avais furieusement envie de le connaître. Je ne suis pas déçue une seconde !

    @ fashion :
    Quant à moi, il s’agit de « La Confusion des sentiments ».

    @ Stephie :
    Il se lit vite car les 174 pages contiennent la version allemande. Yapluka !

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  5. keisha says:

    C’est un Zweig , donc … je pense le lire ! je sors de La confusion des sentiments et je suis accro à cet auteur.
    Mais pas encore vu ce dernier livre, soyons patients!

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  6. Leiloona says:

    Keisha, je suis allée voir ton blog, mais je n’ai pas trouvé ton billet sur « La Confusion des sentiments » : tu ne l’as pas encore écrit ?
    Je suis comme toi : même si j’adore un auteur, je n’arrive pas à enchaîner deux livres d’un même auteur. Il faut que mes yeux goûtent un autre style entre temps.

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  7. Clarabel says:

    Quelle conspiration !!!!
    J’ai bien compris qu’il ne fallait plus que je passe à côté.
    Tiens, j’apprends aussi par ton blog-it que le Québec faisait partie des DOM-TOM ! Ah bon ?!

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  8. Leiloona says:

    Et oui, c’est une conspiration !
    Il y a même un message subliminal quand tu lis mon billet.
    On peut y lire:
    « Clarabel, lis ce livre, Clarabel, lis ce livre. »
    Je suis à peut près sûre que l’histoire et le style te plairont.

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  9. souslesmots says:

    Ah celui là je l’ai acheté pour les fêtes je l’ai commencé mais sans vraiment parvenir à entrer dans l’histoire ni m’attacher aux personnages :/ Pourtant c’est un auteur que j’apprécie particulièrement..peut-être y remettrai je le nez dans quelques temps !

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  10. Alwenn says:

    J’ai vraiment beaucoup aimé aussi ! La comparaison avec Stendhal m’a tout de suite sauté aux yeux : comment ne pas y voir comme Julien Sorel se présentant la première fois devant Mme De Rênal quand Louis arrive dans la maison de son patron ? Pour Flaubert, c’est un peu Baptiste Touverey qui me l’a soufflé, mais après coup, bien sûr, me suis-je dit ! Les accents flaubertiens sont bel et bien là. Mais comme tu le dit si bien, la comparaison s’arrête là. Le reste n’appartient qu’à Zweig, et brillamment ! Mais je peux aussi comprendre la réaction de souslesmots : au départ, j’ai eu beaucoup de mal à être touchée par le personnage de Louis… Mais ensuite, on se laisse vraiment emporter… Très belle nouvelle, vraiment.

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  11. Leiloona says:

    C’est « marrant », je n’ai pas été agacée par l’ambition de Louis. Je trouve qu’elle s’efface vite devant l’idylle naissante des deux personnages principaux.
    Tout comme toi, j’ai davantage pensé à Julien Sorel qu’à Frédéric Moreau.

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  12. Stephie says:

    Ce qui est rigolo, c’est que quand j’ai lu son recueil de nouvelles « La peur », il m’a fait l’impression heureuse d’un de ces auteurs du XIXe avec un quelque chose de novateur.

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  13. saxaoul says:

    ça fait bien longtemps que je n’ai pas lu Zweig. Pourtant, au lycée, je dévorais ses livres… C’est peut être l’occasion de retourner vers cet excellent auteur.

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  14. Leiloona says:

    @ Stephie :
    C’est exactement ce que je pense de lui.

    @ Saxaoul :
    C’est une belle occasion, oui.

    @ Brize :
    Voilà !
    Cette nouvelle convainc pas mal de monde.

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  15. Laurence says:

    Je l’avais découvert chez Mademoiselle Curieuse et je me félicitais d’un Zweig non lu. De mes nouvellistes tant aimés, Zweig était en tête. Ce soir, point de Zweig à la librairie amie mais elle l’a commandé (la tête du banquier et on est en début de mois, aaargh !)
    Comme tu ne me l’as pas demandé, je le dis quand même mais parmi mes nouvelles préférées chez Zweig, se trouve en très bonne place « Lettre d’une inconnue », quelle magistrale leçon d’amour !

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  16. Leiloona says:

    Ce sont tes lectures pour « ELLE » qui te prennent tout ton temps ou le vilain virus de la grippe ?
    Je te souhaite d’avoir du temps pour tes envies de lecture.

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  17. souslesmots says:

    Leiloona > En vérité je suis incapable de te dire..je suis restée extérieure complètement détachée du truc.

    Mais en parallèle je lisais le coeur cousu et dalva..et ma foi, zweig n’a pas fait le poids ! je relirai plus tard je pense.

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  18. Nanne says:

    Que celle qui ne tombe pas sous le charme de l’écriture de Zweig me lance la 1ère pierre, Leiloona … C’est un auteur hors du commun. Et ce court roman en est une nouvelle preuve !

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  19. Karine :) says:

    Je l’ai lu en début de semaine (je ne sais plus trop quand mon billet sera publié, aujourd’hui ou demain, je crois) et j’ai littéralement adoré. En effet, en plus de l’histoire d’amour, il y a un autre message qui se pointe, juste un peu mais qui me semble significatif. Encore une fois, les mots de Zweig m’ont carrément emportée!!!

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  20. Leiloona says:

    @ Dominique :
    Ou alors si tu maîtrises bien l’allemand, tu peux redécouvrir ce récit dans sa langue originale.

    @ Sous les mots :
    Roouh « Le Coeur cousu » et « Le voyage dans le passé » ont des écritures bien différentes, peut-être est-ce pour ça que tu n’as pas adhéré à l’histoire. Cela dit, certains lecteurs peuvent aussi ne pas aimer cette histoire d’amour.

    @ Nanne :
    Je connais pas encore assez Zweig … Chouette, de belles lectures en perspective.

    @ Karine
    Oui, oui ce second message du roman n’est vraiment pas à ignorer, surtout de la part de Zweig.

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  21. Leiloona says:

    J’ai oublié de répondre à Aifelle.
    (Screugneugneu)

    Connaissant un peu ton univers grâce à ton blog, je pense que tu aimeras cette histoire.

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  22. lael says:

    très bon billet! très appréciable, pour un livre qui se doit d’être lu!! mais un peu plus tard quand il sortira en poche!

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