Il règne à Massaba une effervescence particulière. Le roi Tsongor est sur le point de marier sa fille Samilia avec Koumane, le prince des terres du sel. Pour l’occasion, des caravanes entières chargées d’épices et de présents s’agglutinent aux portes de la ville. Ils ont tous le cœur tourné vers cette fête. Tous sauf un. Katabolonga, le porteur du tabouret d’or du roi, s’est réveillé avec un étrange pressentiment. C’est aujourd’hui qu’il devra accomplir une parole prononcée il y a des lustres.
Parole ô combien funeste !
Voici des années, alors que son peuple venait d’être décimé par Tsongor le guerrier, Katabolonga s’était approché de Tsongor et lui avait prédit qu’il le tuerait car la vie du roi lui appartenait.
Ce fut ce jour-là que Tsongor avait cessé de conquérir des terres, ce jour-là qu’il avait cessé de tuer pour agrandir son royaume, ce jour-là qu’il avait proposé à Katabolonga de devenir son porteur.
Le temps avait fini par rapprocher ces deux êtres, il avait fait d’eux des amis.
Katabolonga avait peu à peu oublié ses paroles funestes, mais c’était sans compter la fatalité qui point son nez au moment où on l’attend le moins.
D’ailleurs en cette veille du mariage, rien ne se passe comme prévu.
Un étrange visiteur arrive et annonce au roi que Samilia lui revient. Ce n’est pas avec le prince des terres du sel qu’elle doit se marier, mais avec lui ! Sur le haut des collines, son armée attend, prête à entrer en guerre s’il le faut !
Tsongor est perdu. Quoi qu’il fasse, une guerre aura lieu. S’il donne sa fille à Koumane, ce visiteur lancera son armée contre Massaba, et s’il se plie à la volonté du visiteur, le prince sera outragé.
Alors Tsongor préfère prendre une décision radicale : mourir pour obtenir des deux prétendants du temps. Mourir pour éviter une guerre. Qui oserait prendre les armes un jour de deuil !
Mais avant de réaliser cette irréversible action, il confie à son plus jeune fils une mission de la plus haute importance. La mission d’une vie.
Dès les premières pages du livre, j’ai su que le livre avait tout pour me parler. Même si le contenu rappelle de grandes œuvres antiques telles L’Iliade d’Homère ou encore les Sept contre Thèbes d’Eschyle, ce roman possède son entité propre. Nul besoin d’avoir suivi un cursus de lettres classiques pour apprécier ce livre (d’ailleurs les lycéens ont encore une fois eu bon goût en lui décernant le Goncourt en 2002). Ainsi dès les premières pages, j’ai reçu de plein fouet le souffle d’une écriture puissante.
L’annonce de la mort du roi montre par exemple à quel point le style est travaillé. C’est un véritable petit bijou aussi bien sur le fond que sur la forme :
Le deuil enveloppa Massaba d’un coup. La nouvelle de la mort du roi Tsongor se répandit dans toutes les rues, tous les quartiers, tous les faubourgs. Elle sortit de l’enceinte et courut jusqu’aux collines nord, où elle parvient à Sango Kerim. Elle emprunta la grande route dallée du Sud et vint au-devant du cortège de Kouame. D’un coup, tout cessa. Cette journée changea de visage. Les robes et les apprêts du mariage disparurent et firent place aux tuniques de deuil et à leur grimace. Samilia fut terrassée. Son esprit chavira. (…)
Même si l’action se déroule vraisemblablement dans une Afrique imaginaire, Samilia semble bien être, pour son malheur, la réincarnation d’Hélène de Troie. Le sacrifice de Tsongor est quant à lui comparable à l’état d’esprit de Socrate au moment où il prit la ciguë : lucide et résolu. Et que dire des guerriers postés sur les collines de Massaba ? Ils possèdent tous la rage d’en finir avec l’ennemi.
Exit le ton élégiaque, place à la guerre !
Et quelle peinture de la guerre ! Ces hommes sont tous animés d’une colère qui ferait pâlir Achille ! Certains mâchent une herbe pour endormir le peu de sentimentalisme qu’ils possèdent, d’autres se maquillent comme des femmes pour montrer à leurs ennemis à quel point ces derniers sont faibles ! Tous ces guerriers possèdent une caractéristique bien spécifique que le narrateur s’est plu à décrire. C’est un véritable tableau envoûtant qu’il est donné à voir aux lecteurs.
Je suis sortie de cette lecture à la fois exsangue et envoûtée par ce chant de la mort.
Mais la force de ce récit épique ne s’arrête pas là. Si Homère s’est arrêté aux combats entre les troyens et les grecs, Gaudé va plus loin. En marge de ces combats, le plus jeune des fils Souba poursuit la mission fixée par son père, donnant au lecteur la possibilité de se reposer de ces combats sanguinaires. L’histoire de Souba est quant à elle très touchante car c’est un personnage en devenir, un personnage qui fait l’apprentissage de la vie.
Ainsi ce sont deux histoires fortes qui se déploient dans ce récit. L’une porte la mort, l’autre la vie. Deux histoires envoûtantes que l’écriture de Gaudé magnifie.
Ed. Livre de Poche, 219p, 6€50
Je n’ai pas lu ce livre là qui passe donc immédiatement sur mon impressionnante LAL. (quand je la regarde, j’ai peur…)
Mais sur une île déserte, c’est sûr, je pars avec « Le soleil des Scorta », mon tube de rouge à lèvres, des fois que… et quelques autres bouquins.
Belle critique une fois encore, qui donne envie de dévorer ce livre tout de suite;
Laurence, je vais donc lire « Le soleil des Scorta » avant l’été, maintenant c’est décidé.
Je crois que mon prochain achat de Gaudé sera le « Soleil des Scorta ». Et peut-être lirai-je aussi « La porte des Enfers » … bien entourée et sous le soleil, le roman aura peut-être moins d’impact sur moi ?
Moi aussi ma LAL me fait peur … mais elle me fait super envie aussi !
@ Stephie :
Je n’ai pas trop poussé la comparaison car il y en aurait à dire ! Peut-être Gaudé a-t-il du sang homérique en lui ?
@ Manu :
C’est « marrant » car moi c’est cette porte des enfers qui me fait peur. 
Merci !
Les combats n’ont rien de tendre, et même si certains étaient violents, je n’ai jamais plissé mon nez en signe de dégoût.
@ Sabbio :
Si je transmets mon amour pour ce récit, alors j’ai réussi le billet.
J’espère que le roman te plaira.
)
Merci à toi.
C’est un style fort, je comprends qu’on puisse ne pas aimer. Il y a des moments plus propices que d’autres pour découvrir cet auteur.
@ lepetitmouton :
)
J’espère que tu aimeras.
@ Neph :
Eschyle et tous les tragiques grecs. Vraiment. Il y a du fatum dans ce livre. Et les portraits de tous les personnages … un délice !
@ Lael :
)
Oh, je te remercie, c’est gentil.
Je lirai ton billet sur on porte sur « la porte des enfers ». On me l’a déconseillé car l’histoire est assez morbide … mais peut-être le tenterai-je.
@ Kathel :
Oui, apparemment c’est aussi une œuvre forte. Je ne connaissais pas encore cet auteur et je suis vraiment tombée des nues dès les premières pages.
« Le soleil des Scorta » sera mon prochain Gaudé !
@ Mimienco :
Je continuerai par « le soleil des Scorta » puis peut-être « La porte des Enfers » … même si le sujet semble très difficile.
@ Gambadou :
Je commence à connaître tes goûts et que tu aimes Gaudé ne m’étonne pas.
Merci !
@ fashion :
Bon, je tenterai, histoire de me faire un avis. 
Ah mince alors.
@ EmiLie :
Ah, ah ! Je vais aller voir ton blog plus en détail alors !
@ Calypso :
Dans ta pal ? Alors plus aucune excuse !
Le meilleur pour moi.
Pas spécialement apprécié ce Lessing là du reste, mais bon…
Le Goncourt des lycéens est une valeur sûre pour moi. Je leur fais confiance.
@ Lolo :
)
Ah, chouette !
Je ne connais pas Lessing en revanche. :/
@ Yueyin :
Je ne sais pas vraiment si c’est le même style que dans « Le soleil des Scorta », mais dans ce roman l’écriture est vraiment puissante.
Je vais aller lire ton billet sur « La porte des Enfers » : c’est un livre qui m’intrigue énormément. Mais j’ai peur de plonger entièrement …
Je suis complètement d’accord avec toi : son écriture m’a moi aussi transportée !
Merci ! Je continuerai ma découverte avec « Le Soleil des Scorta », mais peut-être le connais-tu déjà ?
Dieu, quelle éblouissante lecture !!!! Et comme je te remercie ainsi que Stephie.
J’ai eu mal, j’ai eu froid, j’ai eu chaud, j’ai aimé de la première à la dernière ligne, et justement à la dernière ligne, je me suis surprise à appeler doucement Samilia, à lui dire que quelque part, Souba l’attend et qu’elle aussi pourra reposer en paix dans son palais.
Woaow, je sens qu’il va m’être difficile de passer à une lecture suivante.
J’ai un Harlan Coben sous la main, peut être qu’un polar bien vendeur ?
Encore merci Leiloo et Stephie pour ce moment de grâce.
La fin qui se termine par ce point d’orgue est magnifique (mais tout l’est dans ce livre.)
(Et je suis contente car tu es revenue ici avant 2032 ! Ou alors j’ai dormi longtemps.
Et tu comptes continuer la découverte de cet auteur ?
C’est mon prochain Gaudé !
Mon préféré de l’auteur et un de mes coups de coeur en littérature
lu il y a quelques années conseillé par une amie bibliothécaire. J’ai vraiment beaucoup aimé.