Oksana monta avec difficulté les quelques mètres qui la séparaient du haut de la falaise.
Le vent de face s’acharnait à ralentir sa marche, mais le spectacle de la mer déchaînée valait bien cette petite souffrance. Un pas après l’autre, lentement mais assurément, elle parvint en haut.
Le spectacle des vagues fut saisissant. La mer rejetait sur le sable une écume jaunâtre.
Une purification bien vaine, mais indispensable.
Au-dessus de cette masse en furie, des mouettes tournoyaient et semblaient se moquer de la tache ardue de la mer.
Oksana inspira une grande bouffée d’air pur et bloqua sa respiration, visage levé vers un ciel nuageux.
Très vite la jeune femme plongea dans des souvenirs lointains. Une épuisette, des bottes en caoutchouc, un chapeau jaune, un père avec un petit seau. Son père.
De lui que restait-il ?
Pourquoi la mer avait-elle sur Oksana un tel impact ? Pourquoi le passé remontait-il à chaque fois à la surface ? Était-ce son écume jaunâtre à elle ?
En fermant les yeux, quelques bribes étaient là, perceptibles.
Ne pas ouvrir les yeux, replonger dans le passé et retrouver des sensations perdues.
C’est d’abord l’odeur de la cire qui remonta. Lors de toutes les fêtes de Pâques, le rituel était le même. Après avoir évidé l’œuf, il fallait appliquer de la cire fondue sur la coquille afin de protéger des parties de la prochaine teinture. Maladroite au début, Oksana était devenue assez habile au fil des ans. Les pyssanky, ces œufs peints, étaient un jeu pour elle. Elle ne savait pas encore que c’était une tradition qui célébrait le renouveau et la vie.
Une fois le dessin terminé, il fallait encore plonger l’œuf dans une teinture. La couleur rouge était sa préférée. A côté d’elle se tenait toujours sa grand-mère. Regards protecteurs et main prête à intervenir en cas d’accident. Dans la cuisine, on préparait déjà le panier. Du sel, du beurre et des mets que le prêtre bénirait lors de la messe.
Oksana sourit.
Qu’il était loin ce temps !
A Pâques, c’est à peine si aujourd’hui elle mangeait du chocolat. Malgré tout, ce souvenir lui appartenait. Même si la religion était sortie de sa vie, elle continuait d’aimer ces anciens préparatifs lors de la fête pascale.
Après la cire, ce furent les paroles de son grand-père qui échouèrent en elle :
– Krystos Voskres !
Ces paroles ukrainiennes célébraient la résurrection du Christ. Paroles qui étaient toujours suivies d’un « Voyistynou Voskres ! » montrant que le message était accepté. Pour Oksana, c’était un jeu auquel elle se pliait volontiers. Elle qui ne comprenait pas cette langue aimait voir les yeux de son grand-père briller de fierté quand elle lui répondait en ukrainien, s’appliquant à bien rouler les R.
La tradition avait été respectée, la filiation était là, palpable.
Où était-elle aujourd’hui ?
La cire était rangée dans un tiroir, les œufs servirait sûrement à une omelette et personne ne dirait Krystos Voskres.
Et Oksana eut honte.
Honte car elle n’avait pas su garder le flambeau allumé, honte car à Pâques elle ne faisait rien. Certains auraient même pu dire qu’elle avait trahi ses parents.
Alors, pour panser cette blessure ouverte, la jeune femme se leva, ouvrit les bras et cria à la mer la formule du passé, certaine que quelque part elle serait entendue.
Leiloona, le 19 avril 2009
J’adore ce texte. Si si bien écrit comme toi seule sait faire danser les mots qui entrent en nous sur le bout des pieds pour s’imprégner dans notre coeur.
Merci.
(Et merci encore pour le blog-it : je ne suis jamais sous IE, donc je ne savais pas que Firefox ne prenait pas en compte certains paramètres du blog-it.)
@ Diane :
)
Merci Diane. Oui, il y a des coutumes profondément ancrées en nous qui remontent un jour, au détour d’un mot, sans crier gare … étrange.
J’aime beaucoup l’image que tu viens d’utiliser
(Pour embêter le monde, voici que maintenant c’est moi qui ne lit plus ton blog-it ?! Les caractères sont ultra-minuscules. Aucune idée de la version sous laquelle je suis…)
La thématique, l’écriture, le rythme et la douce nostalgie/mélancolie qui l’imprègne me touchent et puis cette ambiance et langue slave me plaisent aussi.
C’est fort et beau Leiloo, c’est aussi profondément émouvant, je suis très Ukrainienne aujourd’hui
Большое спасибо Leiloo !
Oui, quand j’ai lu ton texte ce matin, je me suis dit que les deux textes devaient se passer au même moment dans la même ville.
(J’ai modifié mon blog-it, j’espère qu’il est de nouveau lisible.)
@ Stéphie :
Et je suis à mon tour touchée par ton message. J’ai pour l’instant du mal à me séparer de mes souvenirs … mais ça viendra.
@ Sabbio :
)
Aaah Sabbio, écrire est un grand mot.
Ce matin, je m’en voulais d’avoir écrit ce texte (car je l’ai quasiment écrit sans retouches … un texte brut, du coup je me disais que j’aurais pu changer certains rythmes. Mais le texte était déjà posté et faisait sa vie dans la toile du net.
Merci beaucoup pour ton message. Si j’ai réussi à faire passer la nostalgie et l’atmosphère, c’est l’essentiel.
@ Lolo :

Пожалуйста !
C’est moi qui te remercie pour ce message.
Le bleu sur ton poignet est le ciel bleu du drapeau … quant à la couleur jaune du soleil, je suis certaine qu’une personne solaire comme toi le trouve aisément. Alors oui, moi aussi je trouve que tu es ukrainienne !
@ La Liseuse :
Merci beaucoup (je ne cesse de remercier, mais je vous assure que ces mercis ne sont pas vides de sens.)
Si tu as entendu le bruit des vagues, c’est très bon signe. Très bon dimanche à toi aussi.
Le partager est aussi une façon de transmettre une tradition que j’ai un peu perdu de vue.
Merci, Moka.
* smiley avec un petit diable *
Mais avec plaisir. Je connais déjà bien les messes orthodoxes, même si je connais surtout l’église gréco-catholique.
J’ai été soufflée par ton message. Vraiment. Et tes derniers mots m’ont beaucoup émue.
)
A mon tour :
Христос Воскрес ! Воістину Воскрес !
(Quelques lettres séparent les deux langues.
Oui, il y a un peu de moi … même si plusieurs choses se télescopent entre elles. Mais la magie, c’est justement de les réunir grâce à l’écriture.