Avoir quinze ans et partir de chez soi n’est jamais chose facile. Alors quand, en plus, on quitte le berceau familial et sa grand-mère adorée, avec un petit dans le ventre, ça l’est encore moins.
Pourtant, c’est bien à cet âge que Vera Candida partit de Vatapuna en direction de Lahoméria. Cette petite aux sourcils toujours froncés est déterminée à briser une fatalité qui pèse sur les femmes de sa famille. Alors un jour elle décida de quitter Vatapuna avec la ferme intention de ne jamais remettre les pieds là-bas.
Mais c’était sans compter le destin, ce farceur.
Quand s’ouvre le roman, la revoici dans le même bus qui vingt-quatre ans plus tôt lui avait permis de partir de Vatapuna, de respirer et de vivre de nouveau.
Mais il sera bien temps de raconter l’histoire de Vera Candida. Avant d’arriver à elle, le conteur nous parlera de sa mère, de Rose Bustamente, la grand-mère de Vera Candida, mais aussi du formidable lien qui relie Vera à sa grand-mère.
Il est des romans dont la première phrase reste en tête, et d’emblée on sait qu’on aimera cette histoire : Quand on lui apprend qu’elle va mourir dans six mois, Vera Candida abandonne tout pour retourner à Vatapuna.
Pour la musique de cette première phrase, pour ce pays sorti de nulle part qui est déjà une invitation au rêve, pour cette femme qui a besoin de ses racines avant de partir.
La trame du roman est déjà là à l’état d’embryon.
Dès les premières pages, cette impression se confirme : sous les yeux du lecteur se déploie un pays imaginaire d’Amérique du Sud, une île plus précisément. L’histoire pourrait se dérouler dans un pays réel puisque la vie de ces hommes et femmes n’est pas si éloignée de la nôtre. Et pourtant, Vatapuna est une île exotique dont l’air est saturé d’iode. Une île à part.
C’est là que vit Rose Bustamente, dans une cabane près de l’océan. Mais avant de devenir la meilleure pêcheuse de poissons volants de ce bout de mer, (elle) avait été la plus jolie pute de Vatapuna.
Rose a un destin de femme forte, que rien ne semble pouvoir ébranler. Figure lumineuse qui m’a véritablement enchantée, même si cette lumière traverse bien souvent, trop souvent, des courants d’air prompts à éteindre cette flamme.
La deuxième femme aura davantage la résistance d’une veilleuse. Fille lente et peu dégourdie, Violette est un point d’interrogation pour Rose, même si c’est sa fille. Et le lien maternel ne se tissera jamais vraiment. Le destin en décidera autrement pour Vera, la troisième femme de cette histoire, puisque sa grand-mère occupera une place primordiale dans sa vie.
L’ambiance de ce roman est vraiment particulière : l’air iodé et la chaleur de cette île arrivent jusqu’au lecteur, qui est de fait transporté à Vatapuna. Même si ces différents destins ne sont pas vraiment joyeux, les mots choisis rendent l’intrigue plus légère. Se crée ainsi un mélange assez étonnant entre une intrigue souvent sombre mais toujours teintée de vie et de tendre magie.
De véritables images naissent grâce à ces mots : Ces cicatrices-là, mon sucre, sont des étendards, disait grand-mère Rose. Au fond, c’est un avantage toutes ces coupures bien visibles. Quand le mal qui t’est fait est seulement à l’intérieur (mais sache, ma princesse, qu’il peut être aussi taraudant et violent que des coups de poing), alors ne pas perdre de vue ta colère et ta juste rage demande un bien plus gros effort.
Les maux sont ainsi détournés, et la vie n’en est que plus belle, ou plutôt son bagage est moins lourd à porter.
Un peu plus loin, voici comment le narrateur explique comment le Destin se joue des personnages : Ce fut la deuxième coïncidence. Mais les rencontres sont finalement une accumulation de coïncidences qui fait que deux personnes, essayant de résister à la malice du destin et de détourner les chemins qui les mènent l’une vers l’autre, se dirigent inexorablement vers une collision fatale.
Je peux citer d’autres extraits … les pages cornées de mon livre montrent que la magie ne cesse d’opérer dans cette histoire :
Dans la vraie vie, on ne comprend pas toujours tout, il n’y a pas de notice, il faut que tu te débrouilles pour faire le tri.
Je pourrais en recopier d’autres, vous parler aussi du nom symbolique de Vera la Candide, la blanche, mais je vais plutôt vous inciter à lire cette merveille de la rentrée littéraire.
Ed. de l’Olivier, 292 pages, 19 €
Vous êtes déjà très nombreux à avoir été attrapés par le filet à poissons de Rose : BOB fait le point sur les nombreux billets déjà parus.
Challenge de la rentrée littéraire 10 /14
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Roman lu dans le cadre du prix Goncourt des lycéens.
Ci-dessous, pour rappel, la liste des livres en lice :
Edem Awumey Les pieds sales
Sorj Chalandon La légende de nos pères
Daniel Cordier Alias Caracalla
David Foenkinos La Délicatesse
Eric Fottorino L’homme qui m’aimait tout bas
J-M. Guenassia Le club des incorrigibles optimistes
Yannick Haenel Jan Karsky
Justine Lévy Mauvaise fille
Laurent Mauvignier Des hommes
Serge Mestre La lumière et l’oubli
Marie Ndiaye Trois femmes puissantes
Véronique Ovaldé Ce que je sais de Vera Candida
Jean-Philippe Toussaint La vérité sur Marie
Delphine de Vigan Les heures souterraines