Je me demande ce que je suis, moi, à pleurer sur des fantômes, où est ma vie, où passe ma vie, trente ans déjà, trente ans à courir après des fantômes, trente ans à chercher celle dont je ne me remets pas de la disparition, trente ans à ne pas trouver les mots devant celui qui est resté. Il faudra bien, un jour, que je commence quelque chose, que je cesse de me laisser traverser par des absences, que je vive ma vie …
Si je devais raconter l’intrigue de ce roman, elle tiendrait en quelques phrases.
Il s’agit d’Alice, une jeune femme encore hantée par la disparition de sa mère, morte quand elle avait cinq ans. A trente ans, alors que son père vient de mourir, elle tient à faire la connaissance d’un homme que sa mère a aimé. Pour pouvoir la comprendre, mais aussi pour se comprendre.
Il est tellement difficile d’avoir les ailes assez longues pour voler quand on ne sait pas d’où l’on vient. Eh bien, c’est la même chose pour Alice, au cœur meurtri.
Qu’espère-t-elle découvrir au juste en rencontrant cet homme ? Elle ne le sait pas vraiment elle-même, mais c’est un besoin vital pour elle.
Soutenu par Hannah, cette sœur de cœur, parce que les grandes douleurs ne se partagent pas, elles s’accompagnent, elle compte sonner chez cet homme, autrefois l’amant de sa mère, afin de se rapprocher une dernière fois de celle dont il ne reste rien.
Des souvenirs épars : Sont-ils à elle ou ont-ils été forgés par la mémoire des photos ? Alice a besoin de se créer des souvenirs concrets.
Au début, elle l’avait attendue. A 5 ans, on ne comprend pas la mort : je l’attendais des heures durant, assise dans ma chambre immobile, obstinée, je l’attendais, je ne pleurais pas, pour ne pas compter les jours je comptais les moutons, elle allait revenir, c’était évident, comment une mère peut-elle abandonner son enfant, comment ma mère aurait-elle pu m’abandonner, je l’attendais sans rien dire à personne de la brûlure de cette attente, je l’attendais, ma mère, son rire, l’odeur de sa peau, ses robes en coton, elle allait revenir, ce soir, ou demain, ou la semaine prochaine … elle ne m’avait pas dit adieu or on dit adieu lorsqu’on ne revient pas, je pouvais attendre ma mère sans crainte, elle allait revenir.
Parfois les hasards de la vie sont vraiment troublants : après les lectures imposées pour les chroniques de la rentrée littéraire, je voulais revenir à mes choix. Et ce livre s’est imposé de lui-même avec cette couverture qui me rappelle mon enfance : des moufles oranges et un manteau vert à chevrons. Pas de doute, les années 80 sont bien présentes sur cette photo. Je ne savais pas de quoi ce livre parlait. Et puis, dès les premières pages, j’ai ressenti un vertige. Un peu comme si j’avais pu écrire ces pages.
Le hasard, me dites-vous ?
Alice se livre donc à une quête identitaire : retrouver des bouts de vie de sa mère pour savoir où placer ses deux pieds et devenir une femme stable.
Bien-sûr, ce sont les phrases interrogatives qui dominent. C’est encore ce qu’on fait de mieux pour poser des questions.
Après quoi suis-je en train de courir ? Des rêves ? Des souvenirs ? Des désirs ? Qu’y a-t-il de vrai dans tout ça ?
Ces phrases interrogatives et ce style haché donnent un rythme haletant à notre lecture.
Et puis, à côté de cette quête identitaire vient se greffer une autre problématique : l’écriture. A quoi cela sert-il d’écrire ?
Écrire, est-ce aimer ? Écrire, est-ce chercher à être aimé ? Y a-t-il une écriture possible sans amour ? Y a-t-il un amour possible sans mots, sans verbe, sans langage ?
L’écriture provient d’un désir, qui vient de très loin et s’éprouve au présent ? Le désir crée l’écriture. Amour, écriture : le même abandon.
Certains diront que ce livre est trop sentimental ou mélodramatique, mais comment ne pas montrer son désarroi face à cette quête qui semble interminable ? Chercher le passé d’un mort pour se construire est difficile puisqu’il y aura toujours une personne intermédiaire entre ce mort et soi-même.
Pour ma part, mais vous l’aurez compris, j’ai trouvé ce récit touchant et troublant.
C’est le deuxième livre de Tardieu que je lis. Un temps fou m’avait déçue car j’avais trouvé l’intrigue trop répétitive. Malgré tout, j’avais bien aimé le style de l’auteur. Je le retrouve ici, et ce fut une belle surprise. Tout comme le dit la quatrième de couverture : l’auteur joue avec les mots pour mieux connaître nos géographies intimes.
Ed. Livre de Poche, 157 pages, 5 €
BOB recense les avis de la blogbulle. Vous y trouverez des avis dithyrambiques, d’autres plus négatifs. Cela doit sans doute venir de l’identification que ce roman provoque chez certains lecteurs.
Pour terminer, parce que le livre en parle : « Rêve d’amour n°3 » de Liszt.
Une note douce, triste dont la mélancolie est soulignée par ce morceau de Liszt qui m’émeut toujours autant!
Merci pour cette découverte littéraire douce Leiloona.
Un billet plein d’émotions et qui donne envie de découvrir cette auteur que pour ma part, je n’ai jamais lue.
Elle est sur la bonne voie pour devenir une de mes auteures françaises préférées! Elle me touche à coup sûr…
Je ne l’ai trouvé ni trop sentimental, ni mélodramatique, je l’ai simplement beaucoup aimé ce roman.
Décidément, les quelques extraits que tu cites confirment après ma première désastreuse rencontre avec cette auteur (« Un temps fou ») que je ne renouvellerai pas l’expérience…
Je l’avais repéré à une époque chez Clarabel et je l’avais tout de suite mis dans ma LAL ! Mais je ne sais pas si je suis toujours capable d’aborder ce thème, maintenant… A voir. Il reste dans ma LAL, mais je ne sais pas si j’arriverai tout de suite à franchir le cap de la couverture…
Ton billet me touche beaucoup. Quant à l’auteur, dont j’ai déjà lu un titre, je lirai d’abord « Un temps fou » que tu m’as prêté il y a déjà un petit moment
je le note car j’avais beaucoup aimé ‘puisque rien ne dure’ même si je ne suis pas concernée par une quête semblable malgré ma propre histoire.
Je l’ai aussi beaucoup aimé, je n’ai pas pensé qu’il s’agissait d’une bluette sentimentale, j’ai trouvé les mots justes, pas empesés et bref, c’est peut être à cause de nos petits coeurs fraises tagada, mais comme toi Leiloo, cette histoire m’a touchée.
Je n’ai pas lu ce livre mais il semble touchant. Ce livre me fait penser à « L’Heure bleue », dans le même registre (= la mort d’un parent quand on est encore enfant), très touchant également…
J’en « parle » sur mon blog si tu veux: http://www.carabistouilles.com/article-33045143.html
J’avais été touchée par son précédent roman, « Puisque rien ne dure ». J’ai l’impression que je retrouverai une émotion aussi intense dans « Rêve d’amour ». C’est sûr, je lirai bientôt ce livre.
Une dernière chose : si je ne veux pas pleurer comme une madeleine en lisant le roman de Laurence Tardieu, j’ai intérêt à ne pas écouter en même temps cette magnifique musique de Liszt…
En tous cas, merci pour ton merveilleux billet musical.
Je ne connaissais pas cette auteure. A découvrir manifestement !
@ Sabbio :
Merci pour ce gentil commentaire, Sabbio !
Je crois que j’étais encore dans l’ambiance du livre quand j’ai écrit ce billet.
@ Isabelle :
Le sujet m’a énormément touchée, oui. Peut-être que l’identification y est aussi pour beaucoup …
@ Jules :
Ah oui ? Je continuerai ma découverte de cet auteur avec un autre titre, histoire de voir si le charme opère toujours.
@ Aifelle :
Tout comme moi. )
@ Ys :
Cet auteur touche la sphère de l’intime, et sa syntaxe accompagne elle aussi les histoires racontées. Je peux comprendre que tu restes en dehors. Je l’ai été pour le premier roman que j’ai lu d’elle.
@ Alwenn :
Je ne pense pas que ce soit le moment, c’est vrai … malgré tout c’est un très bel éloge de sa mère, en filigrane. Finalement, Alice s’est créée une certaine image de sa mère, et elle a envie que la réalité corresponde à l’image.
@ Stéphie :
Merci, Stéphie. J’espère que « Un temps fou » te plaira, sinon il te restera celui-ci à découvrir ! )
@ Anjelica :
Même s’il a fait écho en moi, je ne suis pas non plus constamment portée par cette quête, mais cette Alice est vraiment touchante.
@ Laurence :
Oui, et nos petits cœurs de fraise Tagada battent à l’unisson avec ce livre. )
@ Mariel :
Oh, j’ai entendu parler de « L’heure bleue », mais très vaguement. Je vais aller voir ton billet sur ton blog. Merci ! )
@ Marie :
Je crois que « Puisque rien ne dure » sera mon prochain !
@ Géraldine :
Oui, je crois qu’elle vaut le détour. Au moins pour voir si tu accroches à son style. On aime ou on s’ennuie, je crois. )
Encore un auteur à découvrir…pfff ! ça va commencer à faire beaucoup ! Très joli billet en tout cas.
Un livre dérangeant, on dirait, en « effet miroir ».
Je me laisserai bien tenter, même si les réflexions d el’écrivain sur son travail peuvent être lassantes parfois, dans certains romans.
Merci pour la pause musicale…
Je pense que cette auteur n’est définitivement pas pour moi. Les thèmes qu’elles abordent ne son pas ce que je recherche dans un roman.
@ Dolly :
Merci miss !
@ Alex :
Je peux comprendre que ce thème lasse … mais ce n’est pas du tout le cas pour moi.
@ Manu :
Je comprends tout à fait !
Comme Ys, pas du tout, pas du tout aimé…
Ton billet me touche beaucoup et ce que tu dis de ce livre m’attire vraiment. Je pense que moi aussi je m’identifierai parfois. Je l’ajoute donc à ma liste en espérant le lire assez rapidement!!
J’ai vraiment envie de ire quelque chose de cet auteur et moi aussi cette couverture m’avait interpellée!
Je n’ai pas lu encore « un temps fou » mais ses autres titres résonnent beaucoup en moi. J’aime.
Encore un auteur que j’aimerai découvrir….ça fait du bien de lire un article en musique. En plus ça colle parfaitement avec ton article…..J’adore le piano et j’adore ce morceau…merci
@ Theoma :
Je peux comprendre !
@ Lancellau :
Alors j’espère t’avoir donné une bonne idée du livre et que tu l’aimeras toi aussi.
@ emilie :
Les petites moufles sont irrésistibles !
@ Antigone :
Vu ce que tu écris, cela ne m’étonne pas.
@ Jumy :
De rien ! ) Commencer sa journée par du Liszt n’est pas mal du tout, c’est vrai. Un réveil en douceur !
J’ai lu et aimé « Puisque rien ne dure », j’ai envie de poursuivre avec cet auteur et ton article très émouvant a su me parler.
Merci à toi !
J’ai beaucoup aimé ce livre. J’avais également été très touchée par « Puisque rien ne dure ». Je pense que je lirai d’autres titres de cette auteur…