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Publié le 22 mai 2010, par dans Chez la Table ronde.

« Prodigieuses créatures », ce sont avant tout ces fossiles étranges que découvrent Mary Anning et Miss Philpot.
Des curios, j’en ai cherché depuis aussi longtemps que je me souviens. Pa m’emmenait sur la plage et il me montrait où regarder, il m’expliquait ce qu’étaient les différents fossiles : des vertèbres, des griffes du diable, des serpents de Ste Hilda, des bézoards, des éclairs, des lys de mer …
A l’aube du XIXème siècle, leurs trouvailles en étonnent plus d’un : comment diable ces vestiges bizarroïdes peuvent-ils avoir un jour été des animaux ? Personne n’a jamais rien vu de tel et les scientifiques s’interrogent : comme Dieu a crée les animaux, il est impossible que ces animaux aient disparu de la surface de la terre ! Ou bien, cela cacherait-il autre chose ?
Ces découvertes, faites par une petite fille pauvre, en bouleversent donc plus d’un.

Mais « prodigieuses créatures », ce sont aussi ces deux femmes : Mary et Miss Philpot.
L’une a la fraîcheur et l’impétuosité propres à l’enfance, et elle a surtout un don pour trouver des fossiles, la seconde est une vieille fille venue habiter Lyme Regis, dans la région du Dorset, car une fois son frère marié, il lui fut impossible de rester dans la maison familiale. Deux femmes qui, au XIXème siècle, se sont heurtées à des hommes qui ne voyaient en elles que des femmes sans cervelle, des femmes qu’il n’est pas digne d’écouter, puisque ce ne sont que des femmes …

Miss Philpot et ses deux sœurs sont donc arrivées dans cette petite ville après le mariage de leur frère et très vite Elisabeth Philpot s’est amourachée de ces cailloux que certains trouveraient anodins.
Avec l’aide de Mary, elle furète sur les plages de Lyme, ce qui à cette époque fait jaser les villageois. Pensez-vous ! Deux jeunes femmes parcourant les plages, les ongles et les jupons noircis par la terre. Non, cela n’est guère convenable ! Voilà pourquoi cette Miss venue de Londres ne trouvera jamais chaussure à son pied, murmurent les habitants de Lyme.
Ça me réconfortait de chercher des fossiles au pied des falaises. Je pouvais oublier qu’il n’était plus de ce monde, et me dire que si je regardais derrière moi je le verrais, penché sur les galets ou à fourrager avec son bâton dans une fissure de la roche …

Voici un roman prodigieux ! (Bon, d’accord, elle était facile …) Des personnages féminins bien léchés avec cette pointe de hardiesse qui m’a fait penser aux personnages de Jane Austen (d’ailleurs on en fait mention dans ce roman …), une histoire inspirée de faits réels que Tracy Chevalier a su rendre captivante. Des femmes qui cherchent des fossiles à longueur de journées auraient pu être un sujet soporifique, mais c’est loin d’être le cas ici …

En ouvrant ce livre, on prend de plein fouet la fraîcheur et la brume des côtes britanniques. On creuse avec les personnages, nous aussi nos mains et nos ongles semblent plus rêches une fois le livre refermé. Et puis, quand Mary découvre des fossiles d’animaux au squelette monstrueux, on partage avec elle son étonnement !
Bien-sûr, différentes intrigues viennent se greffer à l’histoire principale : une intrigue dramatique tout d’abord que l’auteur a imaginée. En effet, malgré le sujet nous n’avons que peu de séances de fouilles dans les falaises.
Mais aussi une intrigue amoureuse  : Mary est encore très jeune au début de l’histoire,  le lecteur suit donc ses premiers émois. Quant à Miss Philpot, son âge (à peine 30 ans au début du livre !) ne l’empêche pas d’éprouver des sentiments pour certains hommes qui croisent sa route.
A ces intrigues amoureuses s’ajoute aussi tout un pan socio-historique : à la fois l’Histoire avec un grand H car la découverte de certains fossiles met en émoi de nombreux scientifiques (Darwin n’est pas encore passé par là …) mais aussi la petite histoire, puisque le roman dévoile une grande partie de la vie de Mary. Ainsi le lecteur voit-il se dérouler sous ses yeux la vie quotidienne de
deux familles anglaises du XIXème siècle, familles issues de milieux
sociaux distincts. 
En outre, puisque les chapitres oscillent entre la narration de Mary et celle d’Elisabeth, le lecteur a sous les yeux le point de vue de ces deux femmes. Et il est souvent intéressant de les confronter.   
- Ses yeux sont plutôt grands pour un crocodile, hasardai-je. Ne trouvez-vous pas Lord Henley ? […]

- C’est simple Miss Philpot. Il s’agit là d’un des premiers modèles créés par Dieu et Il a dû décider de donner aux suivants des yeux plus petits. […]

- Voulez-vous dire que Dieu l’a mis au rebut ?

- Je veux dire que Dieu désirait une version plus réussie – le crocodile que nous connaissons aujourd’hui -, et qu’Il a renoncé à cet exemplaire là.


En somme c’est un joli tableau que nous offre ce roman : une esquisse des bouleversements qui auront lieu au XIXème siècle, esquisse mise en lumière par deux femmes étonnantes dont l’amitié inattendue sera à l’origine de grandes découvertes, le tout porté par une écriture légère et tourbillonnante.
J’avais aimé La jeune fille à la perle, j’ai adoré ce roman, davantage fouillé. A découvrir !

Ed. la Table ronde, collection Quai Voltaire, 378 pages, 23 €