Commentaires sur Son corps extrême de Régine Detambel

Tout commence par une voiture, roues en l’air, tel un insecte qui se serait retrouvé sur le dos et qui battrait en vain l’air de ses pattes.
Comment le véhicule est-il arrivé là ? Que reste-t-il de cette femme qu’on sort de cette carcasse ? 
Ce sont des ouvriers qui l’ont vue en premier. Auparavant, ils se livraient des instants de leur vie plutôt. La nuit des Perséides devait sans doute donner un souffle poétique à leurs histoires. Et la femme de la voiture accidentée, aura-t-elle encore assez de force pour raconter sa propre vie ?  

C’est dans un lit d’hôpital qu’elle se réveille : Alice est sinueuse, elle flotte, en suspension dans la clarté, d’un vol à peine battant mais profondément rêveur (…) Elle est informe, légère incorporelle, fuyante. Ses muscles sont très faibles, tout juste capable de quelques vibrations. 
Alice est devenue spectatrice du monde qui l’entoure. Elle voudrait retenir son fils qui lui rend visite pour la première et la dernière fois (elle le sait, elle le connaît), mais elle n’est que souffles et bulles de salive. 
Alice est en vie, mais pour le moment elle en est absente.

Très vite, cependant, elle renaîtra à elle, même si ses jambes ne sont plus que poupée de chiffons. Alors, il lui faudra réapprendre à se tenir debout, à marcher. Une nouvelle naissance pour celle qui n’a jamais eu l’impression d’avoir une vraie place.
Oui, c’est une renaissance que la vie offre à Alice. Et, par le truchement de souvenirs passés, le lecteur apprendra à connaître cette femme, à comprendre pourquoi celle-ci a toujours eu ce fantasme du saut de l’ange. Et cet accident-là, n’était-il pas plus qu’un simple hasard ?
Il faudra qu’Alice partage son quotidien et sa chambre avec des femmes soporifiques. Là encore, le récit de leur vie la lasse très vite. Certains diraient même qu’elle est hautaine. Même son psy est analysé au peigne fin par cette prédatrice en chiffons :
Qu’est-ce qui vous est passé par la tête quand vous avez pris la voiture l’été dernier ? demande le psy.
Son visage prend une expression de sereine indifférence, comme l’exige le protocole.
Et puis, un jour, au hasard d’une rencontre, il y aura un déclic … 

Son corps extrême est un roman sur les déceptions de la vie. Jeune, on s’imagine souvent une vie, et puis celle-ci nous rattrape. C’est le cas d’Alice. Elle n’a jamais vraiment goûté au bonheur. Alors que d’autres auraient trouvé un certain réconfort dans la maternité, Alice a très vite rejeté son fils : 
David, je l’ai détesté quand il s’est mis à copier son père en tout, comme si je n’avais pas été assez bonne pour lui servir d’exemple. Je l’ai détesté parce qu’il ne ressemblait guère à l’enfant qu’on voit chez les autres. Je le haïssais parce que je savais que si je me trompais au début dans ma façon de l’aimer, il me le ferait payer tout au long de son adolescence.  C’est donc que j’ai dû me tromper quelque part … 
La narratrice peut sembler froide, voire cruelle : n’a-t-elle pas un jour, par amertume, mis un poisson et son bocal dans le congélateur ?
Quand elle osa rouvrir son congélateur, le poisson était pris dans la glace, son oeil ouvert la regardait, elle avança la main, saisit un sachet d’épinards en branches et crut voir la nageoire caudale bouger doucement.
Mais cette montagne de glace cache peut-être au fond d’elle une souffrance abyssale ? 

Le lecteur apprend donc, à chacun des progrès d’Alice, quelle fut sa vie, quels tourments elle a endurés. Un récit sur les souvenirs, mais qui est résolument tourné vers l’avenir. Mais pour le moment, Alice doit encore digérer son passé pour pouvoir trouver un équilibre. Ainsi il ne s’agit pas seulement d’exercices de rééducation physique. L’esprit a lui aussi besoin de retendre le fil de la vie pour marcher dessus, tel un funambule.

Lente remontée à la vie, cette rééducation physique n’est donc pas seulement horizontale. Le lecteur qui au départ était indifférent à cette femme apprend à la connaître, à l’aimer même : il fait l’exact chemin d’Alice, qui s’apprivoise elle aussi. 
Servi par une écriture au rythme choisi, ce récit en charmera plus d’un, car subjugué par cette montagne de froideur, le lecteur ne pourra que regarder avec fierté ce petit bout de femme qui réapprend la vie.  

Et puis, parce que certaines phrases marquent : Surtout ne te complais pas dans le rôle de la victime (…) Même si tu as subi dans l’enfance une chose épouvantable, tu dois faire en sorte que la suite de ton existence soit indépendante de cet événement … 

 

Auteur : Régine Detambel
Editeur : Actes Sud
Date de parution : 17/08/2011
EAN13 : 9782742799213
Genre : LITTERATURE FRANCAISE ROMANS NOUVELLES CORRESPONDANCE 
160 pages
17 €

Livre lu dans les cadre des Chroniques de la rentrée littéraire.
 

Un coup de coeur pour Clara et pour Liliba aussi !

8/14

16 comments

  1. clara says:

    Régine Détmabel m’a épatée par son écriture !La mémoire du corps, sa mécanique, cette seconde chance pour son personnage brisée sont des sujets qui m’ont (forcément) touchée…

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  2. Gwenaelle says:

    Malgré la qualité de ton billet, ce roman ne m’attire pas plus que ça mais je le note quand même dans un coin de ma tête, on ne sait jamais, parfois, il suffit de lire quelques lignes pour être accroché malgré soi!

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  3. Aifelle says:

    Aïe ! j’ai peur de comprendre ce qui lui est arrivé dans l’enfance. Sinon, je l’ai noté, sans urgence.

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  4. Eloah says:

    Pareil qu’Aifelle et c’est ce qui me retient. Pourtant, le titre, la couverture sont beaux et attractifs !

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  5. elfe says:

    Un roman qui a l’air assez poignant. Le thème me fait un peu peur mais à la lecture de ta critique j’ai envie de le découvrir.

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  6. L'or des chambre says:

    Terriblement tentant… En voilà un que j’ai noté dès ma première lecture d’un billet (chez Clara) Et pourtant j’évite soigneusement, d’habitude, ce genre de thème (l’hopital surtout…)

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