Sous ce titre original ne se cache pas un roman de science-fiction, mais un livre à la croisée des genres. Documentaire, essai journalistique, ou encore récit de vulgarisation scientifique, La vie immortelle d’Henrietta Lacks relate l’incroyable histoire des cellules d’une femme noire morte d’un cancer foudroyant.
A cette époque, les scientifiques n’arrivaient pas à garder des cellules en culture. Elles s’éteignaient toutes très rapidement. Ce n’est que bien plus tard que le moyen de les cultiver et de les faire se reproduire a été trouvé. Néanmoins les scientifiques essayaient tout de même de les mettre en culture, mus par un espoir vain.
Henrietta ne le sait pas encore, mais ses propres cellules, prélevées lors d’un premier traitement pour son cancer, ne vont pas mourir. Elles vont même se reproduire à une vitesse extraordinaire.
La machine HeLa (pour Henrietta Lacks) venait de débuter. Des années 50 à nos jours, HeLa permettra de sauver des millions de vie en permettant aux scientifiques de faire de fabuleux progrès : mettre au point le vaccin contre la polio, comprendre le fonctionnement du VIH, mais aussi certains cancers …
Racontée ainsi, cette histoire semble idyllique. Voici comment une femme a sauvé des millions de vie.
Malheureusement, ce livre est avant tout là pour que nous nous interrogions sur certaines pratiques médicales.
En effet, Henrietta ne se doutait pas que ses cellules permettraient de sauver des vies, pour la simple et bonne raison qu’elle n’était pas au courant qu’un prélèvement avait été fait sur elle (d’ailleurs, je ne vais pas vous rassurer mais la législation actuelle permet toujours aux médecins de prélever et de garder vos cellules sans vous prévenir …)
Ainsi nous sommes face à un dilemme éthique : à qui appartiennent nos cellules ? Peut-on considérer qu’elles sont une part de nous une fois hors du corps ? Faudrait-il alors interdire ces prélévements au risque de freiner la science ? Et si certains sont prêts à le faire gratuitement, combien seraient plutôt prêts à les vendre ?
La famille d’Henrietta, qui a su bien tardivement que des cellules d’Henrietta continuaient de vivre hors d’elle, n’ont pas compris la subtilité de la chose. Déborah, la fille d’Henrietta, pensait même que sa mère avait été clonée. Il est vrai qu’il est difficile d’entendre pour des néophytes que des cellules d’une personne continuent de vivre malgré la mort de la dite-personne. Surtout en l’apprenant des années après …
D’autant plus que d’autres enjeux se sont mêlés à cette triste découverte : Henrietta était une femme noire, et dans les années 50 il existait de cruelles rumeurs (tristement avérées) sur des tests pratiqués sur des noirs, des personnes diminuées intellectuellement, ou encore des prisonniers (volontaires).
Ajoutons à cela que certaines personnes mal intentionnées ont fait miroiter des ponts d’or à la famille d’Henrietta, les confortant dans leur bon droit, alors que la législation est formelle là-dessus : ces cellules n’appartiennent plus à la défunte. Par conséquent, il est inutile d’attendre une quelconque rétribution de l’Etat ou de l’hôpital.
Mais loin de s’en tenir aux faits, ce livre va plus loin. La journaliste y mêle différentes narrations. L’histoire d’Henrietta, mais aussi ce qu’il advint à sa famille par la suite. Préférant des sauts dans le temps, le récit fait alors des sauts de puce non chronologiques, dévoilant parfois des zones d’ombre, à l’instar de la journaliste qui avançait sur des oeufs avec la famille Lacks.
Ainsi c’est toute l’histoire d’une famille qui se déroule sous nos yeux, avec ses accrocs, ses souffrances et ses blessures. Une famille qui sans l’histoire d’Henrietta est déjà bien singulière. Parfois la réalité est aussi rocambolesque qu’un roman.
Au final, voici un livre troublant qui m’a fait prendre conscience de nombreuses choses tant au niveau scientifique qu’historique. Cette plongée dans l’Amérique des années 50 à nos jours est criante de vérité grâce à un travail titanesque de Rebecca Skloot. Loin de ne relater que les faits, on sent bien que l’auteur a voulu captiver son lectorat, et c’est une vraie saga familiale qui s’étale sous nos yeux. Un roman caché dans le documentaire, et c’est sans ennui que les pages se tournent.
Instructif, émouvant, captivant, l’auteur a bien su transmettre toute la passion qu’elle possède sur le sujet.
Auteur : Rebecca Skloot
Editeur : Calmann-Levy
Date de parution : 05/01/2011
EAN13 : 9782702141748
Genre : Médecine expérimentale / Cancer
Nombre de page(s) : 435
21 € 50
Choco l’a lu elle aussi pour le Prix ELLE : elle a aimé l’éclairage apporté par ce document mais a été déçue par tout ce pathos autour de la famille d’Henrietta Lacks. Stephie incite à le lire en écrivant que c’est un livre qui choque et fait réagir.
Le thème m’intéresse, je le note !
J’avais vraiment beaucoup aimé et je suis ravie de voir que tu y as trouvé ton compte aussi
Même si j’ai bien aimé ce livre, je serais plus de l’avis de Choco dans le sens où les parties « romancées » si on peut dire comme ça m’ont moins intéressées que les passages réellement scientifiques (en même temps, c’est mon domaine, c’est peut-être pour ça…).
J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre, moi aussi, même si parfois, j’ai trouvé la famille Lacks un peu trop excessive, ce qui peut se comprendre néanmoins
Bon, tu connais mon avis. Malgré mes bémols, je n’en garde pas moins une impression fort positive qui comme toi, m’a donné un bel éclairage scientifique de la médecine d’aujourd’hui.
intriguée, je suis !
Oui c’est un livre intéressant, mais traité un peu à l’américaine, genre j’essaie de vous épater à chaque ligne. Et un peu de pathos autour de la famille, qui, si on lit entre les lignes, n’en avaient rien à faire, sauf le regret de ne rien avoir gagné sur cette affaire