Dehors la pluie déferlait de plus belle : allait-elle s’arrêter un jour ou serais-je condamnée à prendre une chambre dans cet hôtel miteux ? Voilà plus d’une heure que j’avais trouvé refuge ici. La seule porte ouverte dans cette ville pourtant si touristique. Mais aujourd’hui Cahuita semblait vidée de ses âmes. L’averse les avait sans doute fait fuir vers les hauteurs du centre.
Je sentais le chien mouillé et mes doigts collaient à la table poisseuse. L’humidité ambiante ne permettait pas à mes vêtements de sécher, quant à mes cheveux, mon reflet dans le verre me laissait penser qu’un cocker pourrait penser que je partageais avec lui quelques chromosomes communs.
Quelle idiote j’avais été ! J’avais pensé à tort comme toujours que ce voyage m’aiderait à grandir, que je pourrais fièrement montrer à mes parents que je n’étais plus la petite fille qu’ils s’acharnaient à voir en moi.
Et finalement, depuis mon atterrisage mardi dernier, j’avais accumulé les bévues. Le nom de l’hôtel que MeilleureAmie m’avait griffonné sur un papier était fermé pour rénovation, j’étais arrivée en pleine période de précipitations accrues (comment pouvais-je savoir qu’au mois de mai la pluie tombait dix fois plus qu’en janvier ?), et pour couronner le tout j’avais fait tomber mon portable par terre ce matin.
Coupée du monde, ou presque.
Et cette pluie qui ne voulait pas s’arrêter de tomber.
J’étais là, à ruminer mes déceptions de petite fille gâtée quand une musique retentit dans le fond de la salle. Je connaissais très bien cet instrument. Un rapide regard vers ce coin sombre et enfumé me confirma mes impressions. Un accordéon.
Très vite sa sonorité m’emporta vers les rives du passé.
Je n’étais plus au Costa-Rica, mais dans la ferme de mes grands-parents. Un été comme les autres. Avec 50 centimètres de moins qu’aujourd’hui, j’étais attablée avec ma grand-mère, et j’étais toute concentrée à l’épluchage de haricots verts. Elle, de son côté, avait une cadence qui aurait fait rougir le plus zélé des stakhanovistes. Des mains de fée. Malgré les heures passées dans les champs, elles avaient conservé une belle finesse.
Mon tas de haricots était risible comparé au sien. Je n’arrivais même pas à suivre la cadence donnée par la pendule de la cuisine.
Tic Tac Tic Tac.
Un autre rythme perturba bientôt ma cadence effrénée : mon grand-père venait de sortir de son étui son fameux accordéon. Son petit plaisir avant de manger. Malgré ses soixante-dix ans, ses mains étaient encore agiles, et les notes s’enchaînaient allégrement.
En revanche, nous n’avons jamais compris pourquoi mon grand-père s’acharnait à jouer de cet instrument. Car s’il enchaînait les notes, celles-ci ne s’accordaient nullement ensemble.
Une véritable cacophonie emplit alors la maison. Au tic tac régulier de la pendule s’ajouta cette farandole de notes sortie tout droit d’une symphonie moderne dont le seul but était de torturer les oreilles des pauvres gens qui devaient l’écouter.
A ce joyeux vacarme s’ajouta le martèlement des pieds de mon grand-père sur le sol. Nous savions que bientôt il chanterait à tue-tête.
Aussi loin que je me souvienne, jamais je n’aurais pensé qu’un jour je regarderais avec nostalgie ce moment.
Les notes de mon grand-père, le sourire de ma grand-mère, ces petits haricots verts face à moi, tous ces petits riens me firent comprendre qu’il me faudrait bien assumer ce voyage au Costa-Rica. Je n’avais rien à craindre : j’avais deux étoiles au-dessus de moi qui me protègeraient.
Je me levai alors, et d’un pas décidé je décidai de réserver une chambre avant de m’asseoir près de l’accordéoniste. La soirée ne commençait qu’à peine.
***
Et voici vos liens :
Zelda : Au Royaume de l’Harmonie
32 Octobre : Deniela
Lilou : L’accordéoniste
Une très belle ambiance sonore entre l’accordéon, la pluie, l’horloge. Un nouveau départ pour cette jeune femme
Un texte qui est sans fausse note, lui!
J’aime l’énergie de ce texte. Cette petite madeleine musicale est une excellente idée.
J’adore… l’humour, la nostalgie, le texte court et comme dit garance, plein d’énergie!
On n’est que deux aujourd’hui ? :-
bonsoir,
avec retard car j’ai eu beaucoup de mal
mais en occultant le haut de la photo, l’imagination s’est mise en marche
voici mon texte :
http://jetonslencre.blogspot.com/2011/10/une-photo-quelques-mots-14-deniela-et.html
je vais lire les vôtres
Un grand-père ici aussi…
un texte plein de nostalgie et de tendresse
Elle va grandir ce soir…
@ Garance :
Avec 32 Octobre, trois, mais c’est vrai que cette semaine, c’était moins « drôle » … J’aime bien lire plusieurs textes sur une même photo.
Espérons que ce soient les vacances … A moins d’avoir froissé quelqu’un ? Je ne sais pas … Je verrai bien pour les prochaines sessions, et au pire je demanderai !
@ 32 Octobre :
J’ajoute ton texte, fidèle moussaillonne !
@ Valentyne :
Merci ! Oui, de nombreux rythmes dans ce texte ! Je m’aperçois au fil du temps que j’aime beaucoup jouer sur les rythmes. Ciel, mes années de solfège remontetn à la surface !
@ Gwenaëlle :
Merci !
@ Hélène Choco :
Ce n’est pas souvent que j’insère de l’humour dans ces écrits …
Finalement ce n’est pas mal de non plus de varier !
Merci !