Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence.
La collection des Affranchis permet à des auteurs d’envoyer une lettre qu’ils n’ont jamais écrite. Grâce à elle, ils pourront mettre un point final à ce manque (parfois douloureux) tapi au fond d’eux. Lorsque dire permet de ne plus fuir et d’affronter.
Annie Ernaux écrit à sa soeur. Elle ne l’a jamais connue puisque cette soeur est morte avant sa naissance. A 6 ans, elle a été emportée par la diphtérie. D’ailleurs, l’auteur ne connaissait pas son existence jusqu’à ce qu’elle entende un jour sa mère dire à une cliente de l’épicerie qu’avant Annie, elle avait eu une autre petite fille, morte jeune, qu’elle est partie comme une sainte. Loin de s’arrêter là, la mère, inconsciente des oreilles à l’affut qui écoutent, ajoute que cette petite fille était bien plus gentille que l’autre. L’autre, c’est Annie.
Et voici comment au détour d’une conversation volée l’existence d’Annie bascule. Comment par la suite vivre avec ces âpres paroles ? Comment ne pas s’enfermer dans ce moule fait par sa propre mère ? Elle n’est pas gentille ? Eh bien, elle sera la méchante, l’espiègle, l’inaccessible.
De cette conversation jamais elle ne parlera, cette soeur restera à jamais celle qui séparera Annie de ses parents. Cette soeur au nom ridicule restera la petite fille parfaite, tandis qu’Annie accumulera les défauts. Ainsi soit-il.
De cette lettre, le lecteur comprendra certains traits d’écriture d’Annie Ernaux, dont on qualifie souvent l’écriture de blanche.
Il est bien difficile d’ailleurs à l’auteur d’écrire cette lettre :
Je ne peux pas faire de récit de toi. Je n’ai pas d’autre souvenir de toi que celui d’une scène imaginée l’été de mes dix ans, une scène dans laquelle se confondent la morte et la sauvée. Je n’ai rien pour te faire exister, en dehors de l’image figée des photos, sans mouvement et sans voix puisque les techniques pour les conserver n’étaient pas vulgarisées (…)
Tu n’as d’existence qu’au travers de ton empreinte sur la mienne. T’écrire ce n’est rien d’autre que faire le tour de ton absence. Décrire l’héritage d’absence. Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture.
Voici un récit remuant, bouleversant, interpellant même. Sans voyeurisme, le lecteur prend connaissance de cette faille de l’auteur, et comprend mieux la production d’Annie Ernaux.
Dire que ses mots ont résonné en moi serait encore en deçà de la vérité. Sans doute parce que le postulat de départ est le même que le mien. Avoir une soeur, ne pas le savoir, et l’apprendre par un biais détourné est toujours déstabilisant pour un enfant (Un Secret de Grimbert en parle très bien aussi). La place qu’il pensait occuper n’est plus la bonne. Tout est à refaire. Mais quelle place occuper alors ? Comment se positionner ?
On ressort toujours perdant quand on rivalise avec un mort.
Voilà pourquoi j’aime tant ces écrits personnels : la littérature sert aussi à se comprendre soi, et l’expérience des autres permet aussi de s’appréhender différemment.
Je suis sortie différente de cet écrit. Mais pour en avoir parlé avec une amie qui n’a pas du tout le même parcours que moi, je crois bien que c’est un récit qui bouleverse. Et ce, peu importe sa propre histoire.
Une lettre magistrale.
Auteur : Annie Ernaux
Editeur : Nil
Collection : Les Affranchis
Date de parution : 03/03/2011
EAN13 : 9782841115396
Genre : LITTERATURE FRANCAISE ROMANS NOUVELLES CORRESPONDANCE
Nombre de pages : 77
7 €
Mango : Une belle lecture intéressante mais plus admirable qu’émouvante.
Violaine : Elle arrive à mettre en mots l’indicible. Elle me touche comme rarement je l’ai été en lisant un livre. Alors je ne peux que vous conseiller ce très beau texte.
Clara : Sans fioriture et avec des mots très justes, délicats, comme elle sait le faire si bien, elle nous fait cadeau d’une très belle lettre. Récit dont la sincérité, la teneur m’ont ébranlée…