Un hommage documenté à l’art du grand maître, écrit avec toute la grâce que le sujet mérite. Un régal. Orhan Pamuk (prix Nobel de littérature) au sujet de L’Enchateur, essai sur Nabokov.
De Lila Azam Zanganeh, je ne savais rien. Mais cet avis dithyrambique ne pouvait qu’interpeller.
Les premières pages qui constituent l’avant-propos me plaisent d’emblée :
Nous lisons pour ré-enchanter le monde. Cela a un prix, naturellement, même pour le lecteur aguerri. Déchiffrer, peiner dans des régions inconnues, se frayer un chemin à travers un atlas de phrases aux motifs complexes, une obscurité saisissante, une flore et une faune secrètes. Pourtant, si l’on persévère avec une curiosité opiniâtre et l’esprit conquérant, un panorama somptueux émerge ici ou là, un paysage baigné de soleil, des créatures marines luisantes. (…)
Le romancier est une Alice immortelle dans le monde réel.
Selon l’auteur, son obsession pour Nabokov serait une suite logique de la nostalgie : lui le romancier exilé ne pouvait que la charmer de sa voix veloutée.
Après avoir traversé l’abîme transparent de l’exil, supporté la perte de son enfance, de sa langue, et de son père, Nabokov entreprit avec ferveur de se frayer un chemin vers la bonheur en écrivant.
Commence alors un essai des plus protéiformes sur Nabokov. Suivant néanmoins le fil chronologique de la vie de l’auteur, chaque chapitre est l’occasion pour l’auteur de montrer l’étendue des formes en littérature.
Là une interview fictive, là un chapitre dont la trame principale est constituée d’extraits divers et variés des écrits de Nabokov, là encore un abécédaire … La liste des formes utilisées est longue, mais donne une belle originalité à cet essai.
Bien entendu la vie personnelle mais aussi les écrits du romancier sont en première ligne, mais la forme des chapitres permet de ne pas avoir un essai indigeste à l’instar de ces bûches de Noël pleines de beurre pâtissier.
Les pages se tournent avec délectation, le lecteur a l’impression de faire partie de cette belle entreprise, puisqu’à chaque début de chapitre il est interpellé.
L’enchanteur enchante et nous donne à connaître un homme surprenant. Ainsi sa passion pour les papillons a-t-elle sans doute donné une couleur particulière à ses oeuvres.
On sent l’auteur vraiment investie dans cette recherche : Nabokov est loin pour elle de n’être qu’un écrivain parmi d’autres, et les pages de ce livre suent d’amour pour cet auteur controversé.
Comment alors ne pas adhérer à son propos ? Nous voici alors entraîné dans cet enchantement littéraire.
Je ne crois pas que les romans de Nabokov soient des retranscriptions de son passé, mais ils ressaisissent la lumière impérissable de ce premier été. Cet éclat de conscience unique, qui se réverbéra sa vie durant. Comme des filaments de souvenirs s’unissant en nébuleuses imprévues, où le bonheur est – au moins en partie – une variation sur la mémoire.
(…)
Par-delà les abîmes transparents de nos vies, nous tournons la tête à la recherche des rives du passé. Et comme nous n’y voyons plus clair, nous imaginons de nouveaux mâts, de nouvelles voiles voguant, légères. La mémoire, sans un bruit, éclipse le passé et luit en solitaire.
Un très bel essai sur Vladimir Nabokov qui enchantera aussi les yeux par de belles prouesses typographiques. Un joli travail de la maison d’éditions par la même occasion.
L’Enchanteur. Nabokov et le bonheur.
Auteur : Lila Azam Zanganeh
Edition: L’Olivier
Traduit par (anglais USA) Jakuta Alikavazovic.
Publié en octobre 2011.
Nombre de pages : 228
20 €
J’ai adoré Lolita et j’aimerais lire d’autres titres. Mais je ne suis pas trop essais. Dommage car celui-ci semble très réussi.
Oserais-je confesser que je n’ai jamais lu la moindre ligne de Nabokov … à réparer, bien sûr …
tu donnes sacrément envie à la fan de Lolita que je suis !!!
J’ai entendu parler de ce livre hier au soir à l’émission « l’humeur vagabonde » sur France Inter et je n’ai pas noté le titre de ce livre qui me semblait déjà intéressant hier et l’est encore plus aujourd’hui car ton article le présente vraiment bien. Pour ma PAL de 2012 !!!
bigre… que ça fait bizarre de voir des noms surgir du passé sur les blogs des copiNEttes… j’ai partagé une année de prépa avec Lila, une jeune femme très brillante qui a d’ailleurs été correspondante du Times et de l’Herald Tribune. Elle a également fait un énorme travail d’édition d’écrivains iraniens (opposants au régime je crois) vraiment très riche. ce que tu dis de cet essai me donne envie d’y jeter un coup d’oeil.
Oli :
Sinon vous pouvez écouter l’auteur sur france inter : http://www.franceinter.fr/emission-l-humeur-vagabonde-lila-azam-zanganeh
L’humeur vagabonde !
Je ne suis pas assez connaisseuse pour ce livre je crois!
J’avais, lors de mes études, commencé un mémoire sur « Le sentiment d’exil chez Nabokov », j’ai donc tout lu ce qui était disponible sur lui à l’époque, je pense connaître un peu le personnage, qui est loin d’être lisse et qui n’avait pas sa langue dans sa poche, loin s’en faut… J’ai abandonné mon mémoire car je commençais alors à travailler mais cela m’étonne un peu, cette notion de « bonheur » quoiqu’il l’est sans doute trouvé en Suisse où il résidait et chassait les papillons… J’aime particulièrement sa période russe, certains de ses romans américains sont assez marquants (j’avais été un peu choquée je dois l’avouer par Ada, mais pas par Lolita qui semble léger à côté). Mais je suis bavarde aujourd’hui…
@ Antigone :
Ah j’aime quand tu es bavarde !
Dans le livre, il y a énormément de citations extraites de « Ada », justement !
Je crois qu’il faut avant tout prendre le bonheur ici non pas comme cette joie entière, mais comme une certaine façon d’appréhender le réel. Nabokov, de part son plurilinguisme, possède une façon bien particulière d’utiliser les mots. Il le dit lui-même qu’il est difficile de se détacher de sa langue maternelle, qu’il faut se faire violence quand on écrit dans une nouvelle langue.
La littérature comme art permettrait du coup accéder à cet état, cet enchantement des sens.
Plus que le bonheur, c’est l’enchantement face au monde à travers le prisme de la langue qui est au centre du livre.
L’auteur écrit que lorsqu’elle a lu pour la première fois Nabokov elle a ressenti « un chatouillis dans l’échine », une joie (ou plutôt « bliss » en anglais) dans cet entremêlement des mots.
En somme, il s’agit plus ici de l’amour des mots, de la littérature.
Oh alors je comprends mieux, je pense que je relirai Nabokov, je suis certainement passée à côté de certains romans, parce que j’étais trop jeune pour bien les apprécier…
C’est triste, personne ne le sait pas ajourd’hui