Les Vaches de Staline, drôle de nom pour ces chèvres faméliques qui peuplent la Sibérie. Il faut bien sûr y lire un sous-entendu, un pied-de-nez à ces communistes qui se vantaient de produire de belles vaches …
L’héroïne quant à elle ressemble à une bête affamée : victime de boulimarexie, elle surveille au gramme près son poids. Anna se fait donc vomir, mais n’allez pas croire que c’est un geste sordide. Non, au contraire, elle le décrit même comme un acte sexuel, prenant du plaisir à chaque fois.
D’où vient ce trouble ? Faut-il le chercher du côté de sa maman, jeune femme qui a décidé de renier tout son patrimoine estonien au profit d’un renouveau finlandais ? Ou bien faut-il y voir un écho à sa famille déportée en Sibérie ? Anna reproduirait alors ce que sa famille a vécu ?
Faut-il tout simplement chercher une raison à cet état ? Est-ce vraiment l’objet du livre ?
Ne faudrait-il pas plutôt y lire une allégorie de ce pays qu’est l’Estonie ? Un pays brisé par les nombreuses années du communisme, ne trouvant pas vraiment son identité, qui cherche à disparaître de la carte géopolitique ?
Il existe plusieurs niveaux de lecture dans ce livre, à l’instar de ces narrateurs.
Roman polyphonique, donc, la narration de la mère fait écho à celle de la fille. Là où la mère cherche à se reconstruire, la fille déroule sa pelote de laine un peu trop vite.
Perdue, déconstruite, destructurée, la narration mime l’état de la jeune fille. Parfois à la première personne, parfois à la troisième, le lecteur est soumis à un va-et-vient, à un certain roulis de la narration qui donnerait presque la nausée, état que partage Anna. Mais comment a-t-elle pu bien grandir alors que sa mère lui interdisait de parler sa langue maternelle ? N’est-ce pas propice à un dédoublement de personnalité ou bien à une boulimie aussitôt recadrée par une anorexie sauvage ?
J’ai cousu ma bouche et inventé pour mon corps une langue où les kilos sont des mots, où les syllabes sont des cellules, une langue où les reins endommagés et les viscères déchirés sont des règles de grammaire – contrairement à ceux du corps d’un nouveau-né. Je me suis tue, j’ai parlé.
Si la perte identitaire est encore une fois au centre du roman de Sofi Oksanen, celle-ci porte moins les couleurs politiques. Certes, le communisme est encore bien présent, mais il ne donne ici qu’une couleur au récit.
Au centre de ce roman, il y a bien sûr Anna et ses turpitudes, mais aussi sa mère.
Ces deux figures féminines, deux fortes femmes encore une fois, symbolisent l’Histoire avec un grand H. Même si le récit dissèque leur vie respective, c’est l’Histoire d’un pays qu’il faut lire en filigrane.
Roman bouleversant, incisif, mais aussi répétitif, il a bien failli avoir ma peau. Si le problème identitaire me touche particulièrement (le déracinement a aussi hanté ma famille) et m’intéresse, la narration faite en plan-séquence et découpée de façon aléatoire n’a pas fonctionné sur moi.
J’ai besoin d’un fil, d’une trame à laquelle me raccrocher, j’ai besoin de savoir où je vais, si le récit comporte bien une fin. Là, je naviguais à vue d’oeil, ne sachant pas où tout ce vomi allait me conduire.
Néanmoins je ne peux, une fois le livre fini, renier qu’il est très bien construit, que cette narration si particulière a un sens.
Une héroïne déracinée qui pour trouver sa place se fait maigrir, une narration maîtrisée avec brio, des reflexions que tous les exilés peuvent éprouver, un roman-kaléidoscope où l’identité ressemblerait à un Picasso.
Accrochez-vous lors de cette lecture.
Auteur : Sofi Oksanen
Traduit par Sébastien Cagnoli
Editeur : Stock
Collection : La Cosmopolite Stock
Date de parution : 07/09/2011
EAN13 : 9782234069473
Genre : LITTERATURE NORDIQUE
22 € 50
Je suis une mauvaise élève, je rends ma copie en retard. C’était une lecture faite dans le cadre des Matchs de la Rentrée littéraire de Price Minister. Les résultats sont déjà parus … (Le lien vers la fiche du livre.)
Clara le compare avec Purge : l’écriture et l’histoire sont nettement plus fortes et plus incisives poussant le lecteur dans ses retranchements. Violence du déracinement, violence de l’anorexie et de la boulimie…
Estelle Calim a failli arrêter, tout comme moi. C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai continué à lire.
J’ai moyennement apprécié PURGE alors j’hésite pour celui-ci.
On se rejoint sur le fond. Purge est tout de même plus abouti, ce qui est logique puisqu’il à été écrit après. C’est une auteure que je suivrais de toute façon
Cependant, j’ai failli l’arrêter à plusieurs reprises.L’auteure va trop loin dans les descriptions de la boulimie ( on pourrait extraire certaines pages et en faire le manuel parfait pour se faire vomir… )
Après le snombreux billets peu engageants lu sur ce roman, j’ai renoncé à le lire.
j’ai « purge » dans ma biblio, je commencerai par le lire avant de m’attaquer à celui ci
J’ai été déroutée aussi par la narration, c’est assez fatiguant, et la crudité des descriptions « boulimiques ». Par contre, j’ai apprécié tout l’arrière fond historique et politique. Nos avis ne sont pas très différents au final.
Bien d’accord avec toi, un livre où il faut s’accrocher.
J’aime beaucoup ta vision des choses entre le sujet du roman et le pays
L’idée de base me plait bien mais à la suite de ton billet j’hésite ! Pas sûre d’aimer finalement !
Non, entre les thèmes et la construction narrative, je crains trop de perdre le cap en route ! J’en reste à Purge, déjà pas mal !!
Je vais commencer par Purge qui va bientôt sortir en poche.
du vomi en tracé pour la compréhension du livre… ça me tente moyen moyen voir pas du tout :-S
Pas en avance du tout (suite à des soucis d’expédition) pour le match littéraire j’ai presque finit des vies d’oiseaux que je déguste agréablement ! (merci pour le lien sur PM avec les résultats de ce match)
Bisous Leiloo’
Si vous aimez découvrir de nouveaux auteurs et de nouveaux ouvrages, je vous invite à découvrir la saga « Wan & Ted », une série autour de deux détectives aussi originaux et drôles qu’attachants.
Vous pourrez trouver ces ouvrages sur le site de mon éditeur OXYMORON Editions : http://www.oxymoron-editions.com
Cordialement,
Kamash.
J’ai beaucoup aimé Purge, mais j’hésite à lire ce dernier titre. Il me parait beaucoup plus difficile, j’ai peur de me perdre dans le récit…