Je ne suis pas celle que je suis – Chahdortt Djavann

« Ma première grande faiblesse fut de vouloir devenir une héroïne, épique et stoïque, ma deuxième faiblesse fut d’échouer, et la troisième de recommencer sans cesse ; mon opiniâtreté refusait l’abandon d’un tel projet. C’est ainsi que je devins une insubmersible héroïne déchue.
(…)
Mon désir est de raconter, de romancer le passé et de donner aux images mentales obsédantes des mots pour les exorciser. 
A quarante ans passés, ce livre est une tentative de vie, comme on fait une tentative de suicide. » 

Tels sont les mots de la narratrice, en exergue, avant que ne commence le roman. Des phrases fortes, un véritable appel à la vie de la part de cette femme qui a fui l’Iran et se retrouve aujourd’hui en France. La voici seule et, après une tentative suicide, elle s’apprête à commencer une psychanalyse. 

Cette narratrice évoque deux périodes : celle d’aujourd’hui qui nous renvoie à sa psychanalyse, et celle d’avant, en Iran. 
L’écart entre ces deux époques est abyssal. En Iran, c’est une jeune femme bridée par le régime en place, mais libre malgré tout. Elle rêve d’ailleurs, d’Occident. Sa force vient de sa persévérance, dans cette façon de croire que tout est encore possible.
En France, c’est en revanche une femme qui n’attend plus rien de la vie. Celle qui rêvait est tombée bien bas. Etait-ce réellement ce pays qu’elle idolâtrait ? Est-on vraiment libre en France, quand, harassée par la vie parisienne, on doit accumuler les petits boulots ?  

Le sous titre de ce roman « Psychanalyse I » permet de comprendre que cette narratrice est en pleine quête identitaire : qui est-elle réellement ? Ecartelée entre ses nombreuses vies, elle se cherche. 
La voici donc qui commence d’une drôle de façon sa psychanalyse : la narratrice n’est jamais la même en entrant dans le cabinet du psy. Tantôt haineuse, tantôt dominée, tantôt percluse d’angoisses, c’est un véritable défilé chez l’analyste qui ne sait plus où donner de la tête. 

Les chapitres de sa jeunesse éclaireront toutefois le lecteur abasourdi face à tant de violences et de souffrances accumulées chez cette femme en détresse. 

Alternant différents tons, voici un roman qui montre sans détours la vie quotidienne d’une femme en Iran, démontrant à quel point le régime en place n’entraîne que souffrances ou rébellion. 
Bien entendu, le lecteur suit aussi l’avancée et l’intégration de cette femme en France qui a choisi de commencer une analyse dans une langue peu maîtrisée. Le psy se délectera donc de chacun des lapsus linguae, cherchant à tout prix à déceler des signes là où il n’y en a peut-être pas. 

J’avais lu La Muette du même auteur. Récit court et percutant, je me souviens encore très bien de ce livre formidablement efficace. Son dernier roman, plus long, est certes un portrait réussi d’une jeune femme prête à tout pour fuir son propre pays, cette république tyrannique islamiste, mais il possède aussi de nombreuses longueurs. Les séances chez le psy n’avancent à rien, le psy est conforme à l’image qu’on se fait du psy lambda : il ne parle pratiquement jamais.

Des répétitions, un psy bien convenu et peu loquace : ce récit mille fois moins incisif que La Muette

Toutefois la psychanalyse apporte elle aussi son joli lot de questions, et je suis certaine que sans elle le livre toucherait un nombre moins grand de lecteurs … La psychanalyse est un thème bien plus porteur pour la majorité des lectrices que la rébellion d’une jeune femme irannienne. Ainsi le psy servira sans doute d’appât … Disons que ces séances apportent la touche moderne, occidentale même, au roman ;  tandis que le récit de Donya est la partie orientale de ce même récit. 

En somme, un livre à l’image de son personnage principal : écartelé entre deux mondes complètement différents. 
Espérons que la suite gagne en cohérence.  

 

Auteur : Chahdortt Djavann
Editeur : Flammarion
Date de parution : 29/08/2011
EAN13 : 9782081227545
Genre : LITTERATURE FRANCAISE ROMANS NOUVELLES CORRESPONDANCE
Nombre de page(s) : 535
21 €

D’autres lecteurs, d’autres avis : Kathel,  Antigone

12 comments

  1. ada says:

    Merci Leil pour ce billet argumenté.
    J’ai beaucoup entendu parler de l’auteur, dans les milieux que je fréquente par ailleurs, ce n’est pas étonnant, les exilés turcs regardent toujours avec beaucoup de curiosité leurs homologues iraniens… Je l’ai aussi vue/entendue une paire de fois dans des émissions et cela ne m’a jamais donné envie de la lire tant je l’avais trouvée peu subtile. Finalement j’avais trouvé les nouvelles de Zoya Pirzad, plus suggestives, donc plus riches.
    Tu m’as malgré tout donné envie de jeter un oeil sur ce dernier ouvrage. Mais j’attendrais que ma médiathèque l’achète, 21 euros de curiosité, c’est trop cher

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  2. Anis says:

    Ce livre tourne pas mal sur les blogs et son thème me touche quand à la cause des femmes.

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  3. kathel says:

    Le problème de ce genre de roman à deux faces, c’est que l’une peut paraître plus faible que l’autre… Cela ne m’a pas trop gênée, et même si j’ai un peu préféré la partie iranienne, j’ai trouvé qu’elle ne se serait pas forcément suffi à elle-même.

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  4. Manu says:

    Depuis ma lecture de Persepolis, c’est un thème qui m’intéresse. Je l’ai donc emporté après l’avoir trouvé chez un bouquiniste.

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  5. antigone says:

    Tu sembles un peu déçue et je comprends, ce n’est pas un très grand roman même si il est attachant… Pour moi, les deux femmes ne sont pas la même personne, c’est amusant. En tous les cas, c’est ainsi que je l’ai perçu pendant ma lecture.

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  6. sylire says:

    Mon billet demain. J’ai les m^^emes réserves que toi sur les chapitres évoquant la psychanalyse. Cet aspect prend trop de place dans le livre et auraient mérité une bonne coupe !

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  7. Anna says:

    J’ai déjà lu plusieurs livres de cette auteur. Mais celui-là me fait peur, plus exactement c’est la place de la psychanalyse dans ce livre qui me fait peur.

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  8. l'insatiable says:

    La muette était un roman bouleversant! Vif, incisif, touchant, percutant… J’ai peur d’être déçue aussi du coup….

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