Petite, elle riait sous cape lorsque son père les faisait taire, elle et son frère, pour allumer la radio et écouter les informations.
« Taisez-vous, ou allez-vous jouer plus loin. Je n’entends rien. »
Pourquoi donc cette voix dans le poste était-elle si importante ?
Et puis elle avait grandi, et elle avait compris.
A presque cinquante ans, elle avait rejoint la monomanie de son père. Être informée des évènements du monde et de la France était primordial. Même si le journal était devenu un luxe pour elle.
Oui, elle avait fait le choix de vivre dans la marginalité, mais elle n’avait pu se résoudre à délaisser sa soif d’informations que son père avait mise en elle.
Alors elle ramassait les journaux où elle les trouvait : dans le métro, c’était surtout des gratuits. Les moins intéressants. Mais les plus faciles à se procurer. Sur les bancs des quais des grandes lignes, parfois, la pêche était bonne : un grand quotidien l’attendait. Parfois chiffonné. La rue lui offrait alors son plaisir : son appétit des mots était assouvi.
Elle aurait pu aller dans une bibliothèque municipale pour lire, mais elle n’aimait pas les regards qui se posaient sur elle. De la pitié, parfois de l’indignation. Elle préférait rester là, dans la rue. Elle passait plus inaperçue.
Alors, une fois son maigre butin ramassé, elle s’asseyait sur un banc, prenait délicatement le journal et aplatissait les nervures froissées du papier. Comme une main qu’elle aurait caressée. Lentement, posément.
Toujours pour éviter de déchirer le papier déjà fragilisé par son ancien lecteur, elle repliait le journal. En quatre, puis en huit. Il tenait alors dans sa main, comme un livre : le vent ne pourrait l’atteindre et le déchirer.
Le monde entre ses mains : de la Chine au Pérou en passant par le Mali, elle voyageait alors. Elle avait l’urgence de lire les autres, même si eux l’avaient oubliée.
Ce soir, alors qu’elle errait dans les rues de Paris, comme à son habitude, elle arrivait à la fin de ce quotidien. Entre ses mains s’étalait la rubrique nécrologique. Elle, la solitaire, terminait toujours par cette page. Cette avalanche de noms inconnus la rattachait paradoxalement au monde des vivants. Un cercle d’amis par procuration sans doute.
Mais ce soir, elle dut s’asseoir. Non pas sur un banc comme à son habitude, mais sur cette barrière. Pour ne pas tomber.
Il y avait là un nom qu’elle connaissait bien, puisque c’était le sien. Son frère, cet homme qui lui avait tourné le dos mais qu’elle n’avait pu se résoudre à oublier, était mort. Bien avant elle. Malgré sa misérable vie, elle serait finalement la dernière à rester debout.
Alors, malgré cette fenêtre de papier qui s’ouvrait sur le monde entier, elle se sentit seule.
Elle mit le journal contre elle pour serrer ce frère à jamais disparu. Elle irait jeter le journal dans la Seine, ce serait son dernier adieu à cette famille qui avait été la sienne.
Un petit carré de feuilles de rien ? Ceux qui le pensaient n’étaient pas humains.
©Leiloona, le 1er avril 2012
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Le texte de Brigitte :
Rêve ou réalité …
3-8-9-12-16-30 … c’est bien ça !!!! Ça fait bientôt 20 ans que je jour les mêmes numéros toutes les semaines, et je n’ose même pas y croire ! 3-8-9-12-16-30 ! OUIII ! j’ai gagné le loto du mercredi … les 6 numéros ! Ça va faire combien la cagnotte ? On sera combien à avoir gagné ??? AH !
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec cet argent ?
D’abord arrêter de travailler. J’aime bien ce que je fais, j’aime bien mes collègues, l’ambiance au bureau est bien agréable, mais tout de même, je pense que j’ai mieux à faire que métro boulot dodo, tous les jours debout à 6 heures et rentrée à 7 … la vie mérite que je lui offre mieux que ça. Je pourrai choisir des bénévolats, ce que j’aime, uniquement le matin, gente de 9h à midi. A l’UNICEF peut-être. J’aimerais bien travailler avec ou du moins POUR des enfants.
Déménager … est-ce que je vais déménager ? Acheter plus grand, oui, certainement. Surtout que j’aurai les moyens de me payer une femme de ménage. Donc oui, je vais chercher un autre appartement, bien lumineux, bien central sur une belle avenue avec des arbres, j’aime bien les arbres, c’est vivant les arbres …
Ensuite je voudrais voyager. Les destinations qui me tentent ne manquent pas. Croisière dans le grand nord, treck dans le sud Sahara, safari au Kénya, le Mexique, l’Australie, la Patagonie … Je me préparerai un voyage tous les 3 mois. Pas plus, il ne faut pas se lasser non plus. Et puis je ne veux pas tout dépenser. Il faut que je trouve quelqu’un qui m’aide, un comptable, ou un banquier … pour que mes folies ne m’amènent pas à LA folie ! MOI, je ne veux plus compter, je ferai compter les autres à ma place. Je sais qu’avec un million d’euros, on peut vivre pendant plus de 27 ans en dépensant 100 euros par jour ! Mais si l’argent est bien placé, on peut ne plus calculer du tout, jusqu’à la fin de ses jours …
Je n’en reviens toujours pas ! Le journal se trompe peut-être, il faut que je parte, il faut que j’aille dans un endroit où il y a une télé, il faut que je trouve un cyber café où il y a Internet, il faut que j’ai une confirmation. Je ne gagne jamais à rien, c’est pas possible, ça doit être une erreur … ou bien je fais un rêve, et je vais me réveiller, c’est sûrement ça, ça doit être un rêve …
©Brigitte
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Et voici les liens vers les autres textes :
32 Octobre : Rick
Zelda : Avril
Patacaisse : Lassitude
Cécile MdL : Déjà ? J’y crois pas !
de ces deux beaux textes
@ Leiloona, texte prenant, écrit tout en douceur. plein de respect pour ces personnes que nous pouvons rencontrer ici ou là. Quelle dignité !
@ Brigitte, un beau rêve que l’on espère réalité pour le héros de l’histoire
je file lire les autres textes
bon début de semaine
Merci 32 Octobre.
Brigitte : Je n’ai pas eu le temps de vous répondre suite à votre mail, mais nos textes sont partis d’une même idée : la tension des traits de cette dame.
Orientations complètement différentes ensuite, mais le point de départ fut le même.
http://patacaisse.wordpress.com/2012/04/02/une-photo-quelques-mots-lassitude/
Voici pour ma participation.
Je reviens pour lire vos textes.
@brigitte : inspirée par « la liste de mes envies » ? j’aime bien ton idée !
@leiloona : il est dur ton texte mais il y a tellement de dignité dans cette femme qui a soif du monde alors qu’elle vit en marge. J’aime
@Brigitte : merci pour ce texte lumineux, joyeux et à la fois très réaliste (c’est vrai, comment je réagirais si je gagnais au loto ?)
@Leiloona : histoire très triste. Finalement tu nous racontes la solitude d’une vie, celle d’une sdf, pas de rédemption possible. sdf, sans domicilie fixe, sans demeure familiale. bises
Bonjour, j’ai oublié de mettre le lien vers mon article avant sa parution, désolée.
http://moi.emois.mes-moi.over-blog.com/article-deja-j-y-crois-pas-102374785.html
Ton histoire est magnifique mais si triste quant à celle de Brigitte, espérons qu’elle ne rêvait pas …
Merci pour ces bons moments de lecture !
Première participation pour moi! Je suis rentrée ce midi après avoir ouvert l’enveloppe… j’avais envie de laisser une trace quelque part de mon sentiment de joie. La photo et ton atelier tombaient à point. Désolée, je ne suis pas dans le timing, mais qu’importe le temps?!
http://lemondedemirontaine.hautetfort.com/archive/2012/04/02/une-photo-quelques-mots2.html#comments
Première participation pour moi! Je suis rentrée ce midi après avoir ouvert l’enveloppe… j’avais envie de laisser une trace quelque part de mon sentiment de joie. La photo et ton atelier tombaient à point. Désolée, je ne suis pas dans le timing, mais qu’importe le temps?!
http://lemondedemirontaine.hautetfort.com/archive/2012/04/02/une-photo-quelques-mots2.html#comments
Mon lien a dû atterrir dans les indésirables. Pffff…
@Brigitte : je peux compter pour vous si vous voulez.
@ Leiloona : Histoire un peu triste mais il était difficile de faire autrement avec cette photo.
http://hisvelles.wordpress.com/2012/04/02/une-photo-quelques-mots-34/
récidive qui sait !
Lucie : c’est aussi ce que je me suis dit ! Grégoire Delacourt a inspiré Brigitte ! Son passage à la grande librairie sans doute !
Je te remercie pour ton gentil mot. Je suis « contente » que cette dignité transparaisse.
Philisine Cave : Oui, sans demeure familiale aussi … Du moins, espérons que celle de la rue existe …
Mirontaine : Oui, qu’importe le temps, on s’en fiche. Pas de date de péremption.
Je te remercie même de t’être « servie » de cette photo pour écrire ton texte.
Jean-Charles : Pff décidément, ma plateforme n’aime pas ton adresse mail !
Sinon, oui, il était difficile de faire du joyeux avec cette photo.
Elle m’a bouleversée, cette lumière sur cette personne, cette tension sur son visage …
Jean-Charles : même pas dans les spams !!! Mais où a bien pu passer ton mail ???
aller lire ce texte
qui colle très bien à la photo
sans le savoir apparemment
http://juliemallauran.wordpress.com/2012/04/02/la-lettre-que-je-nai-jamais-ecrite/#comment-276
Leiloona, ton texte me fait presque monter les larmes aux yeux. La vie réserve de drôles de tours. C’est une scène de rue qui hélas, se produit souvent, dans les grandes villes.
La photo, il est vrai, se prêtait à une réaction triste.
Bises de Lyon
@ Brigitte,
et bien tu fais exception à la règle !
Gagner le gros lot, qui n’en a pas rêvé ?
C’est vrai que ça doit tourner la tête, la FDJ en a bien conscience et accompagne les heureux gagnants.
Une belle idée sur cette photo pourtant un peu tristounette.
Bises de Lyon
@ Leiloona : Magnifique texte !J’ai été très émue à la lecture…
Tu me mets donc dans les spams invisibles ? oH … Suis-je aussi indésirable ? ohhhhhhhhhhhh
Merci Soène et Mathylde !
Jean-Charles : Arff meuuuuh non ! Mais mystère irrésolu pour le moment !
Et là, pourtant, ton commentaire apparaît. Étrange !!!