formats

Voilà un roman qui m’intriguait depuis ma lecture d’un article qui lui était consacré dans le magazine « Lire ».
Alors que tout le monde ou presque s’accorde à dire que la dimension fictionnelle de la littérature contemporaine s’appauvrit (Milan Kundera l’écrivait déjà dans son essai L’Art du roman dans les années 90) au profit d’oeuvres davantage tournées vers l’autofiction, ou le roman autobiographique, voici qu’une très jeune femme de 22 ans (Cécile Coulon) publie un roman totalement inattendu et déconcertant de maîtrise narrative.

Touchée par le film « Le roi et l’oiseau » écrit par Prévert, le jeune auteur a en tête une berceuse chantée par l’oiseau : Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! Le Roi n’a pas sommeil, et c’est bien fait pour lui. Il ne dort que d’un oeil, et remue dans son lit. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! Papa est là qui veille, Papa qui veille au grain. Dormez petites merveilles, il fera jour demain. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! Le Roi n’a pas sommeil, car il a peur la nuit, à cause des perce-oreilles et des chauves-souris. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris !

Cette mélodie servira de déclic à l’écriture. Ajoutons alors une admiration sans bornes à la littérature américaine, et nous aurons alors déjà en germe un roman qui a tout pour devenir un grand.

Mais revenons-en à l’histoire.

Le roman s’ouvre sur un homme menotté. Les mains dans le dos, le dos courbé, il part, entraîné par la police. Sa mère derrière pousse alors un cri inhumain, presque animal. Elle se déshabille alors en pleine rue.
Mais qu’a fait Thomas ? Pourquoi s’accorde-t-on à dire que cela était prévisible ? Fixé par une certaine fatalité ?
Retour en arrière.

Thomas est alors un bébé. Malingre, il ne suscite guère d’admiration dans les yeux de son père, un homme travailleur et taciturne. Entre lui et son enfant, aucune émotion ne passe.
Mary, la maman de Thomas, semble de son côté subir sa vie : elle s’est amourachée un soir de bal d’un jeune homme et tombe très vite enceinte. Et la voici déjà mariée.
Le destin l’a déjà menottée à cet homme ni bon ni mauvais. Malgré tout, un sentiment de malaise pèse sur cette ferme familiale.

Thomas n’a rien de l’enfant béni qui aurait réussi à donner de la joie à cette maison, à transformer le plomb en or, aussi lorsque son père est emporté par la gangrène après un bête accident du travail, on se demande quelles seront les conséquences de cette mort : bonnes ou mauvaises ?

La vie de Mary et Thomas continue, ils se prennent même à rêver d’un avenir meilleur. Mary arriverait presque à toucher le bonheur du doigt. Thomas aussi.
Mais en lui un sentiment est tapi, sentiment qui ne demande qu’à exploser un jour …

Le Roi n’a pas sommeil attrape son lecteur dès les premières pages : ce cri animal d’une mère, la perdition de ce fils chéri ne peuvent qu’intriguer le lecteur … Mais que s’est-il donc passé pour arriver à cette voie sans issue ?
On lit alors ce roman avec cette épée de Damoclès au-dessus de nous. On sait bien que le registre tragique pointera le bout de son nez, un moment ou un autre. On voudrait le retarder le plus possible, on voudrait bien croire à un possible happy end, et pourtant il est bien là, à rôder, le vilain …

La construction narrative mène alors le lecteur vers ce point de non retour. On suppose alors à tort certains retournements de situation, mais seul le narrateur sera maître du destin de ses personnages.
Un roman noir dont on ne peut se défaire, les descriptions collent à notre peau, la narration nous entraîne dans la plus noire des mélasses. Le lecteur ne pourra alors qu’assister à la chute de Thomas, au moment où sa vie aurait pu prendre le plus agréable des virages.

Certains êtres humains sont-ils alors condamnés à être malheureux toute leur vie ?

Ce que personne n’a jamais su, ce mystère dont on ne parlait pas le dimanche après le match, autour d’une bière fraîche, cette sensation que les vieilles tentaient de décortiquer le soir, enfouies sous les draps, ce poids, cette horreur planquée derrière chaque phrase, chaque geste, couverte par les capsules de soda, tachée par la moutarde des hot-dogs vendus avant les concerts ; cette peur insupportable, étouffée par les familles, les écoliers, les chauffeurs de bus et les prostituées, ce que personne n’a pu savoir, c’est ce que Thomas avait ressenti quand le flic aux cheveux gras était venu lui passer les bracelets, en serrant si fort son poignet que le sang avait giclé sur la manche de sa chemise.


Auteur : Cécile Coulon
Editeur : Viviane Hamy
Collection : Contemporains Hamy
Date de parution : 12/01/2012
EAN13 : 9782878585094
Genre : LITTERATURE FRANCAISE ROMANS NOUVELLES
Nombre de page(s) : 141
17 €


D’autres ont aussi été sous le charme ravageur de ce roman : L’Irrégulière, Ys, Kathel, Clara, Un autre endroit pour lire …