L’air était chaud, presque étouffant. Le foulard lui battait doucement les épaules Au gré du vent. Elle se tenait droite, presque fière, les yeux tournés vers l’horizon.
Mais lequel ?
Au loin les autres du groupe ressemblaient à de petites fourmis bleues. Bientôt ils se retrouveraient tous là-haut, contents d’avoir rattrapé le guide. Enfin.
Assoiffés, exténués, les jambes en vrac, mais heureux. Une certaine plénitude sur leur visage.
Le désert permettait aux gens de se retrouver face à eux-mêmes. Dans l’année, il fallait courir, à gauche, à droite, penser au petit dernier, au plus grand, sans oublier ses proches et ses amis … N’oublier personne ; mais s’oublier soi.
Ici, au moins, le téléphone ne sonnerait pas, on ne serait pas rattrapé par son présent toujours de plus en plus demandeur. Non, ici seule la nature régit le monde, elle a enfin retrouvé sa place, et nous la nôtre. Et puis, ce silence, là, nous oblige alors à penser à nous, à affronter nos peurs aussi, celles qui restent coincées entre la poire et le fromage dans la vie de tous les jours. On la fait taire jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus être contenue. L’explosion n’est alors pas terrible à voir.
Burn out, tout le monde descend !
Non, ici on prend le temps de sentir ce souffle chaud, ce soleil sur notre peau. Dans notre oreille une langue inconnue, d’un autre monde, une langue très gutturale et sèche, à l’image du paysage qui se déplie sous nos yeux.
Et si l’on ne revenait plus ? Si on disparaissait ?
« Madame Jacqueline, le dentiste va vous recevoir dans quelques minutes. »
Si seulement cette photo avait été autre chose qu’un poster, habile moyen pour faire patienter avant la fraise du dentiste …
©Leiloona, le 9 décembre 2012
Crédits photo ©Romaric Cazaux
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Où pouvais-je aller d’autre ? Le désert immense, et le silence assourdissant, comme un écho à ton absence qui résonne dans mon grand cœur vide. Tu as choisi de partir. Loin. Ailleurs. Emportant avec toi tout ce qu’il y avait de beau en moi.
Si j’ai si mal, c’est parce que je sais qui j’ai perdu. J’ai perdu l’homme que j’aimais. Il était fait pour moi. C’est une évidence. La seule conviction que je n’ai jamais eue dans ma vie. Je l’ai aimé au premier regard, je l’ai aimé tout entier, avec ses qualités et ses défauts. J’aimais son regard blessé, j’aimais ses faussettes, j’aimais son rire, j’aimais nos discussions, j’aimais sa fragilité, j’aimais sa vision de la vie, j’aimais son humour, j’aimais son corps, j’aimais sa passion pour la musique.
Et je nous aimais, nous. Nous étions si complices. Je ne me suis jamais sentie aussi sereine que quand il m’aimait pleinement. Enfin apaisée. J’aimais quand il se moquait de ma tête au réveil, j’aimais quand il me disait de ne pas mordre ma brosse à dents, j’aimais le voir lire Courrier International au petit matin, j’aimais quand il me souriait, j’aimais quand il reprenait chacune de mes expressions, j’aimais nos randonnées, j’aimais quand il me protégeait au creux de ses bras, j’aimais le voir comme un gamin dans le magasin de vinyles, j’aimais le désirer et le rendre dingue, j’aimais quand il me disait que j’étais belle, j’aimais quand il me disait je t’aime.
Tout cela n’existe plus. Et je sais. Je sais que je viens de vivre le moment le plus heureux de mon existence, sans pouvoir rien faire d’autre que de le laisser filer. Par amour. Il est reparti vers son passé pour construire son futur. Sans moi. Comme une gifle à mes sentiments. Le rejet de tout ce que nous avons vécu, comme si ça n’avait été qu’un détail, qu’une parenthèse entre deux états semblables, un petit pas grand-chose dans une si grande vie.
Je sais qu’elle a repris sa place dans son cœur comme si elle n’en était jamais partie. Ai-je vécu cette histoire seule ?
Le temps ne fera que déformer les contours pour rendre le fond plus supportable. Mais la vérité est là, aujourd’hui. Dans cette agonie permanente.
Tu as tout pris
Mais qu’as-tu laissé
D’autre que la souffrance
D’une femme, exsangue de t’avoir trop aimé
Quelles que soient tes errances ?
Dix-huit.
La dix-huitième en six mois. Une tous les 10 jours.
Ce matin là en ouvrant la boite aux lettres, Pierre avait donc découvert une dix-huitième carte postale… Celle ci montrait un paysage désertique, et au premier plan, toujours cet homme en tenue traditionnelle, de trois quarts dos, étendu de telle sorte que son visage ne soit pas visible. C’était ainsi sur les dix-sept cartes précédentes… A chaque fois un pays, un paysage différent, mais toujours un homme dans cette même position , en costume traditionnel, et ces quelques mots au dos:
« Ici rien n'est pareil...! » écrits à la main.
Au début, lorsque la première carte est arrivée, Pierre a cru qu’il s’agissait d’une erreur… Il n’y a pas prêté attention, et la carte est allée rejoindre le bac qui lui sert à trier le papier.
Lorsque quelques jours plus tard, une deuxième carte lui est parvenue, il a encore pensé à une erreur et a vérifié l’adresse.
Pierre Tissent
33 rue de l’espaulette
95100 Argenteuil.
Aucun doute possible cette carte lui était adressée.
Pas de signature, pas de nom, juste ces quelques mots, toujours les mêmes. Il est allé rechercher la première au milieu des prospectus publicitaires, et la similitude dans la position de cette homme, dans les mots et l’écriture lui a sauté aux yeux.
Pourtant, Pierre ne savait absolument pas qui pouvait lui écrire de telles cartes, ni ce qu’elles pouvaient bien vouloir signifier. Pierre ne voyait presque personne, depuis son divorce douloureux, il vivait replié sur lui même dans son appartement, en vase clos. Il ne sortait pas, ne fréquentait que très très peu d’amis, et ne travaillait plus… Alors qui pouvait bien lui écrire des messages si mystérieux? Et pourquoi?
Puis les suivantes sont arrivées: la Normandie, le Texas, Moscou, le Cap Vert, Cuba… Toujours un paysage typique, reconnaissable entre mille quand l’homme allongé au premier plan ne l’était pas du tout.
Pierre a cru à un coup de pub d’une de ces agences qui ne reculent devant rien pour vendre leur produits. Mais là, quel produit? Et puis ces cartes écrites à la main, et directement adressées, personne d’autres dans son immeuble n’en recevait… Il le sait, il avait attendu le facteur, et l’avait questionné. Ce dernier avait confirmé que ces lettres sont des envois classiques, sans rien de particulier, affranchis au tarif du pays d’origine… Et non, personne d’autres dans la résidence n’en recevait, ce n’était pas une de ces publicités…
C’est devenu comme une obsession, Pierre voulait savoir. Les cartes s’amoncelaient dans sa cuisine, avec toujours cette même phrase, écrite à la main.
Alors Pierre a fait le tour de ses connaissances, de ses amis, il leur a demandé d’écrire des mots, n’importe quoi, n’importe où, sous n’importe quel prétexte, juste pour comparer les écritures. Mais cela n’a rien donné. L’écriture sur les cartes n’était pas celle d’un de ses amis.
Il a fait des recherches sur les pays d’où elles provenaient, il a essayé des codes, des messages cachés à base des initiales des villes, il a cherché. Cela a occupé ses journées, ses nuits, ses pensées. Lui qui n’espérait plus rien depuis le départ de Sylvie, qui tournait en rond ivre de tristesse dans son appartement, seul, avait de nouveau quelque chose qui occupait sa vie, un but, comme une mission à remplir: trouver le sens de ces cartes.
Aujourd’hui, en ouvrant la boite Pierre a donc reçu la dix-huitième.
Mais celle ci est différente. Elle est différente, non, par son contenu, ni par la phrase écrite au dos, qui sont en tout points identiques aux dix sept précédentes… Non, elle est différente, parce qu’après avoir lu celle ci, Pierre a décidé que ca suffisait, qu’il n’allait pas passer sa vie à tourner en rond dans cet appartement, en attendant des cartes postales anonymes.
Alors il est remonté chez lui, il a ouvert sa valise, l’a remplie, a appelé un taxi pour être conduit à l’aéroport.
Pierre a décidé que sur la prochaine carte qu’il lirait, c’est lui qui serait allongé au premier plan!
Je suis seul. Mes larmes peuvent couler librement. Je me suis isolé là, face au campement, face aux miens, face à mon quotidien.
Je pense à elle. Elle qui m’est si chère : Ma promise, mon amour, mon épouse. Je me souviens de Fatika enfant, ses cheveux ébouriffés, son attachement pour les jeunes chèvres dont elle avait la garde, à la fierté qu’on pouvait lire dans ses yeux lorsque sa mère la félicitait.
Je pense à elle et à ses regards furtifs le jour où mon père a offert au sien la dote en échange de sa main. Ses yeux sombres me lançaient des regards tantôt méfiants, tantôt rieurs et j’ai cru voir ce jour là ses joues s’empourprer ou n’était ce que le fruit de l’imagination du jeune homme impressionné et fier que j’étais alors …
Je pense à elle et à notre première nuit. Ses épaules tremblantes, mes gestes maladroits, ses mains qui effleurent mes bras et mon émotion à la découverte de ses seins blancs et lourds aux auréoles chocolat.
Je pense à elle et à son rituel lorsque nous nous retrouvons seuls dans notre tente : elle m’enlève délicatement mon chèche pour ensuite le plier soigneusement ; elle passe ensuite longuement ses mains dans mes cheveux et elle me dit chaque soir : « Quand je fais ça tu es entièrement à moi. »
Je pense à elle et à sa main gauche caressant son ventre rebondi en des cercles doux et interminables.
Je pense à elle et à ses yeux effrayés, ses traits crispés par la douleur, ses gémissements interminables. Quelle impuissance ai-je ressenti cette nuit ! Je n’ai rien pu faire pour aider mon épouse dans cette épreuve. Les femmes m’ont de toute façon rapidement éloigné et m’ont ensuite interdis d’approcher. Quelle frustration d’être ainsi mis à l’écart du destin de ma famille !
Je pense à elle, à ma Fatika qui a rejoint la nuit dernière les étoiles.
Elle me laisse cet enfant pour qui ses yeux scintillaient de bonheur avant même de l’avoir rencontré.
Dieu m’impose cette épreuve alors je dois l’accepter.
Je vais continuer ma vie de nomade dans mon Sahara natal. Mon enfant sera élevé par la sœur de Fatika qui, je le crois, lui donnera l’amour pour lequel il était destiné.
Je vais attendre que la nuit tombe et je rentrerai dans ma tente. J’enlèverai mon chèche moi-même et je tacherai de le plier correctement. Je sortirai ensuite pour sentir le vent dans mes cheveux et pour admirer les étoiles qui, j’en suis sur, brilleront plus fort que jamais.
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Le texte de Jacqueline :
Cher Fayçal
C’est en rangeant ma vie et mes souvenirs que j’ai retrouvé cette photo.
Comme moi tu as dû vieillir, mais peut-être es tu resté ce séduisant nomade des Contes des mille et une nuit.
Pudique, tu n’avais pas voulu que je photographie ton visage.
Je n’ai jamais oublié tes yeux velours sombre qui ne parlaient qu’à moi, ta bouche gourmande que j’avais envie de goûter et mordre à chacun des instants que nous partagions.
Tu resteras la plus belle de mes aventures.
Je n’ai plus l’âge de les recommencer, mais un signe de vie de ta part et je continuerais à rêver.
Shéhérazade
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Et voici les liens vers vos textes :
Beaucoup d’interpretations très différentes cette semaine, c’est toujours drôle de voir ce qu’une photo fait germer dans nos têtes.
Je suis admiratif de cardamone et sa poésie.
J’ai beaucoup aimé le texte de Georges et celui de leiloona qui prennent le contrepied de ce qu’on attend de cette photo (l’évasion, le nouveau départ…)
Et puis toutes ces émotions différentes la solitude, la mort de l’être aimé, le remord…
Belle semaine qui commence bien!
Oui, d’après les textes publiés ici (pas encore eu le temps de lire les autres, je vais le faire de suite.), une tristesse se dégage toujours. La mort, l’oubli …
Merci encore Ludovic pour ton texte de cette semaine qui laisse apercevoir de l’espoir pour l’avenir. J’ai pensé moi aussi en te lisant aux nains du papa d’Amelie Poulain qui font le tour du monde et qui le poussent à s’en aller loin lui aussi. C’est vrai que ton texte donne envie de connaître la suite des aventures de Pierre !
@Leiloona : Une chute qui fait mal ! Je me demande si l’on est capable de faire l’impasse d’un quotidien surchargé ?
@Roswelette : Les séparations sont toujours difficiles.
@Ludovic : est-ce que cela résoudra l’énigme ?
@Morgane : Toujours un grain de sable dans le bonheur.
Hum, il faut bien pourtant, à moins de courir droit vers un burn out !
Leil j’adore ta chute ! Voici enfin mon lien : http://facetiesdelucie.canalblog.com/archives/2012/12/10/25785994.html
Hop, je file l’ajouter ! 😀
Ludovic, j’aime beaucoup ton texte au point que je lirais bien la suite de ses aventures à ce Pierre.
Idem ! Pas envie de le lâcher !
Merci Leiloona pour ce sourire que fait immanquablement monter aux lèvres la lecture de ton texte! Au moins c’est une bien belle façon d’attendre la fraise!! et puis on dit que le rêve de voyage est déjà un voyage non?
Oui, c’est vrai, mais rien ne compte plus que les sens en alerte, aux aguets, presque, mus par toutes ces nouvelles belles choses. 😉
Bonjour Ludovic,
très beau texte mystérieux qui laisse bien rêveur… Délicieuse lecture comme je les aime! Lucie a raison, ce serait un très bon début pour un texte plus long… nouvelle? roman?
@leiloona: très beau rêve d’évasion, on y était et le dentiste nous rappelle à la dure réalité.
@ludovic: j’ai bcp aimé, ton idée de cartes postales, de vivre sa vie, j’ai pensé aux photos du nain qui fait le tour du monde dans amélie poulain. Je suis d’accord avec les autres pour la suite!
@Morgane:c’est beau c’est triste, un texte comme un poème
@Jacqueline, joli souvenir, qui me fait moi aussi penser à un de mien, à un fayçal
@Roswelette: texte fort et dur, la vérité d’une rupture, la souffrance de l’instant, le deséquilibre entre celui qui quitte et celui qui est quitté
Oui, fichu dentiste … 😉
@ Leiloona : jolie chute !!!
@ Ludovic : Stéphanie pense à Amélie Poulain, moi à Millenium mais en tout cas on est happé par le mystère de ces cartes postales !
@ Roswelette : énorme coup de coeur pour ce texte tellement juste…
@ Morgane : sujet très délicat traité avec beaucoup de finesse
@ Jacqueline : jolie lettre pleine de nostalgie…
Merci à tous pour vos histoires qui m’ont complètement emportée cette semaine !
Merci Yosha ! 😀
Je suis très chute en ce moment ! 😉
Roswelette : Une femme perdue. Cruel à lire. On a tous ressenti ceci un jour. Le jeu de l’amour, dirons-nous.
Le fameux « y laisser des plumes », ou « y brûler ses ailes » …
Ludovic : Ah j’adore ! J’adore parce que le message est positif, mais aussi parce que nous restons avec nos interrogations ! 😀
Morgane : Texte terrible lui aussi … Mais à mes yeux, le plus terrible, c’est celui qui reste et qui réapprend à vivre, là il le fait en ce geste anodin mais tellement symbolique de replier son cheche. Oui, apprendre à la plier comme il faudra qu’il réapprenne à vivre …
Jacqueline : J’aime beaucoup l’imbrication et le clin d’oeil d’un fameux conte connu de tous. Cela élève le récit au rang de conte. 😉
Bienvenue par ici, Jacqueline ! 😀
@Leiloona : la chute est super bien réussie, je ne l’ai pas vue venir !
@Roswelette : le désert pousse toujours à une certaine introspection. Un texte très sensible.
@Ludovic : ton texte m’a fait penser à Amélie Poulain et les cartes postales envoyées par l’amie d’Amélie hôtesse au père qui lui aussi fini par faire sa valise.
@Morgane : nous nous sommes souvent positionnés du côté des touriste, c’est bien d’avoir pris le point de vue d’un touareg.
Merci George ! 😀
Merci à tous pour vos si sympathiques remarques. (Amélie Poulain n’est effectivement pas si loin! )
Vous m’avez donné l’envie d’en écrire plus sur Pierre et ces mystérieuses cartes postales… Peut être lors de prochains ateliers d’écritures… La prochaine photo c’est Venise… alors ça s’y prêterait! J’y réfléchis!:D
Oh oui, ce serait excellent ! Pas envie de lâcher ce personnage. Il reste trop d’inconnues pour le moment.
Très beau texte de Ludovic qui m’a rappelé une intrigue après la disparition d’un nain de jardin dans le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain…
Tu n’as pas été la seule à y penser ! 😉
Toujours d’aussi bons textes =D Leiloona : j’aime beaucoup la chute moi aussi !! Je n’y avais pas du tout pensé xD
Si je surprends, j’ai gagné mon « pari ». 😉
Je suis vraiment en retard dis donc!!!! Maudite connexion!
Vos textes sont tristes, poignants même..
Merci