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Publié le 25 février 2013, par dans # Parfois j'écris ..., Atelier d'écriture, Une photo, quelques mots.

souk

Brouhaha de mots inconnus
Djellabas, caftans flottant au vent
Nuage de poussière sous les babouches

Souk, porte de l’Orient multicolore

Odeurs âcres de sueur mêlées
Aux épices chatoyantes
Cannelle, feuilles de romarin, de menthe

Dédale de senteurs
Ruelles labyrinthiques
Amoncellement d’argenterie et de cuir

Malgré tout ce faste
Je t’ai perdu

Débordement de sentiments
Sécheresse du désert
Ma solitude criait de sombres borborygmes

A l’effusion qui m’entourait
Répondait en écho ma perte de toi.

  © Leiloona
Crédits photo © Romaric Cazaux

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 Le texte de Jacou : 

Le bazar des souvenirs

 « Aie, aie, aie ! Ma fille ! Tu veux retourner là-bas ? Ty’es folle ou quoi ? Allez reste ici, vas. T’es pas bien avec nous ? Si. Alors, qu’est ce qui va pas ? Raconte. »

 « Quoi, non mais, je rêve ? Tu veux retrouver qui ? Vaut mieux être sourd que d’entendre ca ! Celui-là ? Il nous a pas fait assez de malheurs ! »

 Devant cette photo, ce marché d’un autre âge, les souvenirs affluent.

Qu’est devenu Pierre ? Pierre, mon ami, mon double, mon tendre.

Nous nous étions rencontrés dans un marché-bazar. Au moment de payer, je venais de me rendre compte de l’absence de mon porte feuille. Sous l’œil goguenard du commerçant, je fouillais fébrilement mon sac, quand il s’approcha, sourire aux lèvres, ayant l’air de m’avoir toujours connue.

Il tendit un billet au marchand, se chargea de mon achat ; et toujours sans rien dire, me prenant par le coude, me conduisit au travers de la foule colorée et bruyante.

J’aurais dû m’indigner, parler, fuir, mais rien de tout cela. Une confiance béate et bienheureuse m’avait envahie. Tout me paraissait normal.

Nous marchâmes longtemps, écoutant parler ces gens, leur langue rude, entrecoupée ça et là de mots français, les rendant touchants et vulnérables.

Nous regardions les mêmes choses, nous arrêtant avec intérêt et curiosité devant les mêmes objets, façonnés de façon naïve, les tissus si généreusement bariolés, enluminés de brillances argentées ou dorées.

Notre marche nous entraîna dans les ruelles étroites.

Il me semblait que tout le monde nous regardait, complice, sourire aux lèvres, regard bienveillant.

Nous nous arrêtâmes devant une porte si basse, qu’il fallut nous pencher pour la passer. Derrière, encadrée de murs de mosaïque, il y avait la cour.

Je la revois, un bougainvillée blanc, exubérance végétale, valorisant ces entrelacs de dessins, sensualité de ces formes qui se voulaient géométriques.

Nous bûmes du thé à la menthe, savourant ce goût brûlant et trop sucré.

Nous nous aimâmes là. Ardeurs, attentes confondues.

Amoureux, passionnés, naissant ensemble.

Je retrouvais mon portefeuille. Nous partageâmes la joie délicate du hasard, de cette rencontre, liée à ce banal incident, le fouillis de mon sac.

Il me dit s’appeler Pierre, il me dit sa vie présente, ses engagements moraux, son désir de me revoir.

Nous nous revîmes. Ses activités lui laissaient peu de temps.

Nous nous aimions. Nous nous aimions tellement, si forts, si purs, si confiants.

Puis, vint ce jour. Nous entendons frapper à la porte. Ma mère ouvre à deux policiers.

«  C’est bien ici qu’habite mademoiselle Janette Furtadon ? »

Je m’approche. Bousculant ma mère, l’un deux me met une photo sous les yeux.

« Connaissez-vous cet homme ? » C’est une photo de Pierre. « Vous n’avez pas intérêt à nous mentir, nous savons tout. »

« Oui, je le connais. »

« Suivez-nous. »

« Il lui est arrivé quelque chose ? »

« C’est nous qui posons les questions. »

Au commissariat, surpeuplé, j’attends, plongée dans l’angoisse.

«Où se trouve cette personne ? Nous savons que vous le savez. Inutile de faire semblant. Où est-il ? Où se cache-t-il ? »

«Je n’en sais rien. Pourriez-vous me dire ce qu’il a fait ? »

« Taisez-vous ! Répondez ! »

« Vous ne voulez rien dire. On finira par le trouver. »

Journées, nuits interminables. Inquiétudes, solitude, tortures de l’âme, questions cruelles.

« Vous pouvez rentrer chez vous. »

Chez moi, où chez moi ? Je me trouve devant un amas de ce qui était une maison.

Ma tante, au téléphone, pleure : « Ils ont mis une bombe. Ta mère… »

« Maman ! » Mais j’ai déjà compris.

« Ta mère, la malheureuse, on a retrouvé un bras, une jambe ; c’est tout ; rien d’autre ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ! »

Qu’est ce que j’ai fait ? La douleur l’égare.

« Tu ne changeras jamais ! Toujours ces mauvaises fréquentations ! Ce mauvais sang que tu nous as fait faire, ta pauvre mère et moi. Depuis que tu es toute petite ! Toutes les maladies que tu nous as fait, la rougeole, les oreillons, la scarlatine, la méningite. C’est peut-être pour ça que ty’es comme ça. Vois le résultat ; ta pauvre mère. Elle le méritait pas…

A nouveau, les pleurs.

«  Mais, tout de même, tu ne crois pas que c’est moi qui ai posé la bombe ! Je…

«  C’est comme si c’était toi ! On a vu une photo de toi, avec lui, ce révolutionnaire de malheur, ce bon à rien ! »

Nous n’avons jamais été photographiés ensemble.

« Qui ? Qui vous a montré cette photo ?».

« Maurice. »

J’ai compris. Maurice, l’ami de mon oncle, cet ami (j’entends encore mon père) qui a des relations peu recommandables.

Et je sais qu’il ne peut être un ami pour Pierre. Pierre, où es-tu ?

« Rirette, tu m’entends ? D’abord, calme-toi. Oui, je comprends. J’arrive. Il y a des choses que je ne peux pas dire au téléphone. »

Ma tante, vêtue de noir, de pied en cap, mouchoir en boule dans la main, yeux bouffies de larmes, ouvre la porte, se jette dans mes bras.

« Rentre vite ma fille, il faut pas que les voisins te voient, habillée comme ça. Qu’est ce qu’ils diraient ? »

« Laisse les voisins où ils sont. Assieds-toi et écoute-moi. »

Nouveau torrent de larmes.

« Qu’est ce qu’on va devenir ? Tu nous as mis le mauvais œil. »

« Arrête avec ces sornettes ! Parle-moi de la photo. »

« Je peux même te la montrer. »

C’est nous, sur cette place du marché bazar. C’est le jour de notre rencontre. Je reconnais les vêtements que je portais ce jour-là. Vêtements joyeusement enlevés, jonchant le sol de la cour, plus tard. Pierre où es-tu ?

La conscience du danger qu’il court me saute aux yeux. Il a été suivi ce jour là. Il est suivi. Je l’imagine traqué. J’imagine… Des larmes me montent aux yeux.

« Ma pauvre chérie ! Je comprends. Mais tu oublieras, vas ! »

La porte s’ouvre à la volée. Mon oncle.

« Rirette, Janette, il faut partir. Le gouvernement a sauté. Les révolutionnaires ont le pouvoir…

Quelques jours plus tard, l’avion atterrit en France. J’ai été obligée de suivre mon oncle et ma tante. J’étais mineure, pour quelques mois, encore. Je n’ai pas revu Pierre.

Puis, la vie continua. On me maria. J’eus un fils, Jean-Pierre.

Ma belle famille, amis très proches de mon oncle et ma tante, avaient obtenu ce que, des deux côtés, ils souhaitaient depuis longtemps. Que je sois la femme de François.

« Tu verras, ma fille. A la longue, tu t’y feras. Tu l’oublieras, l’autre. Vas, sois heureuse. ».

Et bien non, je ne m’y étais pas faite ! A cette vie de faux-semblants, à ces principes moraux qui n’étaient pas les miens, à entendre les lamentations sur le pays « volé ».

Même si je comprenais ce ressenti, moi j’étais jeune ; je n’étais pas faite pour vivre dans le passé, je ne pouvais partager l’empathie de mon mari pour ces gens, paralysés, aveuglés, confinés dans leurs éternels regrets.

Je voulais être moi, avec mon avenir, fait de rêves et d’actions.

Je ne me séparais pas de la photo, seule concession à ce passé.

Un jour, je fis faire des tests ADN. Jean Pierre avait presque trois ans.

Je montrais les résultats à François.

Sa réaction ne se fit pas attendre. Papa, maman débarquèrent le jour suivant. Elle, sur le pied de guerre, lui, faisant comme si j’étais invisible.

J’eus droit à« Tu ne mérites pas mon fils. » « Tu n’as jamais rendu mon fils heureux. » « Tu m’as volé mon fils.» S’adressant à son mari : « C’est ta faute, j’avais dit qu’elle nous apporterait que du malheur ! Grâce à dieu, on a le petit. Où il est, amour de ma vie ? Tu vas me faire mourir ? »

L’ « amour de ma vie », elle s’en est toujours désintéressée ; c’est juste un bibelot, qu’il faut avoir, pour faire comme il faut, pour être comme tout le monde.

L’ « amour de ma vie » est chez ma meilleure amie. Jean Pierre aime aller chez elle, alors que chez mamie, il faut rien toucher, se taire. Si elle pouvait, mamie le mettrait sous cloche.

A mon grand étonnement et soulagement, nous divorçâmes rapidement. J’en compris vite la raison. François se remaria peu après. Elle était un produit « pur jus »et le moule parfait de ces sentiments que, moi, je fuyais.

Je racontais son père à Jean Pierre.

Nous eûmes envie de le retrouver.

Ma tante, me fit part de ses sempiternelles jérémiades. Rien n’y fit.

J’emportais la photo, et un vague souvenir du marché bazar.

Nous nous rendîmes sur la place. Elle n’avait pas beaucoup changé.

Les étoffes offraient les mêmes promesses somptueuses, les poteries montraient leurs décorations naïvement jolies. Jean Pierre et moi naviguions, à l’aise dans ce monde, où les accents, toujours les mêmes, dévoilaient au détour d’une conversation quelques mots de français. Nous riions libres, savourant ces instants de poésie.

Je l’entraînais par les ruelles. Nous approchions de son domaine.

La même porte basse. Mon fils avait pris de l’avance sur moi. Il lisait.

Au dessus de la porte, une plaque

Ici vécut PIERRE PARDO, résistant pour notre liberté et notre dignité.

Pierre où es tu ? Saurai-je jamais ?

De retour en France, je dus faire face à une nouvelle situation. Ma tante allait de plus en plus mal. Il fallut la placer en maison médicalisée.

Maurice vint la voir.

« J’ai quelque chose pour toi. »

Il me tendit une enveloppe. Je décidais d’en découvrir le contenu, plus tard.

Que me voulait cet homme, que je n’avais jamais aimé ?

Je rentrais tard, ce jour là. Jean Pierre avait mis la table, allumé le four pour réchauffer un gratin.

Il me racontait sa journée, un projet de voyage et comment, avec des camarades, gagner l’argent pour le financer.
Je lui parlais de Mamita, de sa maladie.

Puis je repensais à l’enveloppe.

Restée seule, je l’ouvris. Je trouvais une seconde enveloppe, un nom : Monsieur M. Gornoi

Une lettre, dans cette enveloppe :

Nous savons que vous connaissez la famille de Janette Furtadon.

Elle fréquente un nommé Pierre Pardo.

Nous avons des preuves.

Un article de journal avec ces mots :

A l’ occasion du premier anniversaire de la République, une plaque a été apposée à l’ancien domicile de l’un de nos héros PIERRE PARDO.

Il est lavé définitivement de tous soupçons pesant sur lui, quand à sa fréquentation d’un nommé Maurice Gormoi, dont nous connaissons les actions terroristes à l’encontre de nos combattants.

J’écrivis à l’ambassade du pays, expliquant mes liens avec Pierre et mon désir de le retrouver.

J’eus une réponse, peu de temps après.

Madame,

Nous sommes très sensibles à votre recherche.

Nous sommes sans nouvelles de Pierre Pardo, depuis la prise du pouvoir par nos combattants.

Une lettre envoyée par un de vos concitoyens, peu après l’indépendance de notre pays, monsieur Maurice Gormoi, expliquait que Pierre Pardo n’avait jamais participé à aucune action de son mouvement. Des preuves formelles irréfutables, vérifiées par nos soins achevaient de nous convaincre de son engagement pour notre cause.

Nous restons à votre disposition.

Tous ces souvenirs, cette place, j’ai décidé de repartir là-bas. Et pourquoi pas de m’y installer ? Chez lui, non loin de ce marché bazar où tout a commencé…Pierre, où es-tu ?

 

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 Le texte de Morgane : 

LOIN

Je tends mon passeport à l’homme en uniforme assis à son poste en face de moi ;  il ne semble pas avoir l’air ravi d’être là étant donné l’air renfrogné affiché sur son visage transpirant et boursoufflé … Il scrute ma photo et la compare à mon visage une bonne dizaine de fois au point que j’en arrive à penser qu’il va me dire que ce n’est pas moi. C’est drôle comme je ressens à chaque fois ce sentiment de culpabilité lors de ces contrôles obligatoires d’aéroport alors que je sais bien que je n’ai rien à me reprocher.

Mon vol est prévu dans une heure trente maintenant. Retour au bercail ; terminé les vacances ! Je quitte Marrakech et sa place Jemaa el Fna direction la capitale Française. Le bleu du ciel va virer au gris. La température va chuter d’une bonne quinzaine de degrés. Mes flâneries en nus pieds d’hier devront se transformer en martelages de trottoirs sombres et humides demain. L’odeur mélangée d’orange et d’épices va dans quelques heures être remplacées par l’odeur caractéristique des couloirs du métro Parisien. Lundi matin, ça ne sera pas les allées du souk mais les couloirs de ma tour de verre que j’arpenterai.

Malgré des images merveilleuses derrière les yeux, ma peau halée, mes babouches dans mes valises, je sais que malgré mes bonnes résolutions touristiques, ma routine et mes tracas quotidiens vont vite reprendre leur droit. Alors dans quelques mois, ce sera un autre avion pour une autre destination avec l’envie de découvrir un autre pays, une nouvelle culture pour finalement caresser l’illusion pendant quelques jours de vivre autrement.

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Et voici vos liens : 

Céline : Touriste

Stéphanie : Le choix

Yosha : Distance

Cardamone : De partout ou d’ailleurs

L’Insatiable : Dernière tentative

Gaëlle : Ma place du marché