Je les chéris chaque matin, elles sont ma joie de vivre. Certaines écaillées, d’autres abîmées, mais elles restent toujours souriantes malgré le jour et l’heure.
Des amies de longue date. Des fidèles.
Des taiseuses aussi.
Elles ont toujours provoqué l’admiration. On se plaît à les scruter sous tous les angles. Leur grand nombre, sans doute, force le respect. On aimerait bien les toucher, mais je défends à quiconque de le faire. Elles me sont si précieuses, elles sont si fragiles aussi …
Parfois, on me regarde comme une monomaniaque. Ou une folle, au choix. Qui est-elle pour posséder autant de poupées russes ? Sont-ce ses origines slaves qui la portent à les collectionner ? Deviendrait-elle gâteuse ?
Je vois leur faux sourire en coin, une vanne toujours pendue au coin de leurs lèvres sèches et arides. Elles ont le dernier mot, et pensent détenir la vérité. Les mégères d’un certain âge pullulent. Un peu comme ces mauvaises herbes ou ce liseron dont on n’arrive pas à se défaire. Elles aussi se nourrissent du malheur des autres. Elles sont mauvaises.
Mais je souris, je ris même. Ce qu’elles peuvent être bêtes avec leurs certitudes. Uniques, cela va sans dire.
Mais je saurai le moment venu leur montrer qu’elles avaient tort. Leurs souffrances égaleront alors les miennes.
Pour le moment, je souris. Comme ces petites poupées russes. Il faut toujours se méfier de ce que l’autre peut contenir en lui.
Tous les matins, ma tasse de thé à la main, je leur parle, je leur enlève la poussière qui a pu s’accumuler durant la nuit. Je les compte aussi. En fait, il ne leur manque que la parole. Ou pas.
J’aime leur silence et leur sourire.
Aujourd’hui est un grand jour : c’est le départ d’Olga, la petite poupée aux yeux d’or. Elle me manquera, mais Nicole, la voisine du dessus, en aura plus besoin que moi. Je le sais qu’elle adore cette poupée dorée, et je veux lui en faire cadeau. J’imagine déjà quand elle ouvrira le paquet : ses lèvres sèches s’étireront en un sourire de rapace.
Oui, oui, cette poupée la fera une dernière fois sourire. Lorsque Nicole entrouvrira la poupée, s’attendant à en trouver une plus petite, ce sera la mort qui l’accueillera. A l’intérieur d’Olga, le bel Anthrax sévira. Adieu Nicole et ses mesquineries odieuses.
Oui, ces poupées me sont vraiment précieuses.
Tiens, et si je les dépoussiérais une nouvelle fois ?
©Leiloona, le 7 avril 2013
Crédits photo © Romaric Cazaux
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Le texte de Morgane :
POUPEE
Je m’étais retrouvée là, un peu par hasard, un peu par envie. Le besoin de sortir, l’idée plaisante d’avoir l’occasion de dénicher la perle rare, d’avoir le coup de cœur pour un objet hors d’âge. Cette foire à la brocante ressemblait tout de même plus à un vide grenier à mon goût. C’est avec déception que je déambulais depuis 20 minutes dans les allées lorsque j’aperçu l’étal de ce personnage rocambolesque qui me sourit immédiatement. Il avait de longues moustaches à la Dali, un chapeau haut de forme, un manteau multicolore, le tout accompagné de lunettes rouges et extravagantes à faire pâlir d’envie Antoine et ses chemises à fleurs.
Devant lui, une multitude de poupées russes aussi colorées que la veste de leur propriétaire. Je suis restée en admiration devant ces petites bonnes femmes tantôt souriantes, sérieuses ou espiègles qui détiennent dans leur ventre une multitude d’entre elle. Elles m’ont fait un drôle d’effet : Etrangement, je me suis reconnue en elles, comme si elles étaient mes semblables. Je me suis dis que j’avais également à l’intérieur de moi plusieurs Soazig … Certaines sont bien connues comme d’autres sont bien cachées. Je me suis demandée si mes désirs enfouis reprendraient des forces si j’avais possibilité d’ouvrir ma carapace comme ces demoiselles muettes qui me faisaient face. Là, face à cet inconnu qui me fixait toujours en souriant et à sa marchandise venue de terres lointaines, je me posais des questions sur mon parcours de femme. Pourquoi ici et maintenant ?
Une mystérieuse voix me sorti de ma réflexion – Un accent venu de nulle part – Un ton mi autoritaire, mi mielleux – C’était l’homme au chapeau qui me tendait un petit sachet en papier kraft :
« C’est pour vous ma jolie ! »
J’ai accepté rapidement ce présent que cet homme me tendait avec gentillesse. Je l’ai salué poliment et je suis parti vite, presque en courant, je me sentais mal à l’aise, comme oppressée …
De retour dans ma voiture, me sentant en sécurité dans son habitacle, j’ai ouvert le paquet : à l’intérieur, une poupée russe évidemment… Elle était plutôt souriante et ses motifs étaient à dominance rouge. Je l’ai ouverte sans plus attendre : à l’intérieur pas d’autre poupée mais un papier plié en 2. J’ai découvert en le dépliant qu’il contenait un message : A la lecture de ces quelques mots, une bouffée de bonheur m’a envahi … Ce fut étrange comme tout ce que je ressentais depuis une demie heure … C’était comme si ce conseil était celui que j’attendais depuis toujours. Sur le billet était écrit d’une écriture fine et penchée : « Soyez vous-même. »
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Le texte de Jacou ;
De matriochkas en babouchkas
Matriochka éternellement enceinte d’une ribambelle d’enfants.
Matriochka magique, entourée de ses enfants; ou selon la volonté du curieux, mère d’un seul, puis de deux, trois ou quatre enfants.
Mère rassembleuse, ou mère ordonnée.
Les enfants en rang, de l’aînée à la petite dernière ; mère protectrice.
Mère toujours prête à accueillir dans son giron les gracieuses fillettes.
Matriochka, inépuisablement féconde.
A leur tour, ces petites demoiselles devenues matrices, porteront dans leurs ventres de jolies bébées aux joues pommelées, yeux de biche rieurs.
Un jour, Matriochka ne donnera plus naissance à ces petites filles potelées.
Comme elles, toujours vêtue de la robe brodée, la tête enserrée dans un foulard fleuri, Matriochka deviendra Babouchka.
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Et voici vos liens :
Mamido : La vie gigogne
Stéphanie : Transmission
Yosha : Les poupées russes
Jean-Charles : Russian Dolls
Cess : La Brosse
Gaëlle : Leur emboîter le pas