L’amour est enfant de bohème

homme

© Romaric Cazaux

Penché à sa fenêtre, Antonio me suivait du regard. Je sentais ses yeux inquisiteurs posés sur mes hanches ondulantes.
Une fine gouttelette de sueur glissa le long de mon échine. Bientôt je ne sentirais plus le feu de son dard dans mon dos. Antonio avait tout d’un animal. Il était donc normal que notre relation soit à ce point primaire, charnelle.

Nous nous étions croisés la première fois chez l’épicier. Je n’avais vu de lui que ses bras. Des poils bruns les recouvraient. Ces mêmes poils que j’aime frôler et faire redresser du bout de mes doigts. Je l’avais pourtant trouvé hautain au rayon fruits et légumes, j’avais succombé à son flot de paroles devant les croquettes pour chiens.

Je n’ai alors pas mis longtemps avant de m’engouffrer dans son immeuble, le coeur battant, les jambes tremblantes. Le temps de monter et voilà qu’il m’ouvrait à tout un éventail de sensations. La vie était entrée en moi quand il m’avait pénétrée pour la première fois. Feu d’artifices de couleurs, picotements des membres, perte de conscience. J’étais devenue une autre. C’était à chaque fois avec une avidité non feinte qu’il laissait ses vêtements pour morts, couchés par terre, sans vie. Fantômes d’une ancienne vie dont je porterai pas le deuil. Son corps m’habillait alors de nouvelles tenues, renouvelant chaque fois l’écrin de volupté. Aujourd’hui encore Antonio m’a étonnée. De la fille discrète a jailli une cannibale de la vie.

Bientôt mes pas m’auront conduite à l’angle de la rue.
Ma mère m’y attend.
Après tout, je suis sa fille de 15 ans.

© Leiloona, le 1er septembre 2013

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 Le texte de Jacou : 

Fraîcheur d’âme

 

Et si je rentrais. Maintenant…tout plaquer ; les revoir une dernière fois.

Les embrasser, les gâter, les entendre et les voir vivre.

Il m’a dit d’arrêter de fumer…c’est tout ce qui me reste.

Tous les jours, sur ce chantier, à creuser, supporter cette chaleur, le vacarme des autres, la poussière, les os broyés ; s’endormir la tête vidée, pensées anéanties.

Chaque matin, retourner sur le chantier, les muscles usés, exécuter ma tâche, oublier qui je suis.

Retourner là-bas, écouter les enfants jouer, les voisins interpeller, prendre le temps de voir se coucher le soleil, refaire le monde, espérer…

Ils m’ont dit « on va vous aider »….

On voulait briser ma pensée. Changer de continent, lutter pour exister, survivre, écarter les barreaux de cette prison dans laquelle mon intelligence s’étiole.

Vivre au jour le jour, ne pas connaître le lendemain, oublier les jours d’avant.

Travailler, travailler jusqu’à l’anéantissement, abandonner ma raison de vivre, enchaîné, forçat du destin.

Non, la révolte est encore possible, je vais témoigner et dire que rien ni personne ne pourra à jamais entraver les libertés.

Enfin de l’air frais ! Tout n’est pas perdu. Je suis même capable de réparer un ventilateur.

 

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Voici vos liens :

Yosha : Je ne souffrirai plus

Jean-Charles : Guerre civile

Gaëlle : Flamme et flambeau

Cécile MdL : L’attente

Cess : Une fois

Stephie

Jak : A Rio

9 comments

  1. Yosha says:

    @ Leiloona : je ne m’attendais vraiment pas à la chute ! Très bien décrit cet éveil des sens » !
    @ Jacou : un texte qui respire la liberté malgré tout, ça me fait penser à la vie du chanteur Sixto Rodriguez qui a travaillé dur toute sa vie sur des chantiers… sans savoir qu’il était une star en Afrique du Sud !

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    • jacou says:

      J’ai été influencée par la vue des ouvriers, cet été, sur le chantier du tramway; 35°, voire plus, le bruit, les machines, l’effort physique décuplé par cette chaleur. Moi, je les contemplais, arrêtée au feu rouge, dans ma voiture, sans clim, tout de même…
      La photo a inspiré de belles histoires mélancoliques, ou surprenantes.

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  2. Jean-Charles says:

    @Leiloona : une lolita qui n’a pas froid aux fesses. 😡
    @ Jacou : Hélas travailler, travailler..Si au moins on avait une femme pour nous engraisser. :-)

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  3. Leiloona says:

    Bon, p’tre qu’une explication s’impose ?
    Le but était bien évident de perturber le lecteur qui ne se doute pas qu’il lit les pensées d’une jeune fille, et qui du coup se trouve déstabilisé à la fin.
    D’où le titre avec l’amour bohème qui ne connaît pas de loi…

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  4. Leiloona says:

    @ Jacou : c’est marrant, cette photo a donné des inspirations révolutionnaires à plusieurs d’entre vous ! 😀

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