Le fauteuil périlleux (atelier d’écriture)

© Romaric Cazaux

© Romaric Cazaux

Une chaise pour tombeau
A cet être à deux têtes
Inséparables
Et pourtant bien dissociables
Entité inamovible
Ancré sous ses paupières fixes
Mais qui a laissé
Cette chaise vide

Jamais remplacés
Toujours adulés
Ces deux-là resteront ses préférés
Un creux dans la poitrine
A jamais seule, abandonnée
Effarouchée
Par ceux qui s’approchaient

Certains s’y sont risqués
Mais toujours éjectés
Forcés de s’éloigner
De cette beauté sauvageonne.

A jamais cette chaise vide
Et tellement pleine de vous
A jamais.

© Leiloona, le 29 septembre 2013

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 Le texte de Jacou : 

PASSE EMPIÉTANT

J’étais partie en voyage, me laissant guider par le hasard et le soleil. J’avais envie de calme, de m’éloigner du monde, de ses tracas journaliers. Un peu de paix et de sérénité.

C’est ainsi que mes pérégrinations m’amenèrent dans un village que la modernité semblait avoir oublié. Pas de voitures ni camions bruyants ; le facteur y montait deux fois par semaine, juché sur une antique motocyclette ; un commerce ambulant lui succédait. Les habitants, des paysans, y trouvaient le nécessaire, vêtements, chaussures, produits d’hygiène, mercerie, les nouvelles des autres villages, celles que le facteur avait oubliées ou n’avait pas eu le temps de leur dire. Ils vivaient du produit de leurs terres, élevaient des animaux de ferme, allaient vendre au marché de la ville.

Bien sûr, moi, l’étrangère, j’eus du mal, au début, à me faire une place parmi eux. Ils se méfiaient de moi. Mes tentatives de rapprochement étaient mal interprétées.

Jusqu’au jour, où assoupie sur une chaise, profitant du doux soleil d’automne, je fus réveillée en sursaut par des cris. Cela venait de la placette, en contrebas. Une dispute occupait deux personnes. Violemment.

Je compris qu’il s’agissait de leurs enfants, d’une histoire de chamaillerie qui avait mal fini.

Je les aperçus alors, blottis l’un contre l’autre. Je m’approchais d’eux. Ils parurent soulagés de me voir, semblant attendre de ma part quelque chose.

«  Nona, elles vont se tuer. Empêche-les. »

Je me retournais. Je ne vis nulle grand-mère. S’adressaient-ils à moi ?

«Qu’avez-vous fait de si terrible ? »

« Nous, on…s’est embrassés et après on s’est endormi dans la grange. »

«J’avais cru comprendre que vous vous étiez battus et que l’un de vous était blessé. »

« Non, ça c’est nos mères qui avaient l’habitude de se disputer. Nos grands-mères, aussi, les arrières grands-mères, enfin, on ne sait pas à quand ça remonte… »

Moi qui cherchais la paix, me retrouvais mêlée à une querelle ancestrale.

C’est alors qu’elles me virent parler aux enfants, les appelèrent et partirent chacune de leur côté.

L’incident semblait clos.

Le lendemain, je partais en balade, j’entendis « Psitt. ». Une porte s’entrebâilla ; on m’invitait à entrer. C’était une des mères.

«  Mon garçon m’a dit que vous pouviez nous aider. »

«  Que puis-je faire pour vous ? »

« Voilà, c’est difficile à dire, c’est compliqué, et j’ai un peu honte Nona. Il y a très longtemps que nos familles se querellent, parce qu’elles disent que…»

Le mari entra à ce moment-là : « Tu recommences avec ces vieilles histoires ! Ces idioties, je ne veux plus en entendre parler. »

Je fus remerciée. Je passais une journée agréable, cheminant sur des sentiers bordés de vieux murets empierrés.

« Maman dit que tu habites sa maison. » La fillette m’attendait, devant la porte.

« Entre ; je vais te faire goûter ma confiture de mûres. »

Nous mangeâmes des tartines, parsemées de morceaux de noix, ramassées au cours de ma promenade.

Elle me raconta une histoire qui se disait de génération en génération dans sa famille et dans la famille de Marcello. Il était question de magicienne, de son apprenti : « Il savait rien faire, que des bêtises Et elle devait toujours les réparer. »

« Ornella, tu embêtes madame avec tes histoires. Rentre faire tes devoirs. »

Ornella me remercia pour le goûter, dit à sa mère que je faisais la meilleure confiture du monde, et partit faire ses devoirs.

Je n’eus pas le temps d’interroger la mère. A qui appartenait cet endroit où je logeais ?

Le lendemain, même heure : «  Maman dit que tu lui ressembles. » Marcello était assis sur la chaise ; il tenait un papier à la main, qu’il me tendit. J’y vis la maison que j’occupais, le chaudron et du chaudron s’échappaient des serpents longilignes, se répandant dans la rue.

« C’est ce qui est arrivé ici, il y a très longtemps. »

« Brrr, j’aurais pas voulu y être. Tous ces serpents.»

Il éclata de rire : « Mais non, ce sont des spaghettis ! »

«  Des spaghettis ? »

«  Oui, et c’est la faute d’Antonio, pas la tienne, Nona… »

Il posa le dessin sur la chaise et partit en courant.

Que venais-je faire dans cette histoire ?

Cette nuit-là, je rêvais de spaghettis serpentant dans le village, gagnant les villes, le monde entier. J’avais trouvé la solution à la faim dans le monde. Il y en avait partout. Bien sûr, tout le monde ne pouvait pas s’offrir des spaghettis à la bolognaise, à la carbonara, il restait du chemin à faire pour une réelle égalité…Mais où est-ce que je vais, moi ? Me voilà en train de refaire le monde !

D’abord je ressemblais à qui ? Et cet Antonio, qui était-ce ?

J’allais à la mairie du village consulter les archives. Celles-ci avaient été transférées à la ville.

Je me retrouvais face à un ordinateur. Tout était classé, scanné, ordonné.

Je finis par découvrir ce qui m’intéressait. Mon village d’adoption.

Je fis une bien curieuse découverte. Il y était question d’une Gabriella Strega. Et je m’appelle Belinda Strega. Puis, et j’allais de surprise en surprise, d’un…Antonio Strega !

Antonio, le roi des bêtises ! Cette Gabriella était-elle mon aïeule ? Cette soi-disant ressemblance ? Nona ? J’étais de plus en plus troublée.

J’appelais ma famille : «  Ah, bon, tu n’étais pas au courant ? »

« Au courant de quoi ? »

« Nous avons une arrière, arrière grand-tante qui était guérisseuse dans un village. Comme elle ne pouvait pas avoir d’enfants, elle a adopté un orphelin, Antonio, je crois. Elle a eu du mal avec son éducation. Il faisait les quatre cents coups. Mais il s’est assagi avec le temps, est devenu un célèbre guérisseur, connu dans le monde entier. »

De retour au village, je voulus en savoir plus. Tout le monde était au courant de mes recherches.

Les deux mamans arrivèrent ensemble devant ma porte, l’air gênée.

« Voilà, nous avons décidé de tout vous dire. »

« C’est…  commencèrent-elles en même temps.

« A toi, vas-y. »

« Non à toi. »

« Vous n’allez pas vous disputer. Installons-nous. Prenez votre temps. Je vous écoute. »

« C’est que…D’abord il y a votre ressemblance. »

« J’ai moi aussi quelque chose à vous apprendre. Mon nom est Strega. Et maintenant, je sais qu’une Gabriella Strega a vécu, ici. »

« Strega Nona *! » s’écrièrent-elles en même temps.

« Pourquoi Strega Nona ? »

«  Gabriella est arrivée, il y a longtemps, un jour de plein hiver. Elle est passée de maison en maison, apportant des tisanes, du bouillon. Que sais-je ? Le lendemain, plus de toux, de maux de tête, les alités se sentaient revivre. Gabriella savait les plantes guérisseuses. Nous prîmes l’habitude de la consulter. Elle allait aider les autres villages. Un jour, elle revint avec un enfant, dont elle n’avait pu soigner la mère. Il était seul et elle aimait tellement les enfants… »

« Mais cet Antonio lui donna bien du fil à retordre. Toujours à se fourrer là où il n’aurait pas dû, impoli et insolent, par-dessus le marché. Et voilà qu’un jour Margharita fit, comme c’était la coutume, une tournée de pâtes pour tout le village. Lorsqu’elle les eut fabriquées, chacun vint chercher sa part. A l’heure du repas, il ne restait plus qu’à les mettre à cuire. Dans le village ces jours-là, ça embaumait, dans l’air se mélangeaient des odeurs de pistou, d’oignons frits et de sauce tomate confite. »

«  Sofia fut la première à subir le mauvais sort. Les spaghettis gonflaient, gonflaient dans l’eau ; elles ne pouvaient les arrêter ; ils s’échappaient de son chaudron, glissaient sur le sol, filaient à travers la cuisine, sortaient par la porte. Bientôt, le même phénomène se répéta dans toutes les maisons. »

«  On partit chercher Strega Nona. On ne trouva qu’Antonio Sa mère était partie cueillir des herbes. »

«  Les villageois l’attendaient de pied ferme. Quand elle revint, elle les trouva, visages fermés, à l’entrée du village. Ils l’accusèrent du désastre, ne l’appelant plus Gabriella, mais Strega Nona : la grand-mère sorcière. »

«  Elle comprit vite. Voilà quelque temps qu’Antonio lui posait des questions, sur des recettes et autres secrets culinaires. Il avait été particulièrement intéressé par cette poudre à levain…

«  Antoine avoua qu’il avait mélangé à la préparation de Margharita toute la poudre. Il dut nettoyer, sectionner les spaghettis, tentacules géants et gluants. Il fut même question qu’il mange l’équivalent du poids de tous les habitants réunis, en spaghettis. Mais on lui en fit grâce. »

« Depuis ce fameux jour nos familles se disputent. Margharita est ma bisaÏeule. »

«  Sofia est la mienne. »

« Sofia a d’abord accusé Margharita d’avoir négligé la pâte. Margaharita ne lui a plus parlé depuis ce jour-là. »

« Depuis ce temps, nos familles se disputent. Mais vous êtes arrivées; et grâce à vous nous sommes réconciliées, Strega Nona. »

« Et heureusement que nos enfants n’ont pas hérité de notre sale caractère ! »

*Je demande à Tomie de Paola, auteur du célèbre conte, de me pardonner pour l’emprunt et aussi pour les spaghettis.

 

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 Le texte de Morgane : 

1 2 3 …

1 2 3 Nous irons au bois …
Cette chanson enfantine résonne aux creux de mes oreilles lorsque je franchis la grille du jardin. C’est étonnant comme rien n’a changé, comme figé dans le temps, même les odeurs me renvoient une vingtaine d’années en arrière … Du temps où une longue natte virevoltait dans mon dos lors de nos jeux d’enfants à travers champs : Le temps de l’insouciance, de mes vacances d’été à la campagne que j’attendais plus que le 25 décembre …

4 5 6 Cueillir des cerises …
C’est comme si j’étais happée par une bulle de bien être lorsque je m’approche de la porte d’entrée … Elle est entrouverte : Bastien est donc déjà arrivé. Mon cœur bat la chamade à la simple idée de croiser le regard de celui qui a tant compté dans mon enfance. Miracle des réseaux sociaux, Bastien et Moi nous sommes croisés sur la route du net au moment où ma vie battait de l’aile, où je me débattait dans une triste guerre armée de mon avocat pour me défaire de cette belle aventure que l’on nomme mariage.

7 8 9 Dans mon panier neuf …
Aujourd’hui est un grand jour : Celui des retrouvailles.
Le clocher du village annonce 16:00. Les poules de la mère Brugnard caquettent dans le jardin d’à côté. Un chat rouquin baille d’avoir trop fait la sieste au soleil. Ici les choses ont toujours été simples. C’est sans doute pour cela que je m’y suis toujours plu et que la vente de la maison de ma grand-mère lors de son brutal décès m’a tant bouleversé … En arrivant dans le hameau, je n’ai pas osé tourner la tête en passant devant la longère de peur que mes souvenirs se bousculent et que l’émotion me submerge avant d’arriver.

10 11 12 Elles seront toutes rouges …
Je frappe au montant de la porte mais je n’ai pas de réponse. Je pénètre prudemment dans le couloir puis dans la cuisine où une alléchante odeur de café m’accueille. Ici non plus rien a changé, tout est à sa place … Cette maison est restée dans la famille de Bastien malgré que ses occupants ont du se résoudre à s’installer dans une maison de retraite près des parents de Bastien suite à plusieurs chutes pour Louis et à une conduite plus que dangereuse pour Henriette lors de ses excursions hebdomadaires vers le village voisin.
« 1 2 3 Nous irons au bois ! » Bastien chante derrière moi ; ses mains cachent mes yeux de la même façon que lorsque j’avais 10 ans … Je me retourne en lui chantant à mon tour « 4 5 6 Cueillir des cerises ! » C’est un colosse de presque 2 mètres qui me fait face : Il ferait peur à un catcheur américain ! Je retrouve le même regard tendre et rieur de mon ancien compagnon farceur. Il n’a pas le temps de répondre 7 8 9 que je me réfugie dans ses bras comme du temps de mes genoux écorchés. Mes larmes roulent et coulent le long de son t-shirt 3XL. Bastien me murmure des mots tendres et apaisants. Je me sens bien lové contre son immense torse ; j’ai la sensation que rien ne peut plus m’atteindre, que les problèmes sont et resteront derrière moi. Bastien caresse mes cheveux délicatement et me demande :  » Tu ne fais plus de natte ? » Je retrouve le sourire … Décidément, rien n’a changé …

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 Et voici les liens vers vos textes : 

– Stéphanie : Ma copine Marceline

Yosha : C’était là

– Cardamone : MTCF, MTCS

Stéphie 

Oli

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27 comments

    • Leiloona says:

      Oui, pas forcément super gai, en effet … ce texte m’est venu assez tard. En sortant du ciné en fait …
      J’ajoute ton lien !

      Répondre
  1. stephanie says:

    @leiloona: un style reconnaissable entre mille, toujours très poétique, avec de jolies mots et de jolis rythmes.
    @jacou: un vrai conte loufoque! les querelles anciennes ont la dent dure!
    @morgane: superbe cette petite comptine qui tourne dans ton texte, j’aime bcp

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  2. Morgane says:

    J’admire cet art que tu possèdes d’être poétesse … Bravo Leiloona !
    Coup de cœur pour la Marcelline de Stéphanie : très bon moment ; à la fois drôle et triste …
    Bonne semaine !

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  3. Yosha says:

    Ton texte entre en résonnance avec le mien… c’est vrai que cette chaise inspire un « vide plein »

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  4. Naniloup says:

    Je n’ai pas eu le temps d’écrire mon texte cette fois-ci. Est-il trop tard si je mets le lien en commentaire ce soir ?

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    • Morgane says:

      Il faut toujours croire aux belles histoires … Surtout si elles sont douces !

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  5. Cardamone says:

    @Leiloona: Beau et triste!
    @Jacou J’adore! Plein de vie et d’imagination!
    @Morgane Bel effet la comptine pour un texte joliment tendre

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    • Morgane says:

      Merci Cardamone !
      J’ai apprécié être dans l’enfance, le tendre et dans les retrouvailles cette semaine car la semaine dernière j’étais dans l’absence, le triste et la fin de vie … …
      Un peu de douceur dans ce monde de brutes quoi !!!

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  6. Soène says:

    Décidément, je n’arrive pas à capter ta photo et à y inventer une hisoire 😥
    Leiloona, j’aime beaucoup ton texte doux-amer. Une chaise vide ça évoque tant de choses…
    On trouve encore de ces paysages dans certains petits villages.
    Bonne semaine et bises de Lyon

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    • Leiloona says:

      Il y a des photos plus compliquées que d’autres, peut-être la prochaine aura-t-elle plus d’impact sur toi ? :)
      Bises parisiennes.

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