Dis-moi, Alice, quelle porte ouvrir ? (Atelier d’écriture)

@ Marion )Twenty three peonies)

@ Marion (Twenty three peonies)

J’avance à pas feutrés. L’odeur de la cigarette flotte toujours autour de moi, elle forme un halo invisible et me donne du courage. La lumière tamisée m’empêche de voir le fond du couloir. A peine si je distingue encore à un mètre devant moi. Je tâtonne, mes pieds heurtent la moquette. Je ne sens pas le sol sous moi.

J’avance pourtant, dans ce clair-obscur qui est devenu mien. Mes yeux s’habituent à la lumière, je titube, l’alcool m’empêche d’avoir peur. Des autres. De moi.

Quelle porte ouvrir ?

J’imagine quelle pourrait être ma vie derrière celle de droite. Une vie rangée : une famille, deux enfants, un chien, un chat, une maison neuve. Nous aurions dessiné les plans, nous nous serions déjà imaginés dans notre nouvelle création, celle qui serait venue après les enfants. L’accomplissement final. Enfin, avant la maison de campagne. La famille unie fourmillerait de projets. Avancer ensemble, faire face ensemble aux tourments … Une vie vernis de façade ?

Je tourne la tête, j’ai encore sur la langue le goût de la menthe qui accompagnait les mojitos : la porte de gauche. Traditionnellement la gauche n’apporte pas la chance. Une vie à bourlinguer, sans pouvoir se poser. Ni enfant, ni mari, ni patrie. Les femmes mariées envient ma liberté, mes dimanches à roupiller jusqu’à midi, mes soirées à sortir. Encore et toujours. Jusqu’à m’étourdir, jusqu’à vomir.

Je souris. Je n’ai jamais su quelle vie choisir. Je suis Alice. Tantôt petite, tantôt grande, j’oscille entre deux états. La porte de gauche, celle de droite ?
Mes pas me portent encore plus en avant. Nul bruit ne parvient à mes oreilles. Je suis seule avec moi même.

J’arrive à ma chambre. Je pose alors mon front sur le bois froid. Mes mains tremblent. Encore une nuit au milieu de ses draps froids, sans vie. Une chambre d’hôtel vide de toute vie. Ma chambre. Ma vie.
A force d’hésiter, de ne pas savoir quelle porte ouvrir, seule celle de la solitude s’est ouverte à moi.

© Leiloona, le 27 octobre 2013

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 Le texte de Monesille : 

Suspect !

Toujours les mêmes pas dans ces mêmes matins
Ces mêmes claquements de portes c’est certain
Et les lumières glauques que personne n’éteint
Pour rien

Toujours les cœurs battants aux angles des couloirs
Les coups de l’oeil furtif pour guetter dans le noir
Le fantôme tapi que l’on croit entrevoir
Le soir

Toujours nos têtes droites que l’on n’ose tourner
Nos angoisses d’échos qui suivent nos trajets
Et ces monstres griffus prêts à nous dévorer
Bébés.

Toujours nos soupirs d’aise et allégés nos corps
Quand les verrous tournés sur nos moelleux conforts
On allume l’écran sur un polar au mort…
Suspect !

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 Le texte de Morgane : 

Rendez-Vous

Rendez-vous fixé ; Sens émoustillés ; Direction un bain chaud et parfumé.
Mes pensées vont vers Louis : vers ses yeux bleus gris, son air sur de lui, son esprit averti, ses baisers attendris.
Sur mon corps une crème saveur jasmin et dans le creux de mes seins, une goutte de parfum.
Sous ma robe, des sous vêtements affriolants, des portes jarretelles évidemment.
Sur mes lèvres un rouge carmin, ma plus belle perle sur ma main et dans mes pieds des Louboutin.
L’heure venue, toute tendue, je cours presque dans la rue.
Durant ce trajet mon esprit est ailleurs : espérant la langueur qui suit nos corps en chaleur.
Au rythme de mon cœur qui bat, le son de mes pas sur ce long parquet en bois.
Enfermée et isolée dans cette chambre, il ne me reste plus qu’à l’attendre.
Sur mon écran son désistement, en s’excusant comme habituellement …
Sur mes joues des larmes noires assorties à mon désespoir …
Pourquoi je crois au prince charmant, marié forcément, alors qu’il me raconte du vent.
Je renfile mon pardessus en jurant pour la énième fois qu’il ne m’y reprendra plus.

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Le texte de Jacou :

Esprit censuré

 

A la vue de cette photo,

Le numéro cent,

Je me fais un sang d’encre,

Car sans idée, je reste.

J’ai beau la tourner dans tous les sens,

La mettre sans dessus dessous,

A la regarder,  je ne ressens rien.

« Lost in translation ».

Je me sens perdue tout court,

Avec ou sans traduction,

Dans ce couloir, où je dois  ressentir

Des sentiments de sensualité.

Pas même un semblant de frisson,

Pour alimenter mes sensations.

En un mot comme en cent,

Pas même un sanglot

Long des violons de l’automne.

Voilà que je me laisse aller

A copier du Verlaine.

La semaine passée, c’était du Carême,

Bientôt ce sera Blaise Cendrars.

Avant que ne  s’enfuient

Le peu de mots qui me restent

Je me hâte de conclure :

Vive la centième !

 

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 Le texte de Louis : 

Un de ses mondes sans bruit, que le rythme entraîne pourtant, je n’ai jamais écris, que d’ordre dans le vent, et le souffle court, plus proche de l’effort, que du monde de l’esprit, du monde qui s’endort. J’ai découvert la vie, bien au loin des ports, aux creux des infinis, des infinis sans bord, des océans sans vie, des océans sans mort, j’y ai fait naître et vivre mon esprit, mon âme et mon corps.

Les hommes meurent sous les mers, et naissent sur les terres, fertiles ou dessertes qu’importe, l’on peut y poser pied. Mais nul chose n’est faite pour l’homme sur les océans, il y vit contre sa propre nature, au grès des grands torrents, et forme et forge un nouveau murmure: celui de l’homme qui dors, sur les eaux sur l’azur, qui chante à la mort, les chants immortels et impurs, que lui offre le vent.

Je découvre en ce jour où j’écris et je vis à nouveau pour la première fois, ce que l’on appelle d’après les plus grands ouvrages des plus grandes bibliothèques que jamais non mon regard n’eut croisé, un couloir. Il est devant mes yeux, et la mer m’a bercée devant lui immobile, je me met à trembler. Aucun mouvement, aucune forme, aucune courbe que la mer eut créée n’en ressort. Des lumières que les ombres engloutissent. Ce monde n’est pas le mien, et pourtant j’y écris, mes premières et dernières phrases, je parviens plus loin que jamais, plus loin que le fond de ce couloir, qui ne finit pas. J’écris parce que je sens, et j’écris pour sentir plus encore. Je créé dans le tumulte des sens qui m’emporte, par mon encre des mots d’ailleurs, des mots qui n’existe que sur terre, sans aucun autre sens que celui que je leur donne. Alors je sens et vois ce qui devant mes yeux prend soudainement forme, et qui m’entraine, vers ce qui au plus profond de mon être me compose. Au travers de ces mots une partie de mon être, sa plus grande partie, naît et vit. Ses mots alors pour mes yeux ont plus d’importance que tout autre, et à vos yeux, forment ce qu’ils doivent former, et qu’importe ce que vous en pensez.

 

Il est des couloirs sans mur, où se perd mon esprit. Il est des sensations jusqu’au murmure de la vie, jusqu’au silence dans l’azur, jusqu’aux bruits dans la nuit où l’ombre sommeille, où l’ombre dort, dans les merveilles, qui bercent mes jours, qui bercent et m’endors quand je veille par amour sous l’étoile du Nord, quand je vis et m’éveil au retour vers le port, au secours de la nuit, vers l’âme et l’aurore, je me perd à la vie, à la vie de ton corps.

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 Les liens vers vos textes : 

Stéphanie : Chambre

Camille : Nuit blanche

Yosha : New-York New-York

Cess : Le couloir de la mort

Stephie 

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29 comments

  1. Cess says:

    J’ai adoré tous vos textes, tous très différents les uns des autres, pas si sombre que cela finalement mais souvent nostalgiques… Bravo :)

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  2. Didi says:

    Une belle centième !
    Je n’ai pas participé autant que je l’avais dit…
    Bises et belle semaine !

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  3. Morgane says:

    100ème de Qualité !!! !!!
    Leiloona : J’aime J’aime J’aime – Coup de cœur matinal !
    Monesille : Chapeau bas …
    Louis : ouh la la – Quelle plume !
    Bonne centième à toutes et à tous !!!

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  4. Yosha says:

    @ Leiloona : superbement pensé et écrit, j’adore ces portes choix de vie et la référence à Alice !
    @ Morgane : très finement observé et et décrit, on est vraiment dans la peau de ton personnage, son anticipation et sa déception
    @ Monesille : magnifique poème chargé d’une atmosphère inquiétante !
    @ Jacou : écrire sur l’absence d’inspiration… pas mal !
    @ Louis : oui en effet, quelle plume ! Un peu eu l’impression d’être ballotée par les vagues de l’océan…
    Et vive la centième !!!

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  5. stephanie says:

    tres contente de lire les textes de cette centième, et tjrs ravie de participer à cet atelier! jacou j’aime ton détournement de cette photo, leiloona, je suis de l’avis de yosha et je trouve géniale cette vision de porte de vie et de non choix qui en créé pourtant un. morgane une bien douce preparation pour une triste deception…
    BRAVO à tous pour faire vivre cet atelier

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  6. Moka says:

    J’ai aussi mon côté Alice. Et du coup, je me sentais un peu trop perdue dans ce couloir pour me prêter au jeu… Mais tes mots me parlent. Tellement.

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    • Leiloona says:

      Hum, pourtant je t’assure que lorsque je pense à toi, je ne t’identifie pas du tout, mais pas du tout à mon personnage. Tu es tellement vivante … une croqueuse de moments rares.

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  7. Marion says:

    Merci beaucoup Leiloona pour m’avoir donné la chance de partager mon image autour de cet atelier. Chaque texte m’aura fait ressentir de l’émotion. Et c’est drôle, j’en avais écrit un un peu dans l’esprit du tien il y a quelques années, il résonne beaucoup en moi. Je n’ai pas encore assez confiance en moi pour participer, mais qui sait, peut-être bientôt :-)

    J’ai partagé ici : http://twentythreepeonies.wordpress.com/2013/10/29/une-photo-quelques-mots-leiloona-moi/

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    • Leiloona says:

      Ah c’est rigolo d’avoir écrit le même genre ! :D
      Et non, ne me remercie pas, tu rigoles ??? C’est toi que je dois remercier au contraire, car j’aime beaucoup ce qui se dégage de tes photos ! :D

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  8. monesille says:

    oui, jolie première centième !
    @leilloona, très belle idée la référence Alice ! un texte qui serre le coeur.
    @Jacou chapeau la diversion !
    @Yosha, j’ai adoré new-york, new-york !
    @Marion, chaud le texte mais la chute…Chut, je n’en dis pas plus.

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  9. Soène says:

    La 100e arrive à grands pas ou bien elle est arrivée ?…
    Au secours, j’ai perdu pieds…
    Ne m’en veux pas :wink:
    Bisous
    J’aime bien ce bout de vie d’Alice un peu flippant, j’ai trouvé… :lol:

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  10. Kmill says:

    Leiloona et Morgane j’ai adoré vos textes, je les trouve assez proches d’une certaine manière dans ce hasard de la vie que vous illustrez chacune de votre regard.

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