Singes de la sagesse ? (Atelier d’écriture)

© Kot

© Kot

Cela n’avait pas toujours était comme ça.
Avant, avant il y avait un certaine sérénité : me lever, aller à l’école, au parc, chez des copains, me balader avec maman, papa aussi parfois.
Des piques-niques dès les premiers jours de beau, on s’allongeait et on regardait les nuages et le temps qui passe.
Puis la révolte s’était mise à gronder. De loin. On pensait alors qu’elle ne viendrait pas jusqu’à nous. La souffrance restait lointaine, à l’étranger, sous le joug de gouvernements extrémistes. Et puis, nous étions une civilisation évoluée, les Lumières étaient passées par là, nous ne pouvions pas être touchés par des barbares.

La révolte s’était alors rapprochée, main mise dans l’ombre, sournoise, manipulatrice, la victime pour certains, le bourreau pour d’autres.
Inhumaine, sans aucun doute.
Atroce et indicible.
Mais là encore, nous restions sourds à cette menace, nous la déplorions, mais notre quotidien, nos tracas existentiels l’assourdissaient.

Alors, elle s’était propagée, son heure était arrivée. Ils sont sortis de l’ombre, tous. Menace entraînée depuis des années. Nous avons alors été pris en étau, couteau sous la gorge, larmes sèches, yeux ouverts sur cette incompréhension. Les grandes puissances s’étaient alors éteintes les unes après les autres. La menace avait bâillonné les Grands.
Vanité des choses, vanité des hommes.

Aujourd’hui je cours. Comme cet enfant.
Regard en arrière, vers ce passé à jamais révolu ; jambes en avant fourbues de cette traque ininterrompue.

©Leiloona, le 5 octobre 2014

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Le texte de Anne-Véronique Herter :

SI JE COURS PLUS VITE :

Si je cours plus vite, je peux les rattraper. Ils sont à quelques pas de moi, mais ils ne me voient pas. Ils sont bien occupés avec leurs affaires de grands : Leurs manifestations, leurs rassemblements. Mais eux, ils ne jouent plus. Ils sont bien trop sérieux pour cela.
Ma maman m’a dit de rester à la maison, que dehors c’est dangereux. Mais c’est dangereux pourquoi ? Quand ils ne sont pas contents, les grands deviennent violents ? Pourtant, maman me gronde si je lui dis non ou si je me fâche avec ma sœur. Même si elle a tort et que j’ai raison. Elle veut que l’on soit toujours d’accord avec Manon.
Et puis, les grands nous punissent si on se bat à la récré.  A l’école, on doit rester 2 par 2. On doit suivre les règles,  être comme les autres, avoir des bonnes notes, ne pas salir nos vêtements. Faire pareil, ne pas être différent, rentrer dans le rang.
Je veux bien, mais je les vois et je ne comprends pas. Si les grands ont le droit, pourquoi pas moi ? Je dois les rattraper pour voir ce qu’ils ont à cacher. Ils crient non, mais non  à quoi, je ne sais pas.
Si je me dépêche, maman ne verra pas que j’ai ouvert la porte doucement, que j’ai dit chut Manon et promis un bonbon. J’ai descendu les escaliers, maintenant je cours dans la rue. Je regarde. Il n’y a pas d’autres enfants. Que des grands. Et ils s’en vont. Ils sont partis. Je reste seul et je n’ai rien compris.
Je n’ai pas pris mon manteau, il commence à faire  froid. Mais sois tranquille maman, je ne me tacherai pas…
Les murs salis, les barreaux aux fenêtres, un trottoir gris. Je serre mes poings et je réfléchis. Maman doit avoir raison. Le monde des grands n’est pas très joli.
Mais alors, dans une vie, à quel moment on oublie tout ce que nos mamans nous ont appris ?

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Le texte de Ludovic :

Fugue !

Non, je veux pas!

J’ai peut être que 8 ans, mais j’ai tout compris à leur manège.

Ça dure depuis des jours, ils ne sont plus d’accord.

C’est à cause de Papa. Je l’entends dire que ce serait mieux pour moi, que ça ne peut pas continuer comme ça…

 Alors j’ai pris une décision, je m’en vais. J’ai préparé un petit sac, avec mon doudou, il aurait eu trop peur de rester tout seul à la maison. J’ai aussi mis un gouter et mon gros pull, celui que m’a tricoté ma grand mère Josiane.

J’ai ajouté ma petite lampe de poche, celle contre les cauchemars des nuits trop noires.

 Je savais que ça finirait par arriver. C’est arrivé à presque tous mes copains depuis la rentrée des classes. J’étais presque le seul de ma classe, avec Gaëtan. Mais lui ses parents sont supers! Ça se voit, quand ils viennent le chercher à l’école. Sa maman est super jolie, son papa est toujours souriant! Ils regardent Gaëtan avec des yeux, les mêmes que ceux de maman quand je reviens de colonies, l’été, on dirait qu’ils ne l’ont pas vu depuis un mois.

 Pour la nuit j’ai tout prévu, je vais m’enfermer dans notre cabane secrète. J’ai été obligé de prévenir Matéo. Mais il n’a pas intérêt à le dire! Depuis une semaine, il m’a aidé, on prépare tout, on a apporté une vieille couverture et du chocolat. Il a même réussi à sortir une tranche de jambon du frigo de son père, pendant le week end. Il est cool le père de Matéo, depuis le divorce. Comme il voit Matéo qu’un dimanche sur deux, ce dimanche là, Matéo est le roi du monde! Alors la tranche de jambon est passée inaperçue!

 J’ai vraiment compris quand j’ai entendu maman parler avec mamie Josiane au téléphone.

« …peut plus durer, ce sera mieux pour lui… Je n’étais pas d’accord mais son père a raison. Ce sera mieux comme ça. Je dois m’y faire, maintenant qu’il a grandi. On a rendez-vous mercredi à 14h… »

Pas eu besoin d’en entendre plus. Je suis monté dans ma chambre, et j’ai pleuré. Ça y est j’allais être comme tous mes copains…

 Avant de partir, j’ai quand même laissé un mot à maman, en évidence sur mon lit. Je voudrais pas qu’elle s’inquiète trop longtemps.

Dessus j’ai écrit:

 « Maman, Je ne veux pas aller chez le coiffeur! Puisque vous avez décidé de me couper les cheveux, je m’en vais!

                        Martin! (qui vous aime quand même!)

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Le texte d’Hermione (notre benjamine de 11 ans ! 🙂 ) :

Un petit garçon orphelin,

Court dans une rue déserte,

Et se sent abandonné.

Sans force, n’en pouvant plus, et épuisé,

Il se laisse alors tomber

Sur le trottoir froid et glacé.

 

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Le texte de Nadine : 

J’AI TROP FROID PAPA…..
Au secours, je voudrais que quelqu’un me tienne par la main papa, je cours, j’ai tellement peur de tomber….
Tu vois pas papa, tu vois rien d’abord
Tout est sombre et noir autour de moi
J’suis tout seul, j’entends encore ta grosse voix de papa et ta main sur maman
La fenêtre de la cuisine est ouverte
« Maman, maman, arrête papa…tu fais mal
J’suis trop petit, tu vois pas
Le noir de la rue, c’est pas pour moi papa
J’veux du lait chaud et d’la  brioche, j’veux qu’on m’console
Et qu’on répare ma maman!!!!!
Que tout r’devienne comme avant
 Qand ma maison était douce
Au secours, au secours

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Le texte de Stéphanie : 

J’ai 8 ans. Je m’envole. Je laisse derrière moi l’ombre de mes parents pour dessiner la mienne. Ils sont figés et ne bougeront plus.
Mon élan est un appel. « Ne pas me retourner, courir, courir… »
Je vous abandonne dans des trous noirs, pourtant je suis heureux.
Je m’élance vers ma destinée.
Le temps s’est écoulé depuis cette photo, tout comme mes larmes.
Je cours encore et n’arrive toujours pas à l’attraper, cette destinée!

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Le texte de Magali : 

Tu es douleur.

Tu es couleur.

Ombre sur ma vie d’enfant.

Ma vie d’avant.

J’ai grandi.

J’ai fui par les rues claires ton ombre du matin. Celle qui fait pleurer de peur et grandir trop vite.

J’erre dans les rues, seul et adulte. J’avance malgré ton ombre toujours présente.

J’avance et plus rien ne me retient. Pas même toi, pas même ma peur de toi, ma peur de vivre et d’être heureux.

Regardes moi bien une dernière fois.

 

J’allume le soleil et tu disparais. Une bonne fois pour toute.

 

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Le texte de Lady Marianne :

un quartier sordide
que fais tu petit garçon ?
tu détales tel un bolide
on t’a proposé des bonbons ?
ne dit pas où tu résides
tous les hommes ne sont pas bons
tu es trop intrépide
quelqu’un t’attend à la maison !
il y a tant d’infanticides
je t’en supplie fais attention

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Voici vos liens : 

Aurélia

Fanny

Dame Mauve

Jean-Charles : Il court, il court l’enfant

Myrtille

Paikanne : Un regard

Titine

Sabine : Une histoire de buissons

Sarah : Quand tu seras grand

Josette

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41 comments

  1. sabariscon says:

    Je me suis laissée totalement piégée par ton texte Ludovic. Bravo pour cette chute géniale!
    Leil j’adore cette variation super sensible autour des aléas de l’humanité et de l’actualité.
    Anne-Véronique, je suis conquise par ton petit bonhomme et son regard à la fois curieux et lucide sur le monde des grands.

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    • Leiloona says:

      Je n’ai pas réussi à me détacher de ce regard apeuré … du moins je l’ai interprété comme tel.

      Répondre
    • Anne-Véronique says:

      Merci ! J’ai eu tellement de mal à rentrer dans sa tête…

      Répondre
  2. ladymarianne11l says:

    un quartier sordide
    que fais tu petit garçon ?
    tu détales tel un bolide
    on t’a proposé des bonbons ?
    ne dit pas où tu résides
    tous les hommes ne sont pas bons
    tu es trop intrépide
    quelqu’un t’attend à la maison !
    il y a tant d’infanticides
    je t’en supplie fait attention
    Lady Marianne

    Répondre
    • Leiloona says:

      Oui, j’adore voir ce que chacun a vu … nous avons tous un point de vue différent, avec différentes ambiances et différents genres aussi. 🙂

      Répondre
  3. Jean-Charles says:

    @Leiloona : Nous avons un peu le même toile de fond avec bien plus de plus en finesse chez toi. 😀

    @Anne-Véronique : Une autre façon de voir cette photo à travers les yeux interrogatifs d’un enfant.

    @Ludovic : C’est jamais bon d’écouter aux portes, ça provoque des réactions inhabituelles. 😉

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  4. Ludovic says:

    Et bien que de participations cette semaine!
    Leiloona> quelle force encore dans ton écrit, dans une forme pourtant tres différente de ce à quoi tu nous as habitués! Il y a du matin brun dans ton texte. Comment aurait on pu éviter ca? Pensons y avant d’avoir nous aussi à nous poser cette question! Superbe!

    Anne véronique > une jolie façon de dénoncer ce monde des grands qui marche si souvent à l’envers et qui doit être tant de fois bien obscure pour nos p’tits bouts… Et j’en suis le témoin chaque jour! Bravo!

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    • Leiloona says:

      Tu as vu ça ! Incroyable, hein ! 😀

      Je n’ai pas encore réussi à lire ce que j’avais posté entre hier et tout de suite … Je m’y attelle petit à petit … Entre le goûter et les jeux ! 😀

      En tout cas, je te remercie. Oui, il y a de ça … la montée des extrémismes … sans qu’on y prenne garde. Je ferai « Matin brun » cette année. Un récit d’une force incroyable.

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    • Anne-Véronique says:

      Merci Ludovic les autres textes sont vraiment forts ! Mais il y en a tellement… je passe de l’un à l’autre sans me rappeler qui a écrit quoi ! C’est comme une boîte à trésors ! 🙂

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  5. Leiloona says:

    @ Anne-Véronique : J’adore la dernière phrase qui ponctue parfaitement ce texte qui permet de donner la parole à cet enfant. 🙂

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    • Anne-Véronique says:

      Merci Leiloona. Pour moi c’était vraiment la question… quand perd-on nos illusions notre attention à l’autre, notre respect pour son voisin… entre ce que l’on apprend à nos enfants et ce que l’on montre en exemple il y a vraiment un pas…. que je ne comprends pas…
      Votre texte est très puissant également. Qui donne vraiment à réfléchir avec des mots si justes

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  6. Leiloona says:

    @ Ludovic : oh punaise la chute est excellente ! J’ai accéléré ma lecture, la tension était à son comble ! Je pensais à un truc terrible … J’adore tout : le côté enfantin (il est souvent difficile de faire vrai quand on fait parler un enfant, mais là chapeau …), la chute, la tension … 🙂

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    • Ludo says:

      Merci☺️ J’avais envie de me détacher du côté grave et urgent que dégageait la photo et dont beaucoup se sont saisis. Je voulais une chute et du léger!

      Ps: le lien vers le blog de jean Charles n’est pas bon!

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      • Leiloona says:

        Merci de me l’avoir signalé ! 😀

        Sinon, oui, très bien vu … c’est rigolo parce que je pensais (à tort) que l’image renvoyait une idée de candeur … et en fait non. 🙂

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  7. Leiloona says:

    @ Hermione : Eh bien, une belle maturité qui se dégage de ce poème … Sois la bienvenue par ici ! 😀
    On t’attend la semaine prochaine alors ! 😉

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    • Anne-Véronique says:

      Oui ! Bravo Hermione c’est très beau ce que tu as écrit ! Voilà une bien jolie plume !!!

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  8. Leiloona says:

    @ Stéphanie : « je laisse derrière moi l’ombre de mes parents pour dessiner la mienne » très jolie formule. <3

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  9. Leiloona says:

    @ Magali : Oui, toi aussi la traque est bien présente. J’aime le côté magique et merveilleux de la fin … Allumer le soleil … où est l’interrupteur ? 😀

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  10. billetsdefanny says:

    Hermione : bravo pour ce texte ! Impression déjà pour une enfant de 11 ans !

    Leiloona : j’aime beaucoup l’atmosphère qui se dégage de ton texte. On veut le lire jusqu’au bout.

    Ludovic : belle chute en effet 🙂

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  11. nadine clavier-elek says:

    Des coups au coeur en lisant tous ces textes, et j’y perçois une sensibilité commune, un regard vigilant sur l’enfance et sa place dans le monde. .. »Qu’il faut aimer la vie l’aimer même si, le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants, et les mistrals gagnants. ..et les mistrals gagnants. … »merci Renaud
    Belle journée à tous.nad

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    • Leiloona says:

      Oui, des regards sensibles, c’est vrai. j’aime aussi cet atelier car les gens possèdent une véritable humanité.

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