Holodomor (Atelier d’écriture, 149è)

© Julien Ribot

© Julien Ribot

Ils quittent
Ce monde de faux-fuyants
Miroir aux alouettes
Où derrière chaque sourire
Se cache un poignard


Déchirure
Hypocrisie
Fourberie
Des atouts
Qu’on joue
Et rejoue
Inlassablement

Marionnettes
Démantelées

Ils laissent
Derrière eux
Une patrie
Terre à jamais perdue

Coeurs déchirés
Tête en arrière
Pieds en avant

Plus jamais un
Toujours multiples
Un ensemble
Faire face

Un exil pour délivrance
A quel prix ?
Chez eux
Des lâches
Ailleurs
Des étrangers

Apatrides
De génération en génération
Ils transmettront
A leurs enfants
Ce goût d’inachevé
De disparition

Exil

Où porter mes pas ?
Péniche sans amarres
Je navigue en eaux troubles.

© Leiloona, le 3 janvier 2015

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Le texte de Ludo : 

Triste comme un quai de gare !

Comme tous les vendredis arrive ce moment où je vais devoir affronter la gare et sa violence… Attendre sur le quai! Un quai de gare… Lieu inhospitalier par excellence…

 Un quai de gare, c’est triste… C’est gris, souvent venteux… Pourquoi ne repeint-on pas les quais avec des couleurs vives? Le rouge et le vert empêchent-ils les trains d’être à l’heure? A moins que le rêve et l’envie d’évasion que provoquent les couleurs ne soient pas propices au travail des agents?

Il y fait froid, on y côtoie les odeurs corporelles de centaines de corps qui s’y sont entassés tout au long de la journée. C’est sale et ça pue!

Le vent glacial souffle, s’engouffre et pique mes joues comme autant d’aiguilles, rappel de l’animosité que nous avons l’un pour l’autre, le quai et moi…

 Les gens qu’on y croise aussi, participent de cette inhospitalité! Ils sont pressés, absorbés, perdus parfois, tendus, tourmentés… Ne voient rien ni personne, marchent droit devant eux, vers un quai où les attend la promesse d’un ailleurs… Mais en l’attendant, cet ailleurs, pas question de sourire, de se relâcher, de perdre sa place sur le quai!  C’est une lutte contre les autres qui se joue sur le quai de la gare, une lutte pour sauver sa place!

 Et puis, on y est inondé de sollicitations visuelles pour le dernier numéro du magazine truc, qui met ce mois ci en avant le régime à la mode du Dr S.,  promettant moins quatre kilos par semaine, sans effort. Ou alors le film qu’il faut avoir vu, pour être in, pour ne pas se sentir trop ailleurs, écarté du monde, lundi matin à la machine à café!

 En plus, c’est bruyant un quai de gare… Les trains qui passent, ceux qui ne s’arrêtent pas et pour lesquels il est demandé d’attendre derrière la ligne jaune. Ceux qui freinent dans un hurlement grinçant à vous percer les tympans… Les annonces sonores, les passagers qui parlent, se disent au revoir, pleurent parfois… courent de peur de rater le train, les chocs des valises, le frottement de leur roulettes sur le bitume…  Le chef de gare qui siffle, le bip des portes qui se ferment…

 Et c’est tellement cliché!

Les adieux sur le quai, l’amoureux qui court derrière le train, tous les mauvais scénaristes ont placé un décor de gare dans leur film, tous les écrivaillons ont imaginé des séparations dont l’humidité lacrymale est  à son comble sur un quai d’une gare…

 Je déteste la gare…

 Et pourtant, c’est chaque vendredi le même bonheur! Parce que je t’y attends, t’y retrouve et t’y prends dans mes bras.

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Le texte de Roxane : 

Je n’aurais pas du y aller, je le savais pourtant, pourquoi il faut toujours que je me mette dans des situations pareilles…je n’aurais pas du y aller. Et voilà, maintenant, je vais courir après ces fichu rer, chargée de cette valise à la noix… qu’est-ce qu’il a celui là à me regarder ? Il n’a jamais vu une fille qui a pleuré ? Oui, j’ai pleuré ducon, oui j’ai du maquillage plein la tronche et après ? Où j’ai foutu encore ce briquet ? Et ce téléphone qui ne sonne pas, pas même un petit sms, rien..il ne faut pas, il ne faut pas que j’appelle…

***

Elle est bien cette petite quand même, elle est d’une gentillesse ! Je savais bien que mon petit Thomas finirait par trouver une fille bien ! Bon, si elle savait cuisiner ce serait mieux et puis, elle ne travaille pas encore, mais elle est vraiment gentille. Ils auraient pu me ramener, c’est la moindre des choses que de ramener sa mère, quand même, me mettre dans un taxi, comme ça…ah c’est que ça leur allait bien comme ça…c’est vrai qu’en y repensant, elle n’a pas dit grand-chose pendant le week end la petite, , elle doit être timide…Charles avait raison, elle doit pas être bien futée, en même temps , quand on arrête les études si jeune….

***

Mon dieu qu’il fait froid ! Comme j’étais bien là-bas ! Il va me manquer  cette semaine mon loulou…bon, une semaine ça passe vite, allez, une semaine, ça passe vite !

***

Il est où papa ? Et pourquoi maman elle me tire comme ça ? En plus, j’ai même pas pris doudou, il va être triste sans moi ce soir doudou…et puis pourquoi elle pleure maman ? J’aime pas tata Jeanne, je veux pas aller chez tata Jeanne, je veux doudou…

***

Regardez-les tous ces petits bourgeois en train de tirer leurs grosses valises pleines de gros cadeaux pour aller voir leurs enfants qui n’en n’ont rien à foutre de leur poire et aller s’engraisser à bouffer de la dinde bourrée aux hormones et du foie gras en boite. Sont pathétiques ! Et vas-y que ça se bouscule, que ça râle, il est beau l’esprit de Noël tiens ! Ne me regardez pas surtout ! Non non, moi , je ne suis bon qu’à aller ramasser les merdes que vous avez laissées derrière vous , parce que Monsieur Trouduc , il sait pas jeter son papier de sandwich SNCF à 16euros dans la poubelle, non, Monsieur Trouduc, il le pose bien visiblement son papier, il le laisse là comme une trace de son passage médiocre et malodorant dans ce wagon, parce qu’on est heureux de savoir que Trouduc il est passé par là, que Trouduc il s’avale de la merde à 16euros…encore trois heures à tirer, cinq TGV à nettoyer, putain, je vais en voir encore des Trouduc !

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Les liens vers les autres textes des participants à l’atelier d’écriture : 

Jacou : Sur les quais

Josette 

Pier Forest : Planète verte

Adrienne : D comme Débarquement

Titine

Antigone

Insatiable Charlotte

Vu de mes lunettes : La revoir

Cécile MdL : Un lundi matin pour les autres ...

Sarah

Fred Mili : Le train pour Sybelle

Stephie

Paikanne : Singulier

Myrtille

Cléo : Grisaille

Le petit carré jaune

Anne-Véronique Herter

Lady Marianne

32 Octobre

Lucie

Le monde de Mirontaine

My Name is or

Eva

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53 comments

  1. blogadrienne says:

    Voilà trois visions très différentes du quai de gare!
    Leiloona fait penser à ces photos d’émigrants du début du 20e siècle,
    Ludo a bien raison de vouloir des couleurs plus joyeuses dans les gares (venteuses et tristes, c’est vrai)
    Et chez Roxane j’ai bien aimé la multiplicité des points de vue!

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  2. nathchoco says:

    Encore un bel écrit percutant et efficace Leiloona. Cela donne envie de se re-lancer dans l’écriture. Peut-on vous rejoindre en cours de route ? Quelles sont les règles ?

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    • Leiloona BricaBook says:

      Ah mais ou bien entendu, tout le monde peut nous rejoindre à n’importe quel moment, et tout le monde peut aussi faire une pause entre deux écrits ! 😀

      Merci ! 😉

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  3. milleetunefrasques says:

    Roxane, bravo, j’adore te lire et encore plus sur cette photo. J’espère te retrouver ici chaque semaine. Des bises

    Ludo : Ah oui, c’est pénible les quais de gare sauf quand on y attend quelqu’un. Joli texte, Ludo 😉

    Leil : le retour du vers donc, saccadé, épouillé, épuré. J’ai hésité à écrire un texte sur la même inspiration, puis renoncé pour un peu d’espoir. Allez surprends nous avec une photo qui ne te correspond pas 😉

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    • Leiloona BricaBook says:

      Hum, je crois, tu sais, que j’ai aucune notion de « photo qui me ressemble » … quand je l’ai choisie, je la trouvais rigolote avec tous ces voyageurs et leur valise … ce n’est qu’au moment de l’écriture que j’ai compris que j’allais revenir sur un dada qui me hante. Et sur ce coup là, je crois qu’il faut que j’en fasse quelque chose.
      Pour la photo, on verra si demain j’interpelle par mon choix.

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  4. titine75 says:

    Roxane : J’aime beaucoup ton idée et ton texte choral.

    Ludo : Quelle jolie fin pleine d’optimisme ! Merci !

    Leiloona : Effectivement tu es assez sombre ce matin, ton texte m’évoque l’actualité de ces derniers jours.

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  5. françoise says:

    et voila, encore un lundi qui débute formidablement !
    merci merci merci…

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  6. sarah says:

    Leil : ils sont beaux, tes vers… et le sujet touchant.
    Ludo : raaah, tu m’as fait peur… ouf, une fin optimiste!
    Roxane : j’adore ton texte. Les points de vue différents, les univers que cela créé…

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  7. monesille says:

    Ah, la, la, je crois que j’ai raté un train de photo ! pas grave, les textes que je lis me consolent !
    Bonne année à tous.

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  8. pierforest says:

    @Leinoona: L’importance d’avoir un lieu où on se sente chez soi est si important. C’est un des fondements de la sécurité. « Chez eux des lâches, ailleurs des étrangers », que ce doit être terrible à vivre.

    @Ludo: La jolie dame qui le rejoint sur le quai de la gare enjolive soudainement tout cette grisaille. Un peu comme les roses qui diffusent un parfum faisant oublier d’où elles viennnent.

    @Roxanne: Ton texte, c’est un peu comme si on était passé en fantôme, au-dessus des passagers, captant leurs pensées.

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  9. Fred Mili says:

    @Leiloona : Bien vu ! Un angle auquel je n’ai même pas pensé. Ca single.

    @Ludo : Un habitué des gares on dirait, c’est criant de vérité. Et quel rebondissement.

    @Roxane : Toutes ses voix qui s’expriment c’est super, belle imagination.

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  10. trezjosette2 says:

    Leiloona Ton texte sur l’exil (encore ?) est superbe j’aime cette suite de mot qui suit la cadence du train
    Ludo semble désabusé par la grisaille mais quelle fin !
    Roxane d=une suite de scène en fonction du regard c’est bien vu et original
    Bravo à tous

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  11. trezjosette2 says:

    J’ai oublié : je voulais ajouter une pensée à la mémoire de « Victoria » qui a suivi ce chemin dans ces années là .

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  12. Anne-Véronique says:

    @ Leiloona : ton texte est sombre bien sûr, un rythme court et des mots tranchants… beau mais sombre !
    @ Ludo : ton texte est très réaliste, presque opératoire, avec une pirouette d’amour qui supprime l’aigreur du narrateur… bravo !
    @Roxane : Décapant ! j’aime aussi cette chorale et j’adore ton « Monsieur Trouduc » ! et son sandwich SNCF à 16 euros… tellement vrai !!!

    merci tous les 3 pour ce bonheur de vous lire !
    Je vais aller voir les autres…

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  13. saxaoul says:

    On te reconnaît bien là dans ces mots, Leiloona.
    Ludovic il y a bien longtemps que je ne mets plus les pieds régulièrement dans les gares et ça ne me manque pas. Merci pour ces dernières phrases qui mettent de la couleur dans ce monde si triste.
    Roxane : un texte choral, c’est une bonne idée.

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  14. cleoballatore says:

    Leiloona : c’est un texte triste pour commencer l’année. Triste et beau. C’est vrai qu’on oublie un peu les migrants lors de ces fêtes de fin d’année.
    Ludo : j’aime bien la chute. Un petit rayon de soleil dans le gris.
    Roxane : j’ai bien ces multiples points de vue avec la gare qui bourdonne. Mon préféré est celui sur la petite jeune fille toute timide. Celle qui a arrêté tôt sa scolarité.Très drôle.

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    • Leiloona BricaBook says:

      Oh oui, je n’ai pas pensé à la nouvelle année … pourtant j’ai fait attention en choisissant la photo, mais ce thème s’est imposé. Vraiment …

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  15. Leiloona BricaBook says:

    @ Ludo : dis donc, toi, tu as bien failli ne pas faire un texte optimiste ! Tu t’es raccroché aux branches ! Heureusement qu’elles sont belles, comme d’hab … 😉

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  16. Jules says:

    De bien beaux textes ! Une préférence pour celui de Roxane néanmoins..
    Merci d’avoir honoré ma modeste photo 🙂

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  17. antigone says:

    Leiloona : l’ambiance sombre de tes vers est surprenante… je n’avais pas vu la photo comme ça, mais je comprends mieux à lire les commentaires.
    Ludo : on sent du vécu mal apprécié… les quais de gare sont comme ça aussi c’est vrai… mais ouf jolie chute !
    Roxane : instants volés, bien vu

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  18. Jul says:

    3 très beaux textes ! J’aime particulièrement celui de Ludo avec cette note d’espoir et de gaieté sur la fin !

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Commentaire :

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