Anne, ma soeur, Anne … (Atelier d’écriture)

© Leiloona

© Leiloona

Je rêve d’ailleurs et imagine …
Ces reflets argentés, miroirs brisés sur une mer apprivoisée, découpent mes rétines et les laissent meurtries. Taches multicolores, je ferme les yeux sur ces ombres-kaléidoscopes.
Je me retourne.
Je ne distingue rien dans cette tour meurtrière. Côté sombre d’une vie sans lumières, je n’ai que ces quelques mètres pour étendre mon imaginaire. 

La seule ouverture obscurcit mes yeux, œillère cyclope, elle me malmène, me fait souffrir, mais elle est aussi ma seule source de joie.

Oeillère trompeuse et feinte, je passe mon nez à travers elle et hume le sel de l’Océan. Il me pique et m’apporte des épices d’un autre monde.

Enfermée là, je pense à ma vie d’avant, la colorée, la sensuelle.
Je ne suis que la promise d’un prince, qu’une faible femme qui subit les desiderata de ces brutes au coeur brûlé. J’ai le tort de n’être qu’une femme, qu’un objet aux yeux de ces hommes.

Alors je respire à travers ma meurtrière des tonnes de sel et d’images, ces miroirs brisés de la mer sont autant de tableaux puzzle à reconstituer.

 

 

© Leilona, le 1er mars 2015

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Le texte de Ludovic : 

Ana

La nuit était déjà installée, heureusement la lune brillait haut dans le ciel sombre, et éclairait en partie le mur d’enceinte. Ana resserra sur ses épaules les pans de sa cape usée et trouée,  vérifia une dernière fois son panier,  tout y était bien. Elle en saisit la poignée et s’élança dans la nuit, laissant derrière elle le château du seigneur Ferdinand et ses menaces.

Elle courut jusqu’à la foret, y pénétra. Dense, le ciel de feuilles ne laissait passer que quelques rais de lumières. La peur étreignit Ana. Elle serra plus fort l’anse de son panier. Derrière elle quelques buissons bruissaient. Son cœur doubla sa cadence de vie dans sa poitrine. Elle eut l’impression qu’on pouvait en entendre chaque battement. Elle s’arrêta, respira profondément. Qui pouvait bien être là, avec elle? La garde seigneuriale déjà à ses trousses? Les loups affamés? Quelques brigands reclus dans les bois, attendant la nuit pour commettre leur méfaits? Les fantômes des pendus condamnés à mort par le seigneur? On raconte dans l’enceinte du château, que ces morts rodent la nuit à la recherche de nouvelles âmes damnées pour grossir leur armées assoiffées de vengeance…

Ana frissonna, tendit l’oreille… le silence. Elle se remit en route malgré ses pieds nus qui saignaient. Dans son panier tout était en ordre. Elle devait marcher encore, sans ralentir, malgré la fatigue dans tout son corps, malgré la faim et le froid. Marcher, tout droit, vers la mer, vers son salut…

Au matin, alors que le soleil chassait la nuit, la mer, enfin.

Elle s’avança vers elle, calme et reposée. Ana respira profondément, elle était arrivée. Ils ne viendrait pas la chercher ici. Après tout, elle n’était qu’une servante sans valeur. Elle avança jusqu’à la tour de guet, abandonnée. Rodrigo, avant qu’elle ne parte lui avait indiqué l’endroit et le moyen d’y entrer. Elle  s’y installa, à l’abri des regards. Dans le panier,  Sancha commença à pleurer. Elle la sortit, l’embrassa tendrement et la nourrit. Une première tétée d’enfant libre. Ana pleura. Elles avaient échappé à la sentence du seigneur, à la  séparation et à la mort, juste parce que Sancha avait commis l’erreur de vivre, de s’accrocher de naitre, après une relation non consentie par Ana, un soir d’hiver au cours duquel le seigneur était descendu à la cuisine, pour chaparder quelques fruits… Il avait pris bien plus que des fruits, et Ana qui n’avait rien demandé, avait ensuite senti la vie s’épanouir en elle. Impossible à assumer, d’autant plus que ce bébé était une fille, toutes les deux avaient été répudiées, condamnées…

Ana se sentait en sécurité ici. Sancha lâcha le sein nourricier, ouvrit de grands yeux sur ce monde nouveau, sur ce bleu immense, entendu à perte de vue. Ana n’avait pas encore réfléchi à la façon dont elles vivraient, à l’endroit qui les accueillerait. Elle avait seulement fui. Et si la garde les retrouvait, il lui resterait la porte de derrière et sa promesse d’une plongée de cinq mille mètres dans les eaux bleues de l’océan, une mort certaine, mais ensemble.

Ana ferma les yeux, laissa le soleil du matin réchauffer sa peau. Sancha soupira d’aise, d’amour aussi, un soupir de sérénité, de calme retrouvé… Ana écoutait sa respiration  apaisée. Au loin, elle entendit les chiens aboyer.

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Voici les autres liens des textes écrits à partir de la même photographie  :

Adrienne

Kentin Spark : Entre ciel et mer

Jacou : L’Histoire

Olivia Billington

Camoccupe

Elora

Anne-Véronique Herter : Les nuages avancent

Albertine

Marianne

Victor : Un héritage

Titine

Sabine (Carré jaune) : Le goût du sel

Sabine : Le bout du bout du monde

Estelle : Là-bas

Sarah : Te dire adieu

Team littéraire : Conte de fée

Stephie

Alphonsine : La malédiction de la mouette

Aurélia

Josette

Myrtille

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77 comments

  1. Ludo says:

    Leiloona: j’adore! C’est encöre une fois plein de formules qui fonctionent! La description du dehors si beau alors qu’on est enfermé dedans en attente de l’horreur! Tout cela est joliement décrit!! Bravo!!

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    • Leiloona says:

      Roh merci Ludo, c’est gentil ! 😀

      Là j’ai réussi (pour une fois) à mêler mes vers elliptiques et imagés à une prose plus longue. Bon, le chemin reste long, mais je crois que c’est la première fois que j’écris en prose avec autant d’images … L’alliance des deux.

      Allez, j’essaie de rester sur cette ligne là. 🙂

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  2. L MARIANNE says:

    j’ai apprécié la participation de Ludovic et la vôtre !
    quel talent ! je vais suivre quelques liens-
    bonne semaine-

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      • Stephie says:

        Leil : ton texte m’a fait penser au roman de Martinez. « Le domaine des murmures ». Je ne sais pas, une impression. De belles formules en tout cas.

        Ludo : j’aime aussi beaucoup ton texte. On se laisse embarquer par l’histoire.

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        • Leiloona says:

          Oh mais c’est rigolo car j’y ai pensé aussi … même si bon, ahem, Martinez je ne suis pas ! 😛

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  3. titine75 says:

    Leiloona et Ludo : vos textes sont dans le même esprit ce matin, vous nous racontez de terribles contes où les femmes sont ds objets. On frissonne en vous lisant comme on frissonnait en lisant Barbe bleue !

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    • Leiloona says:

      C’est curieux hein, surtout quand il m’a envoyé son texte qui s’appelait Ana et moi Anna … Marrant ! 🙂

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  4. le petit carré jaune says:

    Vos textes sont puissamment beau. Une sonorité poétique, un esprit communautaire, et cette couleur de liberté. Clap clap clap …. Merci à vous deux

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  5. Ghislaine says:

    ah désolée, j’ai manqué ton atelier, zut de zut
    je ferai le prochain des que j’aurai la photo
    tu la donne quand, ?
    je vais m’abonner afin de ne rien rater
    bisous

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  6. jacou33 says:

    Ana et Sancha, deux êtres qui ne demandent qu’à vivre, aimer, sourire…et l’imbécile cruauté des hommes

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  7. Olivia Billington says:

    Leiloona de belles images pour transcender la tristesse…
    Ludo, on rentre immédiatement dans le texte et on a envie de connaître la suite…

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  8. estellecalim says:

    Tu nous as proposé une photo de frontière, d’entre-deux et chacun s’en est emparé avec plus ou moins d’espoir 😉 J’aime beaucoup ton texte et celui de Ludovic également (lu en pleine tétée, c’est émouvant mais si triste).

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    • Leiloona says:

      Oui, c’est vrai, un pays de frontière … je ne pensais pas à cela en la postant, mais c’est ce qui est ressorti, c’est marrant ! 🙂

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  9. myrtille says:

    @ça m’occupe : si tu peux lui transmettre mon commentaire merci car impossible de lui laisser un message si on est pas sur FB …..Twitter …et WordPress ….. c’est dommage pour les autres du coup 🙁

    très original je ne m’attendais pas à qui était Lili 😉
    bravo !

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  10. le livre-vie says:

    Je découvre cet atelier et les textes qui vont avec, et je suis fan du concept. J’ai fait une plongée en apnée dans les profondeurs du blog, mais je n’arrive pas à trouver comment cela se passe si l’on veut participer. Mes yeux n’étaient peut-être pas assez ouverts!

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    • Leiloona says:

      Alors, pas assez de fond en plongée sans doute ! 😛

      Je publie une photo le mardi matin, elle sert d’accroche à ton imaginaire pour écrire un texte. 😉 Tu publies ton texte le lundi matin et tu me donnes le lien pour faire partie de la récap’.

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  11. monesille says:

    Je viens de lire ton texte un rien tristounet, les femmes ne sont pas et n’ont pas été si soumises que l’on veut bien nous le faire entendre. Et même dans une vie très ordinaire, être libre requiers parfois bien de l’énergie.
    Je rate souvent ton image, je ne sais pourquoi, je ne reçois pas ta mise en ligne du mardi.
    Bises

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    • Leiloona says:

      Hum … pas soumises ? Je crains bien que si, malheureusement, et encore à l’heure actuelle où certaines sont vendues comme esclaves sexuelles.

      Mais je voulais donner une voix malgré tout, montrer qu’elle savait raisonner et imaginer malgré tout, malgré l’horreur finalement.

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  12. victor says:

    Leiloona : j’adore ton texte, l’histoire de cette femme qui repense à sa liberté d’avant et à l’enfer qu’elle va ressentir avec son prince au cœur de diable.
    Ludo : ton texte est très bien également. Tu arrives à nous faire tenir en haleine jusqu’à la dernière ligne de ton histoire.
    Bravo à tous les deux.

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  13. saxaoul says:

    J’ai pensé au même texte que Stephie en te lisant Leiloona.
    Ludo, tu racontes là une triste réalité…

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  14. sabariscon says:

    Ludo, une grande sensibilité dans cette histoire. Ana et Sancha sont très attachantes et ton texte très réussi. Bravo!

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  15. Anne-Véronique says:

    Leil ludo vos deux textes sont poignants ! Ce sont des histoires pleines dures dont on attend une suite. Je ne peux m’empêcher de commenter les deux ensembles tant je les ai sentis liés par une même détresse. Bavo à chacun. Vos textes sont magnifiques. Des films j’ai des images plein les yeux…

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  16. Leiloona says:

    @ Ludo : ton histoire m’impressionne tant les sens ici sont aiguisés ! C’est un véritable film que j’ai sous les yeux. Superbe !

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  17. camoccupe says:

    Deux très beaux textes qui remuent les sens et l’esprit !
    L’histoire d’Ana ferait une très belle aventure ! On espère qu’elle trouvera une autre échappatoire 🙁

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    • Leiloona says:

      @camoccupe : je trouve aussi que cette photo nous a fait écrire de magnifiques textes emprunts d’une douce ou cruelle sensualité.

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  18. blogadrienne says:

    c’est vrai que la photo fait penser au conte de Barbe-Bleue (Anne, ma soeur Anne, c’était aussi ma première idée) et par conséquent au triste sort de tant de femmes…
    vous avez fait un très beau texte tous les deux!

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  19. sarah says:

    Leil : il faut que cette femme regarde mieux dehors… mon voyageur pourrait réussir à la délivrer! Nos textes se répondent étonnamment.

    Ludo : ouh la… pour le coup c’est mon coeur à moi qui a doublé sa cadence… Bravo!

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    • Leiloona says:

      Sarah : je vais aller voir ça ce matin ! 🙂 Mais même si elle regarde dehors, elle reste emprisonnée ..

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Commentaire :

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