La douceur d’un matin, la rosée encore, là sur les épingles de la corde à linge qu’elle avait oublié d’enlever hier.
Le calme : partout, ce silence.
Le frémissement des feuilles, le vent qui flirtait à peine avec les boucles de ses cheveux défaits.
Contemplative, mais les sens en alerte : cela ne l’avait jamais quittée. Mais ce matin, l’apaisement était là. Face à ce fil immobile, elle pensait à sa vie actuelle, tellement différente de l’ancienne qu’elle pensait même en avoir eu plusieurs.
Seul un tic nerveux trahissait quelques fois la sérénité de son visage, mais il était vite effacé par un geste doux et millimétré.
Léna avait la sagesse d’une ancienne à 20 ans à peine.
Tout en elle appelait à la vie : de sa bouche pulpeuse jaillissaient des dents à l’émail translucide. Elle croquait la vie, l’absorbait et la rendait lumineuse. Autour d’elle, une aura perceptible de tous, qui rendait jalouses les commères du village.
La richesse de la vie est palpable pour ceux qui ont côtoyé la mort de près. Léna l’avait entraperçue plus d’une fois, la balayant parfois d’un revers de la main, quand, cadavérique la mort la regardait de ses globes froids. Mais Léna s’accrochait à la vie. La famine, la perte des siens étaient des cicatrices profondes, un gouffre à ciel ouvert où les mouches dansaient encore leur valse.
Le tsunami n’avait plus lieu, d’être, Léna avait remisé son costume de funambule au grenier. Elle avait posé ses valises ici, en terre inconnue, et comptait fermement planter de nouvelles racines plus belles, plus fortes encore.
Léna huma l’air humide. Ici était sa vie, elle le savait.
© Leiloona, le 12 avril 2015
Le texte de Ludo :
Fil
Si la suite ne tient qu’à un fil
Je réclamerai une minute
Pour revoir la lumière dans vos yeux
Vous dire que rien n’est inutile
Face à cette fin qui me chahute
Mon réconfort est dans vos yeux
Embrasser encore votre cou
M’emplir de vos parfums
Sentir vos bras autour de moi
Quand mon fil arrivera au bout
J’aimerai juste tenir vos mains
Vous dire j’vous aime une dernière fois
Revoir ensemble l’horizon
Le jour levant sur les souvenirs
Faire semblant de croire aux lendemains
Chanter une dernière chanson
Et se promettre de sourire
Ne pas laisser gagner le chagrin
Quand ma vie n’tiendra qu’à un fil
Je demanderai juste une minute
Vous dire qu’il faut en profiter
Que rien jamais n’est impossible
Et que même si tout semble injuste
Le soleil finit toujours par briller
J’espère que je vous ai donné
Ce qu’il vous faut pour être heureux
Pour aimer ce qu’il reste à vivre
Pour avoir envie de croquer
Je vous espère amoureux
Riches d’une vie qui enivre
Quand ma suite ne sera plus qu’un fil
Je réclamerai une minute
Pour revoir la lumière dans vos yeux…
Le texte de NLA :
IL ne tient qu’à un fil.
Son vol est souvent suspendu, parfois pour notre plus grand bonheur, et d’autres fois pour mettre notre patience à rude épreuve…
Tantôt IL revêt sa plus belle parure pour sublimer des instants, toujours trop rares, entre amis, amants, membres d’une famille , autour d’un verre, d’un succulent repas, d’un événement, à la nuit tombée, au petit matin, sous un soleil de plomb en pleine nature ou sous une véranda devant le spectacle de gouttelettes de pluie tombantes…
D’autres fois, IL aime s’éterniser, faisant fi de notre impatience, et s’amuse à tester notre sincère volonté devant certaines situations.
Souvent, IL passe très vite, tel un éclair, ne s’encombrant de rien mais avec une telle force qu’on ne peut pas LE rater.
Toujours on LE cherche, on Le fuit, on LE prie, on Le rejette, on LE supplie, on L’oublie, On Le veut, on L’aime, on LE déteste mais on ne peut rien sans LUI.
PAUSE…
IL se conjugue à tous les temps. On adore quand IL nous parle au futur car là IL est toujours rempli d’espoir, de rêves et de promesses.
Au présent, IL nous met souvent devant des faits accomplis.
Comme IL est adorable quand IL se met sur les temps du passé tellement IL est enrobé de nostalgie, de romantisme et toutes les douleurs, même les plus grandes, s’estompent avec LUI.
On voudrait s’en faire son meilleur ami mais il faut savoir LE lâcher aussi de temps en temps, comme dans les véritables et sincères amitiés qui se respectent.
Tel un équilibriste sur son fil, LE TEMPS semble exceller à se frayer un chemin, sans se laisser prendre dans les mailles d’aucun filet, ni même se faire épingler par quiconque, et continue sa route jusqu’au mot Fin.
NLA, 12 avril 2015
Le texte d’Anariel :
Pince mon cœur
Dissimulé depuis quelques jours avec la complicité paternelle, j’avais furtivement perçu, par son bruyant emballage en papier cristal, ce qui serait mon premier cadeau de fête des mères. Je partageai secrètement l’impatience manifeste de mon petit d’homme qui m’obligea même, à plusieurs reprises, à le décourager de me livrer sa surprise avant l’heure . Le jour J, une tornade m’expulsa de mon sommeil : « BONNE FETE MAMAN !», exalté, mon petit, libéré du secret, me tend le paquet crépitant, lui, d’être enfin à l’honneur. Il était une sorte de cadre ajouré, peint en blanc, en forme de cage, sur lequel étaient fixés pêle-mêle des oiseaux découpés dans une feutrine aux teintes pastel. Et sur ce cadre, des petites pinces à linge dont une avait la noble tâche d’exposer une carte double contenant une comptine choisie pour l’occasion. Le cœur pincé de fierté et de bonheur, je bois les paroles de mon petit qui récite, je ne cligne pas des yeux pour retenir mes larmes préservant ainsi mon petit artiste que je crois naïvement mal armé encore pour le décryptage émotionnel.
Fixé sur le mur de ma cuisine, je me suis souvent attardée sur cet objet, puis, un jour, avec une insistance particulière sur ces petites pinces à linge. Accrochant ce poème comme cet instant à mon cœur, elles m’inspiraient instantanément une nuée de souvenirs. Emportée par la vague, je me revis alors, certains dimanches après- midi d’automne au fond de mon jardin d’enfance, fermé par une large haie que longeait de près une corde à linge (ce qui avait l’avantage de nous confronter régulièrement à la faune locale et particulièrement son incontestable représentant, le « pince-oreille », qui squattait effrontément nos textiles). Après avoir expertisé, compilé et classé (par taille, forme, couleur) les différentes feuilles qui parsemaient le sol, je me réjouissais de la nonchalance de ma mère qui avait omis de mettre ses pinces à l’abri, les menaçant ainsi de ne pas faire l’été prochain. Soigneusement, j’accrochais le fruit de mon travail sur ce fil et J’imaginais alors que ce végétal, destiné à putréfaction certaine, avait une valeur inestimable et fixais un prix exorbitant pour chaque feuille (qui trouvait, bien évidemment, toujours acheteur). Figer le temps, rendre vivant ce qui ne l’est plus, je ne peux aujourd’hui y voir que l’ébauche de mon angoisse du temps qui passe.
Emportée par le flot mnésique, j’ai continué ma course dans le jardin de ma grand-mère, où, fière et concentrée, je plongeais ma main dans un petit seau et lui tendais une à une les pinces en bois que le temps avait noircies, patinées, achetées au temps où l’obsolescence ne se programmait pas, où le plastique n’avait pas entrepris son invasion féroce, où les bazars et autres discounts aux effluves inquiétantes de polypropylène n’existaient pas encore. J’ai vu sur le fil, ses draps fleuris, gorgés d’air et de soleil, que j’imaginais être des voiles de bateaux ou certaines fois, de mariée voire les deux à la fois. Je m’y plongeais délicieusement, m’enivrant de la fraicheur suave du savon de Marseille. Aujourd’hui encore je ressens toujours le même frisson de plaisir lorsque je me couche dans des draps séchés dehors que les pinces ont marqué de leurs petites empreintes, stigmates d’une belle journée d’été.
J’ai senti les premiers rayons de soleil qui réchauffent et resserrent l’épiderme comme si tous les pores souriaient en même temps de l’arrivée des beaux jours.
Et puis, d’un coup, cette pince m’a transportée un certain 21 avril, sismique, lorsque nasale, elle se fit l’acte engagé de mon premier choc électoral.
Tant qu’il y aura de la chaleur et de l’air, tant qu’il y aura des enfants, des cadeaux et des mamans qui pleurent de bonheur, tant qu’il y aura la force et la volonté de révolte, cette petite pince aura du fil à retordre, alors s’il vous plait, rangez vos pinces en hiver !
L’image textuelle de Galy :
Les liens vers les autres participants à l’atelier d’écriture :
Victor Belin : Le quotidien de 6 pinces à linge
Jacou : Tango pincé
Anne-Véronique Herter : Mon Secret
Albertine : Dans la lumière
Camoccupe : Étendre son linge
Sabine : Corde à linge
Monesille : Sur un fil
Antigone : Qui je suis ?
Kentin Spark : Une discorde au bout du fil
Cécile MdL : Une goutte d’eau, mille soleils
Nath Choco : Les draps frais
Cléo : Dans le jardin
Vu de mes lunettes : Prendre l’air
Estelle Calim : Fil rouge
Paikanne : Singularité
Sarah : Travail de pro
Le fil du temps, une vie qui ne tient qu’à un fil, vous filez les métaphores ! J’aime beaucoup ton texte Leil, je trouve aussi que se dégage beaucoup de calme, de sérénités de cette photo.
Leiloona : l’apaisement d’une corde à linge… 😉
Les autres textes : des variations intéressantes sur le thème, soit du fil, soit de la corde à linge, c’est amusant comme tout cela fait remonter des souvenirs ou ramène au sens de l’existence.
J aime beaucoup la nostalgie (poétique) dégagée par ces textes…
Bonjour à tous, voici le lien actualisé vers mon texte : http://albertine22.canalblog.com/archives/2015/04/13/31804614.html
Cette photo a éveillé la créativité de nombreuses plumes ! Je m’attendais à des textes plus « primesautiers », j’ai été cueillie par la diversité et les sentiments mêlés de ceux-ci. Bravo !
De très jolis textes que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire.
Chacun voit le fil à sa manière, j’aime beaucoup l’idée de reconstruction de la tienne Leiloona, évidemment le poème de Ludo me touche beaucoup par sa forme en vers libre, tellement libre, qu’il donne envie de s’envoler, NLA, le il du temps qui passe et que l’on voudrait toujours voir danser, et Anariel, j’ai failli caler sur la longueur du texte mais j’ai tenu bon et j’ai bien fait, l’émotion et latente et m’a fait me souvenir de tant de choses. Ah la fraîcheur des draps séchés au grand air ! Galy a retenu plus les épingles, comme quoi dans cette photo on peut se demander, êtes vous plus fil ou épingle ? Longueur ou instant ?
Bises à tous.
Est-ce le filet de l’encre qui file d’épingle en épingle pour étendre de jolis textes que je viens de lire sur le fil de la rosée. Merci pour cette agréable lecture tout en une seule lessive.
De beaux textes, bravo ! Voici le miens :
http://mynameisor.blogspot.fr/2015/04/une-photo-quelques-mots-171.html?showComment=1428914780254#c5512251707655671565
Bonne journée 🙂
Leiloona : l’histoire de cette fille qui a traversé tant de souffrance et qui se relève malgré tout. Magnifique…
Ludo : Un magnifique poème qui relate l’histoire de la vie et de la mort…
NLA : Je ne m’attendais pas à cette chute
Anariel : Cette histoire de relation mère-enfants est sublime
Galy : Un beau texte qui raconte le « métier » de pinces à linge. Assez drôle
voici ma participation 😉
http://lagazettedecitronbleu.eklablog.com/accueil-c18260698
j’ai failli partir sur une exposition d’art avec les pinces à linge lol puis je suis partie ailleurs plus ‘terre à terre’ lol
Déçue d’avoir loupé cette photo ! Bref.
Je dois dire que ton texte, Leiloona, est superbe. C’est celui qui m’a le plus parler !
Toujours une très forte émotion Leil!
NLA, jolie variation sur le motif du temps.
Ludo j’aime le rythme de ton texte qui tisse le fil dans tous les sens.
Anariel, j’aime ce tissage de souvenirs. Et je suis fan de l’image du coeur pincé.
Ah ben voilà, je savais bien que j’avais oublié de donner mon lien…
http://mespetitesrecres.blogspot.fr/2015/04/travail-de-pro-une-photo-quelques-mots.html
Peu de temps pour lire les textes, désolée, mais promis je reviens mercredi.
Cette corde à linge a été très inspirante. J’aime bien l’histoire de cette jeune réfugiée. C’est très émouvant.
Ludo : un joli poème en prose
Bonsoir, voici le lien de mon texte, et maintenant je m’en vais lire les autres participations.
http://randonnezvousdansceblog.blogspot.fr/2015/04/atelier-decriture-une-photo-quelques.html
Très beau texte que tu as écrit Leil, j’étais avec elle dans cet instant. J’aime bcp le texte de Ludo également, magnifique, bcp d’émotions et de vérités. Bravo pour cet atelier.
J’ai beaucoup aimé ces 4 textes. Quelle femme courageuse, tu nous décrit Leiloona !
Comme Anariel, les pinces à linge sont des souvenirs précieux de mon enfance. Magnifique atelier !
@Leiloona : tu as déjà écrit plusieurs textes sur la thématique de la reconstruction, du renouveau ou du changement de vie, je me trompe ?
@Ludo : je viens de lire ton recueil et ce poème fait écho à la première nouvelle et à celle ou le grand-père rase sa barbe sur son lit de mort.
@NLA : le temps est une source d’inspiration intarissable.
@Anariel : on sent un peu de nostalgie de l’enfance dans ce texte.
@Galy : ce montage est une belle idée. Dommage qu’on déchiffre difficilement certains mots à cause de la lumière.
@Leiloona : Un texte tout en douceur, j’aime beaucoup !
@Ludo : Whaoo, quel joli poème … J’ai envie de le (re)lire encore et encore …
@NLA : Quelle belle inspiration … je me suis laissée porter par tes mots
@Anariel : Beaucoup de souvenirs dans tes mots … des souvenirs qui parlent à beaucoup d’entre nous je pense!
@Galy : Une idée originale !
Ode à une vie nouvelle, j’aime beaucoup ton texte Leiloona. Ludo : belle métaphore fil-ée, j’aime bien ce fil conducteur et la déclaration ! NLA : j’aime bien comme un fil peut faire penser au temps qui passe, qui file. C’est une belle idée. Anariel, c’est émouvant et je retrouve dans ton texte la joie ressentie à chaque fois que mes enfants me font un cadeau « maison », que du bonheur !
Je repasse car le jour de la publication impossible de valider mon com-
je n’ai pas pensé à la vie qui parfois ne tient qu’à un fil-
une belle photo qui a inspiré pleinement-
bonne renaissance à Léna, c’est beau !! bravo
je vais poursuivre mes visites-
bonne journée-
C’est amusant tout ce que ces épingles ont suscité chez nous 🙂
Que de retard dans mes lectures de textes ! Cette photo nous a tous plus ou moins guidés, comme le fil d’Ariane, sur le chemin des souvenirs, de la nostalgie, de la vie cyclique qui continue encore et encore !