Sur un fil (171è atelier d’écriture)

© Julien Ribot

© Julien Ribot

La douceur d’un matin, la rosée encore, là sur les épingles de la corde à linge qu’elle avait oublié d’enlever hier.
Le calme : partout, ce silence.
Le frémissement des feuilles, le vent qui flirtait à peine avec les boucles de ses cheveux défaits.
Contemplative, mais les sens en alerte : cela ne l’avait jamais quittée. Mais ce matin, l’apaisement était là. Face à ce fil immobile, elle pensait à sa vie actuelle, tellement différente de l’ancienne qu’elle pensait même en avoir eu plusieurs.
Seul un tic nerveux trahissait quelques fois la sérénité de son visage, mais il était vite effacé par un geste doux et millimétré.
Léna avait la sagesse d’une ancienne à 20 ans à peine.

Tout en elle  appelait à la vie : de sa bouche pulpeuse jaillissaient des dents à l’émail translucide. Elle croquait la vie, l’absorbait et la rendait lumineuse. Autour d’elle, une aura perceptible de tous, qui rendait jalouses les commères du village.

La richesse de la vie est palpable pour ceux qui ont côtoyé la mort de près. Léna l’avait entraperçue plus d’une fois, la balayant parfois d’un revers de la main, quand, cadavérique la mort la regardait de ses globes froids. Mais Léna s’accrochait à la vie. La famine, la perte des siens étaient des cicatrices profondes, un gouffre à ciel ouvert où les mouches dansaient encore leur valse.

Le tsunami n’avait plus lieu, d’être, Léna avait remisé son costume de funambule au grenier. Elle avait posé ses valises ici, en terre inconnue, et comptait fermement planter de nouvelles racines plus belles, plus fortes encore.

Léna huma l’air humide. Ici était sa vie, elle le savait.

© Leiloona, le 12 avril 2015

 ————————————————————————————

Le texte de Ludo :

Fil

Si la suite ne tient qu’à un fil

Je réclamerai une minute

Pour revoir la lumière dans vos yeux
Vous dire que rien n’est inutile

Face à  cette fin qui me chahute

Mon réconfort est dans vos yeux
Embrasser encore votre cou

M’emplir de vos parfums

Sentir vos bras autour de moi
Quand mon fil arrivera au bout

J’aimerai juste tenir vos mains

Vous dire j’vous aime une dernière fois
Revoir ensemble l’horizon

Le jour levant sur les souvenirs

Faire semblant de croire aux lendemains
Chanter une dernière chanson

Et se promettre de sourire

Ne pas laisser gagner le chagrin
Quand ma vie n’tiendra qu’à un fil

Je demanderai juste une minute

Vous dire qu’il faut en profiter
Que rien jamais n’est impossible

Et que même si tout semble injuste

Le soleil finit toujours par briller
J’espère que je vous ai donné

Ce qu’il vous faut pour être heureux

Pour aimer ce qu’il reste à vivre
Pour avoir envie de croquer

Je vous espère amoureux

Riches d’une vie qui enivre
Quand ma suite ne sera plus qu’un fil

Je réclamerai une minute

Pour revoir la lumière dans vos yeux…

 ————————————————————————————

 

Le texte de NLA : 

IL ne tient qu’à un fil.

Son vol est souvent suspendu, parfois pour notre plus grand bonheur, et d’autres fois pour mettre notre patience à rude épreuve…

Tantôt IL revêt sa plus belle parure pour sublimer des instants, toujours trop rares, entre amis, amants, membres d’une famille , autour d’un verre, d’un succulent repas, d’un événement, à la nuit tombée, au petit matin, sous un soleil de plomb en pleine nature ou sous une véranda devant le spectacle de gouttelettes de pluie tombantes…

D’autres fois, IL aime s’éterniser, faisant fi de notre impatience, et s’amuse à tester notre sincère volonté devant certaines situations.

Souvent, IL passe très vite, tel un éclair, ne s’encombrant de rien mais avec une telle force qu’on ne peut pas LE rater.

Toujours on LE cherche, on Le fuit, on LE prie, on Le rejette, on LE supplie, on L’oublie, On Le veut, on L’aime, on LE déteste mais on ne peut rien sans LUI.

PAUSE…

IL  se conjugue à tous les temps. On adore quand IL nous parle au futur car là IL est toujours rempli d’espoir, de rêves et de promesses.

Au présent, IL nous met souvent devant des faits accomplis.

Comme IL est adorable quand IL se met sur les temps du passé tellement IL est enrobé de nostalgie, de romantisme et toutes les douleurs, même les plus grandes, s’estompent avec LUI.

On voudrait s’en faire son meilleur ami mais il faut savoir LE lâcher aussi de temps en temps, comme dans les véritables et sincères amitiés qui se respectent.

Tel un équilibriste sur son fil, LE TEMPS semble exceller à se frayer un chemin, sans se laisser prendre dans les mailles d’aucun filet, ni même se faire épingler par quiconque, et continue sa route jusqu’au mot Fin.

 NLA, 12 avril 2015

 ————————————————————————————

Le texte d’Anariel :

 Pince mon cœur

 Dissimulé depuis quelques jours avec la complicité paternelle, j’avais furtivement perçu, par son bruyant emballage en papier cristal, ce qui serait mon premier cadeau de fête des mères. Je partageai secrètement l’impatience manifeste de mon petit d’homme qui m’obligea même, à plusieurs reprises, à le décourager de me livrer sa surprise avant l’heure . Le jour J, une tornade m’expulsa de mon sommeil : « BONNE FETE MAMAN !», exalté, mon petit, libéré du secret,  me tend le paquet crépitant, lui, d’être enfin à l’honneur. Il  était une sorte de cadre ajouré, peint en blanc,  en forme de cage,  sur lequel étaient fixés pêle-mêle des oiseaux  découpés dans une feutrine  aux teintes pastel. Et sur ce cadre, des petites pinces à linge dont une avait la noble tâche d’exposer une  carte double contenant une comptine choisie pour l’occasion. Le cœur pincé de fierté et de bonheur, je bois les paroles de mon petit qui récite, je ne cligne pas des yeux pour retenir mes larmes préservant  ainsi mon petit artiste que je crois naïvement  mal armé encore pour le décryptage émotionnel.

Fixé sur le mur de ma cuisine, je me suis souvent attardée sur cet objet, puis, un jour,  avec une insistance particulière sur ces petites pinces à linge. Accrochant ce  poème comme cet instant à mon cœur, elles m’inspiraient instantanément une nuée de souvenirs. Emportée par la vague, je me revis alors, certains dimanches après- midi d’automne au fond de mon jardin d’enfance, fermé par une large haie que longeait de près une corde à linge (ce qui avait l’avantage de nous confronter régulièrement à la faune locale et particulièrement son incontestable représentant, le « pince-oreille »,  qui squattait effrontément nos textiles).  Après avoir  expertisé, compilé  et classé (par taille, forme, couleur) les différentes feuilles qui parsemaient le sol, je me réjouissais de la nonchalance de ma mère qui avait omis de mettre ses pinces à l’abri, les menaçant ainsi de ne pas faire l’été prochain. Soigneusement, j’accrochais le fruit de mon travail sur ce fil et J’imaginais alors que ce végétal, destiné à  putréfaction certaine,  avait une valeur inestimable et fixais  un prix exorbitant pour chaque feuille (qui trouvait, bien évidemment, toujours acheteur). Figer le temps, rendre vivant ce qui ne l’est plus, je ne peux aujourd’hui y voir que l’ébauche de mon angoisse du temps qui passe.

 Emportée par le flot mnésique, j’ai continué ma course dans le jardin de ma grand-mère, où, fière et concentrée, je plongeais ma main dans un petit seau et  lui tendais une à une les pinces en bois que le temps avait noircies, patinées, achetées au temps où l’obsolescence ne se programmait pas, où le plastique n’avait pas entrepris son invasion féroce, où les bazars et autres discounts aux effluves inquiétantes de polypropylène n’existaient pas encore. J’ai vu sur le fil, ses draps fleuris, gorgés d’air et de soleil, que j’imaginais être des voiles de bateaux ou certaines fois, de mariée voire les deux à la fois. Je m’y plongeais délicieusement, m’enivrant de la fraicheur suave du savon de Marseille. Aujourd’hui encore je ressens toujours le même frisson de plaisir lorsque je me couche dans des draps séchés dehors que les pinces ont marqué de leurs petites empreintes, stigmates d’une belle journée d’été.

 J’ai senti les premiers rayons de soleil qui réchauffent  et resserrent l’épiderme comme si tous les pores souriaient en même temps de l’arrivée des beaux jours.

Et puis, d’un coup,  cette pince m’a transportée un certain 21 avril, sismique, lorsque nasale, elle se fit l’acte engagé  de mon premier choc électoral.

 Tant qu’il y aura de la chaleur et de l’air, tant qu’il y aura des enfants,  des cadeaux et des mamans qui pleurent de bonheur, tant qu’il y aura la force et la volonté de révolte, cette petite pince aura du fil à retordre, alors s’il vous plait, rangez vos pinces en hiver !

  ————————————————————————————

L’image textuelle de Galy :

unnamed

 ————————————————————————————

Les liens vers les autres participants à l’atelier d’écriture :

Victor Belin : Le quotidien de 6 pinces à linge

Ghislaine

Jacou : Tango pincé

Amandine

Anne-Véronique Herter : Mon Secret

Albertine : Dans la lumière

Camoccupe : Étendre son linge

Sabine : Corde à linge

Monesille : Sur un fil

Antigone : Qui je suis ?

Kentin Spark : Une discorde au bout du fil

Cécile MdL : Une goutte d’eau, mille soleils

Nath Choco : Les draps frais

Cléo : Dans le jardin

Vu de mes lunettes : Prendre l’air

Estelle Calim : Fil rouge

Paikanne : Singularité

Marianne

Aurélia

Myrtille

Sarah : Travail de pro

Eva

 

une-photo-quelques-mots1

24 comments

  1. titine75 says:

    Le fil du temps, une vie qui ne tient qu’à un fil, vous filez les métaphores ! J’aime beaucoup ton texte Leil, je trouve aussi que se dégage beaucoup de calme, de sérénités de cette photo.

    Répondre
  2. Antigone (@EcritsAntigone) says:

    Leiloona : l’apaisement d’une corde à linge… 😉
    Les autres textes : des variations intéressantes sur le thème, soit du fil, soit de la corde à linge, c’est amusant comme tout cela fait remonter des souvenirs ou ramène au sens de l’existence.

    Répondre
  3. monesille says:

    Chacun voit le fil à sa manière, j’aime beaucoup l’idée de reconstruction de la tienne Leiloona, évidemment le poème de Ludo me touche beaucoup par sa forme en vers libre, tellement libre, qu’il donne envie de s’envoler, NLA, le il du temps qui passe et que l’on voudrait toujours voir danser, et Anariel, j’ai failli caler sur la longueur du texte mais j’ai tenu bon et j’ai bien fait, l’émotion et latente et m’a fait me souvenir de tant de choses. Ah la fraîcheur des draps séchés au grand air ! Galy a retenu plus les épingles, comme quoi dans cette photo on peut se demander, êtes vous plus fil ou épingle ? Longueur ou instant ?
    Bises à tous.

    Répondre
  4. Kentin Spark says:

    Est-ce le filet de l’encre qui file d’épingle en épingle pour étendre de jolis textes que je viens de lire sur le fil de la rosée. Merci pour cette agréable lecture tout en une seule lessive.

    Répondre
  5. Victor says:

    Leiloona : l’histoire de cette fille qui a traversé tant de souffrance et qui se relève malgré tout. Magnifique…
    Ludo : Un magnifique poème qui relate l’histoire de la vie et de la mort…
    NLA : Je ne m’attendais pas à cette chute
    Anariel : Cette histoire de relation mère-enfants est sublime
    Galy : Un beau texte qui raconte le « métier » de pinces à linge. Assez drôle

    Répondre
  6. Elora says:

    Déçue d’avoir loupé cette photo ! Bref.

    Je dois dire que ton texte, Leiloona, est superbe. C’est celui qui m’a le plus parler !

    Répondre
  7. sabarisconSabine says:

    NLA, jolie variation sur le motif du temps.
    Ludo j’aime le rythme de ton texte qui tisse le fil dans tous les sens.
    Anariel, j’aime ce tissage de souvenirs. Et je suis fan de l’image du coeur pincé.

    Répondre
  8. cleoballatore says:

    Cette corde à linge a été très inspirante. J’aime bien l’histoire de cette jeune réfugiée. C’est très émouvant.

    Ludo : un joli poème en prose

    Répondre
  9. laurielit says:

    Très beau texte que tu as écrit Leil, j’étais avec elle dans cet instant. J’aime bcp le texte de Ludo également, magnifique, bcp d’émotions et de vérités. Bravo pour cet atelier.

    Répondre
  10. patacaisse says:

    J’ai beaucoup aimé ces 4 textes. Quelle femme courageuse, tu nous décrit Leiloona !
    Comme Anariel, les pinces à linge sont des souvenirs précieux de mon enfance. Magnifique atelier !

    Répondre
  11. saxaoul says:

    @Leiloona : tu as déjà écrit plusieurs textes sur la thématique de la reconstruction, du renouveau ou du changement de vie, je me trompe ?

    @Ludo : je viens de lire ton recueil et ce poème fait écho à la première nouvelle et à celle ou le grand-père rase sa barbe sur son lit de mort.

    @NLA : le temps est une source d’inspiration intarissable.

    @Anariel : on sent un peu de nostalgie de l’enfance dans ce texte.

    @Galy : ce montage est une belle idée. Dommage qu’on déchiffre difficilement certains mots à cause de la lumière.

    Répondre
  12. Vudemeslunettes says:

    @Leiloona : Un texte tout en douceur, j’aime beaucoup !

    @Ludo : Whaoo, quel joli poème … J’ai envie de le (re)lire encore et encore …

    @NLA : Quelle belle inspiration … je me suis laissée porter par tes mots

    @Anariel : Beaucoup de souvenirs dans tes mots … des souvenirs qui parlent à beaucoup d’entre nous je pense!

    @Galy : Une idée originale !

    Répondre
  13. nathchoco says:

    Ode à une vie nouvelle, j’aime beaucoup ton texte Leiloona. Ludo : belle métaphore fil-ée, j’aime bien ce fil conducteur et la déclaration ! NLA : j’aime bien comme un fil peut faire penser au temps qui passe, qui file. C’est une belle idée. Anariel, c’est émouvant et je retrouve dans ton texte la joie ressentie à chaque fois que mes enfants me font un cadeau « maison », que du bonheur !

    Répondre
  14. L MARIANNE says:

    Je repasse car le jour de la publication impossible de valider mon com-
    je n’ai pas pensé à la vie qui parfois ne tient qu’à un fil-
    une belle photo qui a inspiré pleinement-
    bonne renaissance à Léna, c’est beau !! bravo
    je vais poursuivre mes visites-
    bonne journée-

    Répondre
  15. camoccupe says:

    Que de retard dans mes lectures de textes ! Cette photo nous a tous plus ou moins guidés, comme le fil d’Ariane, sur le chemin des souvenirs, de la nostalgie, de la vie cyclique qui continue encore et encore !

    Répondre

Laisser un commentaire