A la Folie Théâtre se joue jusqu’au 4 mars 2017 une pièce marquée par une sensualité non feinte : le journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau. P’tits Molières de la meilleure comédienne 1er rôle 2015 …
Si je ne suis pas ce qu’on appelle jolie, je suis mieux ; sans fatuité, je puis dire que j’ai du montant, un chic que bien des femmes du monde et bien des cocottes m’ont souvent envié. Un peu grande, peut-être, mais souple, mince et bien faite… de très beaux cheveux blonds, de très beaux yeux bleu foncé, excitants et polissons, une bouche audacieuse… enfin une manière d’être originale et un tour d’esprit, très vif et langoureux, à la fois, qui plaît aux hommes. J’aurais pu réussir. Mais, outre que j’ai manqué par ma faute des occasions « épatantes » et qui ne se retrouveront probablement plus, j’ai eu peur…
Notre Célestine est bien mystérieuse, jeune et jolie soubrette, elle raconte, seule en scène, ses joies et déboires avec ses différentes patrons. Se tisse petit à petit un tableau mordant et décapant des relations entre les serviteurs et leurs maîtres. Une parole qui donne à voir les dessous des employeurs, leurs petits travers, certaines de leurs perversions, mais aussi d’autres dessous …
Le texte d’Olivier Mirbeau du début du XXè siècle n’a guère pris une ride. Un style enlevé et efficace, presque cinématographique, que le metteur en scène a choisi de garder. Le spectateur voyage avec Célestine, de petits patrons en employeurs plus huppés, il suit la petite vie de cette soubrette. Forcément, la jolie jeune femme est convoitée. Par les maîtres le plus souvent. Et Célestine n’est pas en reste, elle aime jouer de façon ambiguë sur sa situation, sa candeur, mais aussi son incandescence piètrement contenue …
Enfin — et ceci est plus grave — je n’ai pas la moindre défense contre les hommes… Je serais la constante victime de mon désintéressement et de leur plaisir… Je suis trop amoureuse, oui, j’aime trop l’amour, pour tirer un profit quelconque de l’amour… C’est plus fort que moi, je ne puis pas demander d’argent à qui me donne du bonheur et m’entr’ouvre les rayonnantes portes de l’Extase… Quand ils me parlent, ces monstres-là… et que je sens sur ma nuque le piquant de leur barbe et la chaleur de leur haleine… va te promener !… je ne suis plus qu’une chiffe… et c’est eux, au contraire, qui ont de moi tout ce qu’ils veulent…
Le décor et les jeux de lumières sont pour ainsi dire inexistants : une seule valise qui contient quelques bottines, livres et autres objets, une lumière unique, assez crue, reflétant l’authenticité du témoignage de la bonne. Mais cela suffit amplement ! Parfois nul besoin d’accessoires pour emplir l’espace. Ici, Karine Ventalon joue bien entendu Célestine, mais aussi les autres voix avec un mimétisme vraiment bluffant. Son corps est son meilleur instrument. Sans fard ni pudeur elle mime le plaisir, le désir, l’acte, voire même l’orgasme. Le tout à un mètre des spectateurs médusés. Elle remplit alors la scène de sa présence, tandis que sa voix entonne de façon fluide, enjouée, sarcastique et parfois lyrique les différentes strates de son existence. Un don total envers son public qui ne peut qu’être très ému en retour …
Qu’est-ce que j’ai aimé cette pièce : un texte d’une modernité étourdissante, une comédienne bien campée dans son rôle, d’une belle et douce sauvagerie … Superbe incarnation vivante de cette femme de chambre qui est un bel hymne à la femme désirée et désirable. Bravo !
Jusqu’au 4 mars 2017, vendredi et samedi à 19h30
A la folie théâtre
20 €