Me mirer encore une fois dans le fleuve : écriture n°253

© Julien Ribot

Chaque jour, depuis ma retraite anticipée, je me force à faire des exercices. Sortir, me promener, regarder le monde, puis rentrer. Jadis, j’ai parcouru le globe en long, en large et en travers, j’ai roulé ma bosse et ma plume sur chacun des continents. Un inconnu que la foule reconnaissait.

Mais aujourd’hui, ma source s’est tarie. J’ai beau m’asseoir chaque après-midi face au Rhin, papier et crayon à la main, l’onde si lasse m’emporte sans que rien ne me vienne. Je suis un vieux Werther qui souffre de l’alogie de ses mots. Le monde pourtant n’a guère changé, les reflets d’argent que j’aimais tant, la grâce du cygne et de ses plumes étincelantes, tout semble venir à moi et me dire : écris. Mais rien ne vient, et mon stylo se heurte à dessiner des encéphalogrammes plats aux croches syncopées. Il n’est que le miroir de mes illusions perdues face à cette étrange comédie humaine. Je jette des miettes de pain aux canards, très vite chassés par ce terrible cygne blanc, lui et moi nous  nous regardons alors du même oeil vitreux.
Je crois que c’est mon seul ami.

Qu’il revienne ce temps où ma sirène m’entraînait dans ses sillons, entortillait sa queue autour de mes membres, et me susurrait des mots dans une langue étrange et familière à la fois !  Que je puisse encore entendre le chant de ma belle nixe aux yeux de pierres et d’argent !

Ce soir, un homme s’est noyé dans le Rhin. Il flottait telle Ophélie, un sourire aux lèvres, sa tête heurtait en rythme un des piliers du pont de Bacharach, et d’après la légende, ses yeux brillaient du même éclat que ceux de sa Loreley retrouvée.

Alexandra K le dimanche 12 février, aux aurores

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Le texte de Bénédicte :

Un chagrin qui noit/ses larmes au fil de l’eau/reste un secret

 Depuis un moment, assis sur la berge dans la lumière du jour finissant, un homme, la tête dans les mains, pleure. Personne ne s’est arrêté pour voir ce qui n’allait pas. Seul un cygne va et vient devant lui, l’observant d’un oeil attentif….

   Arrivé doucement au bout de ses larmes, l’homme essuya ses yeux et poussa un gros soupir d’enfant. Il ne put s’empêcher de sourire en regardant le seul témoin de son chagrin. Tout proche, le col penché dans sa direction, celui-ci semblait attendre quelque chose. Et c’est comme ça que ce monsieur, par ailleurs mature, équilibré et plutôt sérieux d’habitude, se retrouva en train de parler à l’oiseau…

  » Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te rejoindre !…Mais je te remercie de ta compagnie, elle m’a fait du bien je t’assure. J’avais juste besoin de pleurer un bon coup. Mais ce seront les dernières larmes sur le sujet, je ne veux pas qu’elle se fasse plus de souci que nécessaire. Bien sûr tu n’es pas au courant toi. Voilà : ses examens sanguins sont revenus positifs et ce n’est pas une bonne chose. Il existe un traitement à prendre tous les jours sans jamais s’arrêter. S’il agit, le pronostic est bon et son espérance de vie restera la même que sans la maladie. Mais s’il n’est pas efficace alors là …..Et ça vois-tu je n’arrive même pas à l’imaginer. Rien que de t’en parler j’en ai encore la gorge serrée. Ce serait comme passer de la couleur au noir et blanc le reste de mes jours. Je l’aime tant. Qu’est-ce que je deviendrai sans elle ? Je n’en reviens toujours pas qu’elle m’ait choisi. Cela fait quarante ans qu’elle met de la joie dans ma vie….Je te remercie de m’avoir écouté, je rentre à la maison, l’heure des larmes est passée, il y a encore du bonheur à vivre devant nous…. »

    Au même moment, dans un appartement confortable et lumineux, une femme répare devant sa glace les traces d’un gros chagrin. Il va revenir et il ne faut pas qu’il voit qu’elle a pleuré. Voir qu’elle a peur et qu’elle se sent fragile lui ferait trop de mal. Après tout il est fort possible que les médicaments soient efficaces et s’intègrent dans leur vie de la même façon que ses pilules à lui pour l’hypertension. Pas question de perdre un temps précieux en anticipant le pire. Vivre au présent et ne rien changer si possible…

    Un dernier coup d’oeil au miroir, un peu de parfum, quelques bougies, Mozart, et déjà elle entend le bruit de la porte d’entrée. Dans le baiser qu’ils échangent, dans cette étreinte, on trouve une compréhension totale de l’autre, de son ressenti, et le désir profond de ne pas gaspiller une minute en vains regrets. Le verre sera pour toujours à moitié plein car il n’est pas envisageable pour eux de le voir à moitié vide ….

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Le texte de Nady :

Hey Mec !

Tu fais quoi là, la tête basse, assis par terre avec ton baluchon à côté de toi et accroché à ton téléphone ?

Ta nana t’a largué et t’as plus de toit pour crécher ?

ROooo, toi t’as pas flairé le bon plan ! Tout le monde n’a pas la chance d’être marié à un ou une élue parlementaire !

Et puis, t’as fait quoi aussi pour mériter ça ?

Ben rien justement ? Voilà où ça mène de passer ses journées à glander devant la télé !

T’essaie d’appeler un ami pour la nuit mais tout le monde semble aux abonnés absents ?

T’as pas de quoi te payer une chambre d’hôtel pour ce soir ?

On n’est qu’en début de mois et t’as déjà bouffé tout ton RSA en jeux vidéos et cigarettes ?

Tu ne risques pas de pécho avec ta dégaine ! Aucune gonzesse voudrait baiser avec toi si t’as pas le sous !

Tu la kiffes pas la life en ce moment ?

Bon, encore heureux, t’en es pas à te jeter d’un pont dans la Seine,

Tu te contentes juste de t’asseoir à côté d’elle…

Non, mais sans déconner Mec, tu fais quoi là ? T’appelle qui ? C’est pourtant les horaires où tu devrais taffer !

Bon ok, ça fait 4 ans que t’attends « le job de tes rêves » comme tu dis !

Ben, si tu veux que je t’annonce un secret ! Il t’arrivera pas sur un plateau d’argent celui là !

Ah ouais ? Plus que 3 mois à tirer et t’y crois fort à ton revenu universel qui va arriver ?

Rêve pas trop mec ! C’est pas encore gagné !

QUOI ? Parle plus fort je ne t’entends pas !

Y a plus de boulot pour toi car les étrangers ont tout pris et plus de toit aussi car on les a donnés aux migrants ? Tais toi là s’il te plait ! Arrête d’écouter les conneries à la télé ! Vas y toi dans leurs pays en guerre pour y bosser ! A part te faire sauter le ciboulot, c’est tout ce que t’auras gagné ! T’as pas honte de penser de telles insanités ?

QUOI ENCORE ?

T’as pas envie de bosser pour un patron qui s’en mettra plein les fouilles ?

Ben lève toi Môssieur l’Insoumis ! Allez ! Bouge tes fesses ! Montre nous tes talents si t’es le plus intelligent ! Ouvre ta boîte ! Eclate toi dedans ! Gagne le ton fric avec tes belles idées mais bouge toi bordel ! Agis ! Mets toi En Marche Mec ! Je m’en fous si tu décides d’aller ni à droite, ni à gauche, tant que tu restes dans le droit chemin ! N’oublie juste pas une chose : ta liberté s’arrêtera là où celle des autres commencera !

Quoiiiii encooooooore ? Non en fait, arrête ! t’en as déjà assez dit !

Bon allez, je vais t’aider mais je ne te tendrai la main qu’une fois, à condition que tu fasses la moitié du chemin ! Ne compte pas sur moi pour te donner ce que j’ai acquis à la sueur de mon front et te libérer de tes lests ! Je vais juste t’aider à les positionner pour que tu puisses en jeter certains et mieux porter les autres ! Après, ça sera à toi de jouer Mec mais ici t’es dans la cour des Grands et des Méchants, alors profite bien de ce moment pour capter le maximum d’énergie positive !

Allez, relève la tête Mec ! Regarde autour de toi ! Ouvre tes yeux… pas ceux qui te montrent une fausse réalité à travers le virtuel, non, ouvre ceux de ton cœur !

T’as pas l’impression d’être entouré d’un lac bleu azur avec ses vagues légères qui viennent s’échouer à tes pieds ? Lâche ton portable et écoute la nature… Fais taire dans ta tête les bruits de la ville au-dessus… imagine toi ailleurs… le lac prend l’étendue d’un océan où tu serais là, seul au monde devant tant d ‘immensité.

Inspire,

Expire,

Lâche prise.

Tu te retrouves là, maître de Ton destin, acteur de Ta propre vie et assumant tous tes choix !

Respire encore, inspire à nouveau…

Tu te vois devenir le changement que tu veux voir autour de toi…

Ouvre bien les yeux de ton enfant intérieur,

Regarde sur ta droite : un cygne s’approche de ta personne pour tenter de te parler… Concentre toi, chasse les mauvaise idées qui viendraient importuner ton esprit… Ecoute le, c’est un signe du destin que la Vie a envie de t’offrir… Saisis ta chance ! Tu l’entends son message ? Il ne peut être qu’apaisant et constructif, venant d’une aussi belle beauté… Non, ne me dis rien… Garde le pour toi ce message, c’est à toi qu’il est adressé et seul toi pourra le mettre en application car il s’agit de Toi et de Ta vie !

Rassure moi… ou pas… T’as déjà entendu la musique de Tchaikovsky ? une mélancolie confrontée au désespoir qui se métamorphose en une joie intense et imprévue… mais avant l’arrivée du bonheur, il va falloir te bouger, relever tes manches et te mettre à bosser !  Prêt ?

Respire un bon coup, propage ce doux instant au plus profond de toi ; tu pourras ainsi retrouver cette « image/objet » à chaque fois que tu en ressentiras le besoin et ça t’aidera à avancer… Reviens tout doucement ici et maintenant…

J’ose espérer après ces minutes d’évasion que ton esprit aura emmagasiné un peu d’ondes constructives pour un Demain plus dynamique et actif ! C’est tout le Bien que je te souhaite !

Allez, zou ! Action maintenant !

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Le texte de Birdy Joe

LE SIGNE DU SIGNE

Je mettais égarée sur le chemin et me retrouvais là, au bord de ce fleuve dont les flots agités par le vent semblaient me parler à voie basse de la vie qui s’agitait en haut et dont j’entendais le bruit fracassant des voitures énervées, des brides de conversations sans saveur et quelques rires parfois. Je restais là, posée à me demander la suite à donner à cette histoire, qui a vrai dire, avait pris un tournent auquel je n’étais pas préparée, mais qu’il me fallait affronter de toutes mes forces pour de pas sombrer dans les eaux profondes qui m’attiraient comme le chant des sirènes. Oublier tout ce parcours chaotique qui, je m’en rendais compte, m’avais épuisée .Trouver la force en moi pour vaincre cette solitude et continuer cette nouvelle route qui s’ouvrait désormais à moi. J étais dans mes pensées sombres qui viennent et reviennent souvent au plus profond de moi et m’invitent au néant à l’abandon. J’étais donc seule avec ces mauvaises idées et un signe, le Signe cet animal majestueux, semblant avoir compris s’est approché de moi comme pour me consoler et me tenir compagnie il est resté à mes côtés, le temps que tout se passe, attendant que je retrouve l’espoir de continuer cette histoire, mon histoire et remonter là haut à la vie au soleil aux rires. Je me suis levée et fait un signe à ce Signe qui m’a regardé m’éloigner puis s’en est allé, rassuré, porté par les eaux apaisées.

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Le texte de Manue :

Rien dans cette ville ne lui rappelait ses ancêtres. Il n’entendait plus leur musique et ne voyait plus leurs visages dans le sable rouge. Seule l’eau de ce fleuve chantait à ses oreilles, mais c’était un murmure, un tout petit rien du tout de vie …

Une semaine s’était écoulée depuis qu’il avait eu sa vision. Tôt le matin, offrant ses rituels aux dieux et aux éléments, il avait soudainement été ébloui. Tombé brutalement face contre terre et il ne se souvenait de presque rien … un aigle qui planait lentement, son cri qui perçait ses tympans, le soleil qui brûlait son dos, la poussière irritant ses yeux, … et cette voix, qui lui parlait.

Il n’avait pas eu le choix, il avait essayé de rester mais ils étaient tous contre lui. La pluie était tombée drue, trois jours durant, en plein désert. Sa femme refusait de le toucher et il devait dormir seul. Les mères n’avaient plus de lait, les fourmis rouges devenaient de plus en plus agressives et les cactus perdaient leurs piquants. Quand l’eau a commencé à devenir torrent et les vautours à rôder de plus en plus près de la réserve, il sut qu’il devait partir.

Et affronter la civilisation, le monstrueux 4×4 d’abord, puis les voies rapides, les immenses buildings, l’aéroport grouillant de monde et l’avion … Des jours entiers sans prières, sans sa terre rouge, sans le cuir de sa tunique et les chants des plus anciens, les histoires des vieilles femmes. Coupé de son monde, c’était un être hagard qui avait finalement réussi à trouver le fleuve après son interminable voyage de l’autre côté de l’océan.

Il ne ressemblait plus à rien, il avait coupé ses cheveux et couvert ses membres de vêtements serrés. Ses pieds ne touchaient plus le sol, pris dans d’immondes chaussures, ses orteils ne sentaient plus les pulsations de la planète et, petit à petit, il devenait un autre, un homme comme tout le monde, un individu sans âme … plus personne ne l’habitait, plus rien ne résonnait en lui. Il tombait dans un gouffre. Que faisait-il là déjà ? Pourquoi se sentait-il si mal ? Il n’était plus qu’un creux.

Et puis au fond de son silence, il entendit l’écoulement de l’eau. La nature se souvenait pour lui. Elle lui reparlait enfin. L’aigle était loin mais l’oiseau approchait, majestueux et curieux. Tout lui revint alors. Son malaise. La voix qui résonnait en lui. Sa prière, son injonction plutôt. Il devait partir et se couper de tout. Il devait se perdre pour mieux se retrouver. Il devait ramener une plume de l’ancien monde pour devenir un sage, un chef, ou du moins son ébauche, il avait tant de chemin à parcourir encore … Cela devait être une offrande et pas un acte de sauvagerie. Le don d’un être rare. Le cygne était de cette race, amical, mystérieux, la réincarnation d’un esprit supérieur.

Ils se regardèrent longtemps et quand l’animal commença à partir, l’homme, enfin apaisé, découvrit dans son sillage une seule et belle plume, petit morceau de sagesse millénaire laissée au fil de l’eau, offerte à qui sait la saisir. Lui saurait quoi en faire. Elle rejoindrait les autres et toutes le guideraient pour devenir meilleur.

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Le texte d’Adèle :

Fais-moi cygne

Je le voyais assis là, jambes pendantes sur le quai, au bord de ce lac Léman dont je lui avais cent fois décrit la beauté paisible. Les eaux froides s’animaient en mille vaguelettes, le cygne passait et repassait, animal imbécile, indifférent à son chagrin d’homme blessé. Oreille collée au portable, l’homme n’entendait rien, le clapotis du lac contre les pierres était assourdi par la cruauté de mes mots.

Je devinais le voile épais de la tristesse, tombé sur ses yeux sourds d’aveugle, et qui l’empêchait d’admirer les hautes montagnes, blanchies par l’hiver. Triste décor de pierre d’un mauvais film, drame sentimental de seconde zone, dont il était devenu le héros en entrant sur mes terres.

Il avait voulu me faire la surprise de sa venue, et c’était une déconvenue. Il avait pourtant apporté son sac et sa bonne humeur, sa veste matelassée et son cœur en bandoulière.

Son amour, si rouge, si chaud, si palpitant, raidi par la surprise, je l’imaginais se figer et s’arrêter de battre, pris dans la fine banquise du chagrin qui s’installe, tétanisé de douleur.

Le  cœur cigale, il n’avait pas senti la bise fraiche des lacs de mes yeux monter vers ses cheveux, dorés par le soleil de l’estive. L’automne était venu, voilà tout. Est-ce à la Terre d’expliquer ses saisons ?

Je m’étais lassée de sa gentillesse, de ses émerveillements  agaçants, de sa prévenance pesante. C’était un troubadour et je rêvais d’un chevalier. Il me récitait de doux poèmes, quand j’attendais des combats glorieux, il me caressait de ses mains délicates quand je rêvais d’étreintes audacieuses.

Je parlais dans mon portable, accroupie derrière le muret, dans l’escalier au-dessus du quai, et j’assénais les coups sans pitié. Puisqu’il ne voulait pas comprendre, il s’agissait d’être féroce et sans pitié.

« Fallait pas venir, nous deux c’est fini. Pauv’cloche, même pas en vrai. Tu t’es fait un film tout seul. Oui, c’est ça, raccroche, et bon vent.»

Je le vis se lever, passer son sac sur l’épaule et partir en direction de la ville. L’esprit enfin libéré, je remontai l’escalier, portable bien rangé au fond de ma poche.

C’est le bruit qui me fit me retourner.

Dans l’eau glacée, le cygne stupide glissait avec majesté, indifférent au rond parfait qui s’élargissait à côté de lui.

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Le texte de Ludo :

Ça fait quelques jours maintenant, peut-être une semaine. Chaque jour un peu plus près… Au début on s’observait de loin lui et moi, sans un mot, si ce ne sont ceux que l’on échange avec les yeux.

Et justement, ça parait idiot de dire ça, mais j’ai eu le sentiment de voir, de lire dans son regard de la tristesse.
Chaque jour depuis ce premier, nous nous sommes approchés l’un de l’autre, un peu plus proche. Mais toujours sans un mot, juste un regard et la même tristesse à l’intérieur…
Petit à petit, on s’est apprivoisé, comme le renard dans cette histoire que lisait autrefois, à voix haute une maîtresse d’école. Elle s’entraînait, cherchant le ton juste et l’assurance qu’elle adopterait plus tard devant ses élèves, ne sachant pas que cachés dans un petit coin avec les copains, nous l’écoutions religieusement, rêvant qu’elle soit notre maîtresse.
Justement, les copains me mettaient en garde.
« Méfie toi, s’il s’approche, recule, c’est une espèce qui peut être agressive! Ils ont cette réputation! Fais gaffe! »
Mais de jour en jour, l’attrait du premier regard s’est confirmé, chaque fois un peu plus… et chaque fois cette sensation idiote de lire de la tristesse dans ses yeux…
Et puis, ce matin, il a passé une main dans mon cou, a lissé les plumes de mon aile. Une larme a roulé sur sa joue.
« T’as pas de problème toi, t’as de la chance d’être rien qu’un cygne! Encore que, on doit pas te rendre la vie facile, nous les hommes… on est si con parfois! »
Il a lancé un bout de pain dur qu’il gardait dans sa poche, s’est levé, a ramassé son sac et est parti sans se retourner. J’ai battu des ailes pour lui dire au revoir.
Mais maintenant qu’on est apprivoisé, je sais qu’il reviendra demain…

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Le texte de Valérie :

Le soleil est là ce matin. Il scintille de mille feux sur la Seine. J’en prends plein mes mirettes. Mes plumes apprécient grandement la chaleur de ses rayons. Cela promet une belle journée. Les badauds viendront marcher sur les quais, les marmots se feront un plaisir de m’appeler et de me lancer sans cesse du pain ou d’autres victuailles. Je leur ferai mon numéro du cygne majestueux, m’éloignant et revenant à leurs rappels. Je m’ébattrai à leur proximité dans l’espoir de les éclabousser et d’entendre leurs rires. Mais les festivités n’ont pas encore commencé, il est trop tôt. Sur le quai, il n’y a encore personne. Ah si. Un vieil homme qui semble se réveiller. Il a dû dormir là, sous le pont. Il plie ses couvertures et empile ses affaires dans un caddy. Il y en a toutes les nuits qui dorment là, mais ces derniers jours il faisait si froid que les services sociaux les ramassaient de force. Celui-ci a dû sentir la douceur arriver et leur a échappé. Le voilà qui se rapproche. Il se traîne. Il a laissé son caddy sous le pont et a juste pris un cabas qui semble peser des tonnes et qui contient sans doute tout ce qu’il lui reste. Comment en arrive-t-on là ?  Il doit bien avoir soixante-dix ans cet homme. Il a dû travailler, construire une famille, avoir des amis… Quel drame a-t ‘il bien pu traverser pour en arriver là, abandonné de tous? Est-il un monstre ou les Hommes sont-ils si mauvais ?
Il s’assoit difficilement sur le bord, tout courbaturé par l’âge et la dureté de sa vie. Il souffre. Mais ses douleurs mentales sont sans doute encore plus terribles que ses douleurs physiques. Il a les yeux dans le vague. Je ne suis même pas sûr qu’il m’ait vu. Il est dans sa bulle, sans doute un moyen de se protéger. Peut-être que pour oublier la misère qui est son quotidien, il s’invente un monde meilleur. Je m’approche du bord, m’éloigne. Aucune réaction. Je m’ébroue, je trompette. Il m’aperçoit enfin. Ses yeux me sourient timidement. J’incarne pour beaucoup de gens la beauté et je ne le laisse pas indifférent semble-t-il. Ses yeux se mettent à briller, ses lèvres se retroussent pour former un sourire discret. Le voilà, tel un enfant, qui m’appelle, me siffle doucement pour que je vienne à lui. Il fouille dans son sac et en sort un bout de pain rassis. Il m’en lance délicatement des petits bouts. Je siffle et bat des ailes, en retour, pour le remercier. Il s’amuse à me voir faire mon cirque et moi j’en rajoute des tonnes pour lui faire plaisir. Cet homme qui n’a plus rien et partage avec moi son maigre repas ne peut être un monstre. Il m’aurait jeté des cailloux sinon. Je suis heureux de lui avoir apporté un peu de chaleur et de douceur. Mais je me sens bien impuissant pour la suite. Comment l’aider davantage ? Je lui offre un bonheur éphémère mais finalement mis bout à bout ces petits bonheurs l’aideront peut-être à trouver la force de se battre, la force de vivre. Si tout le monde lui tend un peu la main ….Qui sait? On ne perd rien à essayer alors…

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Le texte de Jos :

 Fluctuat nec mergitur

C’est à toi que l’on doit

« Il tangue mais ne coule pas »

Cette belle devise

Que tout Paris maîtrise.

Tu sillonnes la ville

En la coupant en deux

Et les ponts qui t’habillent

Recueillent tous nos vœux.

Rive droite ou rive gauche,

Tu restes entre les deux,

Chez toi pas de débauche

Mais le plaisir des yeux.

Sur tes eaux on avance

A bord des bateaux mouches,

Explosion de nos sens,

Nul besoin de retouche !

Seul ou accompagné,

On aime se promener

Ou bien rester assis

Là, aux pieds de ton lit.

Mais parfois de colère,

Tu déclares la guerre

En inondant tes quais,

En nous rendant inquiets.

Peu importe ta rage,

Tu es le paysage,

La colonne vertébrale

De notre capitale.

Moi je sais que sans toi

Paris n’est pas Paris

Je sais que sans tes quais

La vie serait moins gaie.

Paris tu as ta reine,

Elle s’appelle la Seine,

Son eau coule dans tes veines,

Et fait sombrer ta peine.

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Les textes écrits à partir de la même photographie mais publiés sur d’autres blogs :

Leiloona
Épicurienne culturelle, je sillonne villes, pays et musées, toujours un livre dans mon tote bag ... Chaque lundi, je publie mes textes dans un atelier d'écriture basé sur une photographie que j'anime depuis 5 ans. Museo geek l'hiver, sirène l'été. J'aime les bulles, le bon vin et les fromages affinés. View all posts by Leiloona →

12 commentaires

  1. @Leiloona : Très beau texte au ton mélancolique.
    @Bénédicte : Après quelques mois d’absence (pour moi), j’ai retrouvé la douceur agréable de tes textes 🙂
    @Manue : Joli texte sur la recherche et le dépassement de soi. Le mien – qui aborde un tout autre sujet – se situe dans les contrées d’où ton protagoniste vient…
    @Adèle : Triste fin pour ce poète troubadour… J’aurais aimé le connaître, moi.
    @Ludo : Chouette perspective que de choisir celle du cygne qui se laisse apprivoiser.
    @Valérie : J’aime beaucoup ce cygne qui cherche, à sa manière, à rendre le monde des hommes un peu meilleur. Nos textes se rejoignent un peu, car cette photo aussi m’a fait pensé à la solitude d’un sans-abri.
    @Jos : Superbe poème en l’honneur de la reine de Paris !

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  2. Béné : Un tendresse certaine dans ton texte, c’est beau de les voir ainsi, avec toute la pudeur des sentiments retenus, même après 40 ans.
    Un texte en miroir, comme l’eau du fleuve.

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  3. Nady : Un texte punchy ! Yeah ! En revanche, tu crois que ton personnage pourra vraiment changer ? 😉 (comme un léger doute.) 😀

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  4. Birdy Joe ! Ah ben avec un tel pseudo (bienvenue) forcément la force du cygne est perceptible ! Joli symbole ! 😉

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  5. Manue : Ton texte est vraiment très très beau, mais j’ai eu du mal à le faire coller à la photo très terrienne pour moi, alors que ton texte se passerait plutôt ailleurs … Davantage un texte #scifi apologique quand je l’ai lu. 🙂

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  6. Adèle : Oh punaise, un texte dur … Quelle misère et tristesse.
    A mon avis, le poids de la culpabilité sera énorme pour la donzelle capricieuse, hum ? Bon … Poor troubadour. Non, vraiment, ton texte est terrible.

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  7. @Leilona : très belle description de la désolation de cet homme face à la page blanche, aux mots qui ne viennent plus. Malgré la douceur de tes mots, la chute (et pas que d’ailleurs) est assez violente. J’aime beaucoup.merci

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  8. Ludo : Hu hu jolie chute … Et marrant de voir comment tu renverses aussi la doxa qui veut que le cygne soit un animal dangereux ! 🙂
    (De la mélancolie aussi, dans le tien. Décidément …)
    Cela dit, y aurait pas une menace qui pèserait à la fin du texte ? #mammamia

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  9. @Bene : Quelle belle relation tu nous décris la et quelle leçon. En toutes situations garder l’espoir et voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. La force de leur amour les aidera à traverser cette épreuve comme tant d’autres en quarante ans de vie commune, j’imagine. Merci

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