Mme Kampf éclata subitement :
– Ça, par exemple, ça, c’est magnifique, cria-t-elle d’une voix enrouée de colère : cette gamine, cette morveuse, venir au bal, voyez-vous ça !… Attends un peu, je te ferai passer toutes ces idées de grandeur, ma fille… Ah ! Tu crois que tu entreras « dans le monde » l’année prochaine ? Qu’est-ce qui t’a mis ces idées-là dans la tête ? Apprends, ma petite, que je commence seulement à vivre, moi, tu entends !
Au théâtre Rive Gauche se joue Le Bal d’Irène Némirovsky, l’un des premiers livres de cette romancière morte à Auschwitz et redécouverte il y a quelques années avec Suite française.
Antoinette est une adolescente brimée par sa mère, une parvenue … Récemment arrivée dans le milieu de la bourgeoisie, cette femme n’a pas les codes (elle ne les aura jamais) et mène son petit monde à la baguette. Pour célébrer leur entrée dans ce nouveau monde, le couple Kampf organise un bal. Ils y inviteront toutes les connaissances récemment faites. Brillons, brillons … Antoinette, elle, est privée de Bal ! Quoi, la faire entrer dans le beau monde ? Et puis quoi encore, elle restera dans le cagibis ! La mère ne le sait pas encore, mais elle a tort de priver sa fille de cet événement, car la vengeance de la jeune fille sera terrible et d’un machiavélisme certain…
Très joli décor années 20 pour cette pièce portée par des personnages hauts en couleur. Un appartement cossu et bourgeois pour de pauvres bougres à la vulgarité palpable, un domestique qui possède plus les codes que leurs maîtres, une fillette proche de la crise de nerfs, et un professeur de musique sévère et avide de voir ces nouveaux riches tomber. Des ingrédients explosifs !
Le Bal est un roman initiatique dans lequel les masques tombent tous un à un. Monde entièrement fondé sur le paraître, il est tellement facile de faire valser les apparences ! Le jeu des comédiens oscille alors entre drôlerie et cruauté : voir le plan d’Antoinette se dérouler à merveille sous nos yeux est assez jouissif. Enfin, elle peut élever sa voix contre la tyrannie de sa mère. Mais jusqu’à quel point ne devient-elle pas comme elle si elle utilise les mêmes armes ? Telle est la question …
Aucun temps mort pour cette pièce. Une mention toute particulière pour madame Kampf et sa vulgarité, pour le domestique aux accents british, et pour le professeur de musique (aigrie et droite comme un I, mais qui n’hésite pas à entamer une danse endiablée à la Joséphine Baker). Sur scène, nous retrouvons le piquant du récit, toute sa verve aussi.
Ça couine ça grince, ça rit : cocasse, cruel et enlevé !
D’Irène NEMIROVSKY
Adaptation Virginie LEMOINE
Mise en scène Virginie LEMOINE et Marie CHEVALOT
Avec
Lucie BARRET
Brigitte FAURE
Serge NOEL
Françoise MIQUELIS
Pascal VANNSON
Du mardi au samedi à 19 h
33€
Tu me mets toujours l’eau à la bouche avec tes chroniques théâtre ! En plus, j’ai « Le bal » dans ma PAL…
Oh c’est gentil, ça ! 🙂
Merci ! 😀 (oui, lis-le, tu verras, c’est fichtrement bien ficelé !)
J’ai découvert l’auteur avec ce titre que je trouve excellent. Si la pièce passe par chez moi, j’irai la voir !