Le Magicien de Lublin, Isaac Singer

Leur rencontre avait été entourée de mystère. Il n’avait pas tout d’abord compris son nom. Il avait commencé par penser à elle, incapable de l’oublier. Ses pensées avaient suivi spontanément leur cours insensé. Inexplicablement il acquit la conviction qu’elle pensait tout autant à lui qu’il pensait à elle, qu’elle était de tout son être tendue vers lui, et qu’elle le désirait…

Le Magicien de Lublin est une belle oeuvre, une de celles qui, dès l’incipit, plonge le lecteur dans son univers. Le narrateur crée, là, en quelques paragraphes, une nouvelle réalité, il donne à voir et à sentir la Pologne du XIXè. Certains me diront, à juste titre, que c’est sans doute pour cette raison que Isaac Bashevis Singer a obtenu le prix Nobel de littérature en 1978. Ils auront raison … 

Yasha Mazur est un magicien qui sillonne la campagne polonaise : avaleur de sabre, funambule, et hypnotiseur il a aussi appris seul le polonais, le russe, la grammaire, l’arithmétique, la géographie, l’algèbre, l’histoire. Une tête bien pensante et intelligente. Rien ne lui résiste : ni les serrures ni les femmes.  Il est souvent sur les routes pour son métier et délaisse sa femme Esther avec laquelle il n’a pu avoir d’enfant pour Magda son assistante dévouée corps et âme à son maître, ou encore Zeftel. Toutefois, à quelques jours d’un nouveau spectacle, il tombe fou amoureux d’Emilia, une jeune veuve. Mais pour qu’elle se donne charnellement à lui, il devra se convertir au christianisme. Qu’importe finalement : être juif ou chrétien, cela ne doit pas être si différent que ça. Ensemble ils projettent aussi de partir en Italie où Halima, la fille malade d’Emilia, retrouvera une meilleure santé. Alors il lui faut trouver de l’argent … Comment s’y prendra-t-il ?

Vous l’aurez compris, Yasha est un womanizer. Il se donne à toutes ces femmes avec la même implication. Lorsqu’il fait des promesses à ses amoureuses, il est sincère à chaque fois. Cependant, à force de multiplier les déclarations, celui-ci s’emmêle et s’emberlificote lui-même. Comment les tenir ? Yasha souffre alors de ses manquements, et doute de lui car au fond il n’a rien d’un mauvais homme.

Naissent alors des réflexions sur la conduite d’une vie. Pourquoi la vie n’est-elle pas aussi simple qu’un spectacle ? Pourquoi les femmes ne se plient-elles pas telles des cartes de son jeu ? Où se situe la frontière entre le bien et le mal ? Un réel décalage commence alors entre cet homme sûr de lui sur scène et perdu dans sa vie privée. Où trouver des réponses à ses questions existentielles ? Dans la religion, les femmes, l’alcool ? Petit à petit le voici qui tombe de Charybde en Scylla …

Le magicien de Lublin est alors une quête vers un absolu, et un certain mysticisme. Le lecteur erre sur les routes avec Yasha, partage avec lui ses soirées dans les bas fonds polonais où l’alcool coule à flots, se questionne lui aussi sur ces « pourquoi ? » qui assaille cet homme alors qu’il est dans la quarantaine. Après de nombreuses tribulations, la fin apporte un nouvel éclairage sur  l’existence, les chemins croisés, le repli sur soi, ou encore la rédemption.

Portrait réaliste et truculent de l’âme humaine, le magicien de Lublin vous envoûtera assurément. Une lecture qui a sans nul doute une tout autre teinte lorsqu’on est un lecteur autour de la quarantaine …

Auteur Isaac Bashevis Singer
Editeur Stock
Date de parution septembre 2007
Collection La cosmopolite
EAN 978-2234060678
ISBN 2234060672
19 €
Sorti en poche chez Livre de Poche

A lire aussi, la chronique du Mexicain jaune  qui fait un parallèle entre ce roman et son contrepoint féminin Les 10 amours de Nishino.

 

Leiloona

Museo geek l’hiver, sirène l’été.
Je lis et j’écris durant les 4 saisons.
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8 commentaires

  1. J’ai lu beaucoup de livres (romans, nouvelles, conte) d’Isaac Bashevis Singer et on retrouve toujours des individus emberlificotés dans leur vie privée. Rien n’est simple chez Singer, ni l’amour, ni la religion, ni les femmes, ni les hommes.
    Bon dimanche!

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    1. Oui, il semblerait que des thèmes de prédilection reviennent chez lui … Je le relirai, mais pas tout de suite. Notamment son « Shosha ».

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  2. Depuis que j’ai visité Lublin qui est une très jolie ville, j’ai bien envie de découvrir ce livre mais je n’ai toujours pas trouvé le temps de le lire…

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    1. Ah je n’y suis jamais allée … Très proche de la frontière ukrainienne d’ailleurs … j’irai sans doute un jour.

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