Les histoires de Franz fait suite au superbe Abraham et fils paru l’an dernier, mais peut se lire sans connaissance du premier. Winckler y fait des allusions fréquentes qui permettent au lecteur de comprendre les liens entre les deux. (Cela dit, puisque ce premier « tome » est un régal de lecture et qu’il vient de sortir en poche chez folio, ce serait dommage de ne pas commencer par celui-ci.)
On retrouve donc la famille Farkas au cœur des années 70, dans un petit village de Beauce, et contrairement au premier opus qui contenait trois « longues » histoires suivies, ici on a une succession de chapitres qui mettent en scène la famille et les proches, le village et ses habitants, la France de Mai 68 et de la guerre d’Algérie.
La construction du roman est magnifique, les chapitres s’enchâssent les uns dans les autres, s’appellent, se répondent, font écho, laissent des portes ouvertes qui ne se referment qu’ailleurs, plus tard…
Les petites histoires sont nombreuses dans ce roman puzzle, avec en toile de fond la grande histoire, celle de France, le colonialisme, les valeurs de 68, et les conséquences de la guerre d’Algérie.
On est happé par la vie de ces gens simples. Franz, le fils amnésique arrivé en France après la mort de sa mère dans un attentat en Algérie, se débat ici avec l’adolescence, il découvre l’amitié, l’amour, les premiers flirts, les premières déceptions. Il lit de nouveaux auteurs, découvrent les Beatles et la pop culture au cours d’un voyage en Angleterre qui laissera des traces, le cinéma grâce à une équipe de profs qui tente une pédagogie nouvelle, il s’affirme, grandit, comprend mieux le monde qui l’entoure, avec le discernement et l’intelligence des autres qu’on lui avait découvert dans le premier roman : il vit les inégalités de cette société, conçoit la condition des femmes et la lutte qu’il sera nécessaire de mener, le militantisme… Il s’ouvre au monde et ce n’est pas toujours simple.
Tantôt narrateur, tantôt objet de la narration, on le suit à travers ses écrits personnels, dans son journal, ou fictifs dans les histoires qu’il invente, il se raconte, les autres le racontent dans des lettres (dont on comprend à la fin l’objectif !) qui sont autant de moments de vie de Franz, et notre perception s’ouvre à toute cette famille exceptionnelle, le père médecin qui lutte pour éviter les avortements clandestins, la mère qui œuvre clandestinement pour l’émancipation des jeunes filles, la sœur qui grandit, se révolte et s’épanouit, les amis qui partagent, les habitants du village, Opa et Franck, amis de la famille qu’on avait découvert dans le premier roman…
C’est donc ça, la force de ce roman et de l’écriture de Winckler, la profondeur de ses personnages, auxquels on s’attache, forcément, à travers les petites histoires simples. Les personnages sont le fondement du roman, ils ne servent pas l’histoire de Winckler, ils sont l’histoire. On a l’impression de feuilleter un album-photo de famille, chaque photo apportant une anecdote pour tisser au final l’adolescence de Franz et nous livrer un instantané de l’époque.
La narration est magistralement maîtrisée, (mais ce n’est pas une surprise de la part de Winckler !) et on se régale, on lit les 500 pages sans s’en apercevoir et à la fin, on piétine d’impatience en découvrant que Franz et les Farkas reviendront dans un troisième roman à paraître.
Un livre à découvrir, encore une fois, en commençant peut-être par le précédent, pour ce qu’il nous dit de l’époque et pour la puissance de ces personnages, et aussi parce qu’en tant que lecteur, c’est gratifiant de lire un livre comme celui-ci, on se laisse porter par la narration, en sachant très bien qu’à la fin lorsque le puzzle sera reconstitué, on fermera le livre avec un sourire aux lèvres et une bonne dose d’optimisme et d’envie !
Alors ne boudons rien !
Editeur : P.O.L (17 août 2017)
21€90
ISBN-13: 978-2818042960
Rentrée littéraire 2017
Eh bien, je ne sais pas ce qui me fait le plus envie : le fait que le roman soit construit comme un puzzle ou ce que tu dis du traitement des personnages ! En tout cas, une chronique qui donne envie ! Et si en plus le roman est foncièrement optimiste, alors je dis banco ! Le choeur des femmes me tente bien d’ailleurs, tu me le conseilles ?
Merci pour cette chronique ! 🙂
Ah je ne sais si le roman est optimiste mais suivre cette famille bienveillante et aimante donne foi en l’humain et de l’optimisme!:) je n’ai pas lu le chœur des femmes, mais j’en ai entendu beaucoup de bien, Winckler sait parler (ou écrire plutot) aux femmes apparement! Il est dispo en poche en plus, je finirai surement par le lire et assumer ma part de féminité!:) merci pour la place sur ton blog, c’est un plaisir!
J’étais dans le même état d’esprit que toi lorsque j’ai refermé « Les histoires de Franz »
Tu me donnes envie de lire en urgence le premier et de me précipiter sur celui-ci.
malgré tes mots je ne suis pas sûre d’avoir envie de revenir sur cette époque… peut-être à cause des désillusions qu’elle m’a causée !
La période est une toile de fond, mais pas l’essentiel du propos, mais je peux comprendre.
Jamais lu Winckler. Un tort sans doute.
Abraham et fils en poche? C’est l’occasion!
J’avais beaucoup aimé Abraham et fils. Heureuse qu’il y ait une suite donc.
Si tu as aimé, tu peux aller vers celui ci les yeux fermés!