Aujourd’hui, nous partons sur les mêmes règles qu’hier. Je vous écris le début du texte et chacun, à tour de rôle, le poursuit dans les commentaires. Ainsi, vous écrirez la suite du commentaire précédent. Le but n’est pas d’écrire chacun un long texte, mais bien quelques lignes, un paragraphe tout au plus, puis de donner la main au prochain participant. Vous pouvez participer autant de fois que vous le souhaitez.
Pour garder l’esprit de cet atelier « une photo, quelques mots », j’ajoute une photo. A la fin de la journée, nous aurons écrit un seul et même texte, inspiré de la photo et qui commencera par ces mots :
Je vois clairement son avenir. Toute sa vie durant il exécutera une centaine de préparations d’une exactitude extraordinaire, écrira un grand nombre d’analyses sèches, excellentes, fera une dizaine de traductions consciencieuses, mais n’inventera pas la poudre. Pour inventer la poudre il faut de l’imagination, de l’invention, de l’intuition …
Il faut avoir l’esprit dégagé pour de l’inventivité. Lui, il était engoncé dans un quotidien qui le submergeait. Il avait la chance de ne pas avoir connu de guerre, certes! Mais, c’était devenu autrement plus difficile par moment. Il ne savait plus toucher, palper, caresser…
C’était comme s’il en avait perdu le sens. Il voyait ses mains manipuler mais ses doigts étaient insensibles, ne reconnaissaient plus la matière. Il trouvait cela étrange car son cerveau compensait en lui donnant l’illusion du contact sur sa peau et la sensation disparaissait dès qu’il fermait les yeux.
Il avait été prévenu des effets secondaires de ce virus.
Il était condamné à tout tenter pour créer cette poudre s’il ne voulait pas être avalé par ce qui le grignotait lentement.
Tout se passait comme si il avait perdu quelque chose d’essentiel au court du chemin. A l’approche de la cinquantaine, Nicolas se rendait bien compte que ses extraordinaires prédispositions pour le travail scientifique avaient été bridées par son manque flagrant de fantaisie. Son esprit cartésien avait été à la fois son plus grand atout et son plus grand défaut. Même dans ses relations avec les femmes, il semblait incapable de faire montre de la moindre imagination. Ainsi…
Il lui fallait ranger sa documentation pour ranger en même temps sa tête
et ainsi la libérer pour autre chose.
Mais comment faire avec ce compte à rebours dans la tête. Comment se vider la tête ? Une seule solution sortir pour rompre le fin de ses pensées parasites.
Pour rompre le fil de ses pensées parasites
Il l’eut cette crise de la cinquantaine. A force de se poser des questions, un jour, en se réveillant, il se sentit bien seul mais rien de grave en soi. Autour, un champ verdoyant, comme si la nature le narguait. Ce n’était pas les jardins de Versailles bien taillés mais beaucoup de désordre broussailleux. Et devant lui comme un barrage qui l’empêchait d’avancer.
Il y a un problème dans la programmation. J’avais ordonné que Gilles Langlois soit programmé comme exécutant, un excellent exécutant, mais uniquement un exécutant. Or je le vois quitter la cité pour erre dans une nature qu’il ne connaît pas. Le risque est grand de voir naître en lui une sensibilité et une imagination qui deviendrait incontrôlables.
Sortir … Ah ! Sortir ! …. Alors juste une heure, juste autour de chez lui … même le temps devait être compté … Nicolas se dirigea vers son bureau et commença à remplir l’autorisation de sortie, tâche qu’il détestait par dessus tout, pour ce goût amer qu’elle inscrivait dans ses viscères,
Sortir oui. Sortir avec sa tête puisque sortir dehors lui était interdit ! Alors, il s’assit et essaya, essaya encore Il fallait se projeter dans ses collines vertes qu’il aimait tant et que promis il reverrait! L’herbe devait sentir la fraîcheur du matin. Le soleil passait les arbres et chauffait son front …
Il prit sa pipe, la bourra, ni trop, ni trop peu, puis en tira quelques volutes. L’air se chargea d’une douceur inédite, il partait déjà dans des rêveries sommaires et sans âme quand le carillon retentit. Qui cela pouvait-il bien être ? A travers la fenêtre, il entraperçut une pelisse grise. Gilles revenait déjà !
Quelle surprise, je ne t’attendais pas ! Cette dernière nuit, une idée m’a traversé. Les champignons renferment énormément d’oligo éléments, je suis donc parti ce matin en faire la cueillette…
Quelle imprudence mon ami !
Sais tu au moins distinguer les comestibles des vénéneux ?
Gilles ne répondit pas . On avait même la curieuse impression qu’il ricanait sous sa pelisse.
Mais il n’avait pas plu depuis quelques jours et il fallait connaître ces coins où poussent les champignons pour avoir fait de longues marches et les avoir repérés. Malgré la campagne foisonnante, l’herbe verdoyante, il n’en voyait pas trace et cette aridité le renvoyait à sa propre stérilité. A force d’être en apparence parfaitement équilibré, il lui manquait ces accès de folie dionysiaque qui l’auraient hissé vers une créativité salutaire. Sortir de soi plus que sortir dans la campagne, là était son salut. Mais il se sentait gastéropode, confiné dans sa coquille, apeuré, osant tout juste risquer de sortir ses antennes.
D’une main, Gilles tenait une poignée de champignons, tandis que l’autre restait délicatement refermée sur elle-même. Dans le creux de ses phalanges recroquevillées, un espoir, un magnifique espoir. Un papillon. Une minuscule vie en voie de disparition. Le bras se tendit, la main s’ouvrit et les ailes s’envolèrent. Dans la maison parfumée de tabac, l’espoir papillonnait. L’espoir dont la nature se gorge sans relâche, inspirant l’homme et la science, à condition de croire en l’impossible.
Mais,foin de poésie, il fallait se mettre au travail, sérieusement. Nicolas s’ébroua, ouvrit la fenêtre avec plus de violence qu’il ne l’aurait souhaité, puis, se tournant d’un même gest vers Gilles s’exclama sèchement :
« avant de te remettre au travail, goute au moins mes champignons, ils sont trop mortels ! ».
Hélas, la Nature le prit au pied de la lettre et Gilles, tomba, foudroyé, après avoir croqué un seul de ses champignons empoisonné.
Nicolas se retourna, abasourdi.
Qu’allait-il faire du corps ?
Les yeux de Nicolas roulaient dans leur orbite , comme des billes.
Peut-être pourrait-il vendre la pelisse au marché noir, voire même tirer un bon prix de l’âme morte de son ami ? Mais Nicolas se rappela qu’il était un personnage de Tchekhov et non de Gogol.
De dépit, il s’assit.
Tatiana entendit ses pleurs et entra dans la pièce.
Il en fît tomber sa pipe de stupéfaction. Action-réaction : il s’empressa de regagner son laboratoire. Éminent Professeur, prix Nobel de chimie appliquée en 1998, il continuait à travailler sans relâche sur l’élaboration d’un élixir de vie…
Son esprit cartésien, fit germer une idée,
Qui dit élixir de vie dit souffle, énergie, esprit…mais pas que…
« Un souffle, une énergie, un esprit… Je suis Le Créateur ! J’ai détruit la vie de NicolaÏ (Que Dieu le bénisse), certes, mais je le ferai revenir. Il sera alors plus docile, plus soumis. Mon élixir de vie créera enfin des existences telles que je les auraient programmées ». Il se resservi un morceau de Vatrouchka que Tatiana lui avait préparé. « Mille troïkas ! Il est encore raté !… ».
Elle n’était vraiment pas douée en cuisine et plus spécialement en pâtisserie!! quelle recette avait elle suivie? celle de sa grand mère, de source sûre ou celle de marmiton, au fromage blanc genre tarte.. la vraie ressemblait davantage à ,une brioche; Il lui en ferait.. gentiment la remarque la prochaine fois, mais..saurait il être gentil??
La vertu du Vatrouchka, même raté, lui redonna de l’énergie. Tatiana n’avait pas ménagé sa peine pour s’atteler à la réalisation de son gateau favori. Il devait le reconnaître et apprécier les efforts de sa cuisinière en herbe. Après tout, que faisait-il lui pour lui être agréable. A part s’isoler dans son antre, la pipe au bec, regarder les papillons voler, oui bien sur, Monsieur avait des préoccupations de savant : modeler et repenser l’humanité dans son intégralité…
Dépuis quelques temps déjà Tatiana étai t inquiète. Rien n’avait grâce aux yeux de ce mari de plus en plus intransigeant et colérique. Elle s’en était d’ailleurs ouverte à sa meilleure amie Svletana qui l’avait écoutée d’une oreille distraite.
En y repensant elle se souvint même d’un détail qui la troubla.
Elle avait vu Nicolaï entrer dans le bureau de son mari mais elle ne l’avait pas vu en ressortir… Était-elle occupée à ce moment-là à sortir le gâteau du four ? Tatiana réfléchissait.
Son mari était venu goûter le gâteau mais à aucun moment il ne lui avait parlé de Nicolaï. Elle était inquiète…
Tout en vidant d’un trait son verre de vodka pour faire passer le goût du vatrouchka, NicolaÏ maugréa « Par Saint Wladimir ! Cloud s’est encore trompé : ce n’est pas moi qui suis mort empoisonné, mais Gilles… On n’y comprends plus rien ». Puis il repris de sa superbe et décida de mettre au point un plan pour à la fois tirer partie des âmes humaines et protéger Tatiana, sa fille.
Tatiana qu’il chérissait plus que tout au monde. A sa naissance, il avait émis quelques doutes sur sa paternité et puis, elle avait grandi, il avait fait taire ses doutes pour aimer cette jeune fille devenue femme. Elle paraissait un peu perturbée ces derniers temps. Il devrait interroger Svetlana, sa meilleure amie. Ses idées n’étaient plus très claires en cette fin d’après-midi. Il avait dû trier les champignons pour ne garder que les vénéneux pour son vaste plan. Le vatrouchka continuait à lui peser sur l’estomac. Sur ces entrefaites, il attrapa la bouteille de vodka pour s’éclaircir les idées…
Un verre, deux verres, trois verres, bientôt il n’arriva plus à se souvenir de quand il avait commencé, seul le niveau de la bouteille, en chute vertigineuse aurait pu lui donner un indice mais c’était trop tard. Son esprit divagua…. Il faut donc à peine surpris lorsqu’il vit deux trolls des bois rentrer chez lui et découper le crâne de son ami afin d’en extraire la quintessence de sa cervelle !
– Tatiana ! Tatiana ! hurla-t-il en se signant trois fois. Par la barbe d’Odinanévitch Kostaropoulitch, que ces trolls soient damnés ! Apporte-moi vite ma paille des grands jours, afin que je suçote moi aussi l’élixir sacré de cette cervelle ! Ta vatrouchka me reste sur l’estomac !
Il fut étonné de découvrir qu’elle était succulente, bien meilleure que tout ce qu’il avait goûté jusque là. Au diable la vodka, le jus de cervelle était nettement supérieur et déjà s’échafaudait dans son esprit un terrible plan pour récupérer davantage de cette substance et la commercialiser.
Il se voyait déjà à la tête d’une entreprise à la mesure, que dis-je, à la démesure de ses ambitions. Plus question de dormir, ses nuits étaient consacrées à l’élaboration de plans plus crapuleux les uns que les autres. La cervelle en grande quantité, bon sang, où se la procurer ?
Il ouvrirait les yeux sur ce quotidien cadencé, programmé, distillé telle une succession de petits points prévisibles. il ne sortirait pas de ce cadre pourtant sans bordure. Le bout de son regard se poserait sur ses mains domptees à la même danse…tracant une écriture fine et régulière sans sortir de ces lignes bleues. Pourtant au bout de la page oui juste en haut ou en bas assez d espace pour s échapper et même sur le côté la marge celle qui lui permettrait de revenir..ou de repartir. Cet espace qu il suffisait de regarder pour découvrir un ailleurs et peut être tourner la page pour investir demain avec ou sans poudre.