Il y a toujours cela, un jour et une heure où les choses basculent et alors on ne peut plus faire comme si ça n’avait pas eu lieu. Ce n’est peut-être qu’un grain de plus qui tombe dans le sablier, mais enfin c’est le grain de trop, après quoi plus rien n’est pareil, tout s’écroule ou se succède, les événements tombent les uns sur les autres comme les vers d’un poème.
Il est des romans étranges, au titre presque rebutant. Un article, une loi. Quelle drôle d’idée ! Et pourtant, contre toute attente, le livre sort du lot. Autour de moi, ceux qui le lisent ne sont qu’éloge une fois le livre terminé. Puis viennent les sélections des prix littéraires, on y retrouve souvent cet article 353 que personne (sauf les juges ou avocats …) ne connaissait auparavant. Finalement on se dit que c’est chouette. Puisqu’un titre aussi festif qu’une déclaration d’impôts peut par la force du bouche à oreilles faire un joli bout de chemin.
Autopsie d’un meurtre
Cela aurait pu être un roman policier, sauf qu’il est construit à l’envers. On connaît le coupable, puisqu’il est chez le juge : le criminel est le narrateur de cette sombre histoire. Cet homme est ce qu’on appelle un coeur simple qui aurait été cher à Flaubert. Ici le personnage ne s’appelle pas Félicité, mais Martial Kermeur. C’est un homme courageux et d’une grande bonté. Un homme candide comme le montre son récit de vie qu’il déplie petit à petit comme un origami.
C’est l’histoire d’un meurtrier qui n’aurait jamais dû l’être. Un homme qui tend son coeur aux autres, leur fait confiance, leur fait des confidences, pour son plus grand malheur. Face à lui, un mastodonte : Antoine Lazenec. Un homme bien sous tout rapport. Du moins le pense-t-il. Il en impose, roule des mécaniques, ne semble jamais vaincu … Martial se plaît en sa compagnie.
Article 353 est avant tout le récit des solitudes des âmes qui se rencontrent. Il y a une faille chez Martial que cet autre va taillader. Encore une histoire d’argent, de tromperie, de félonie … Martial s’englue, par orgueil, ferme les yeux, mais sa blessure est béante. La narration est alors implacable : chaque écrou en amène à un autre, puis un autre, et encore un. Jusqu’à ce que le crime arrive. Comment ne pas penser alors à ces figures zoliennes ? Elles aussi se battent jusqu’au bout, en espérant se relever un jour.
Et puis en filigrane, la figure d’Erwan, le fils de Martial. Cet enfant innocent de 7 ans qui suit de son regard le parcours de son père. Des forces s’affrontent ici sur la place du père, sur son importance dans l’éducation d’un enfant. Le petit d’homme grandit alors trop vite et possède déjà cette maturité de certains résilients. Mais l’est-il vraiment ?
Et vous, père en forme de rocher absent, ce n’est pas la peine d’essayer de mentir, ce n’est pas la peine de dire « si bien-sûr, j’écoute » parce qu’il sait, n’importe quel enfant sait parfaitement si on n’écoute pas, si on refait à l’infini je ne sais pas quelle boucle dans son esprit, comme une vitre devant les yeux qui vous sépare du monde et alors, à mesure que votre pensée à l’air de vous emmurer, votre enfant, vous ne le savez pas encore, vous l’abandonnez sur place.
Un fils, il ne peut pas voir cela, votre faiblesse. Un fils, il n’est pas programmé pour avoir pitié de vous.
Destins trahis, destins tronqués, ces personnages sont à l’image tempétueuse de cette région côtière. Malmenés, ils marchent de guingois. Toutefois, à l’instar des fables de la Fontaine qui parsèment ce roman, Article 353 possède lui aussi une morale, une lumière, une humanité sous-jacente. Roman social sur fond noir de polar, voici un récit sur la complexité de l’âme humaine, sur ses tréfonds, mais aussi sa candeur. Ni yin ni yang ici, chaque personnage navigue en eaux troubles, se dépatouillant comme il peut. Puis après tout, le meurtrier n’est pas toujours celui qu’on croit.
Auteur Tanguy Viel
Editeur Minuit
Date de parution 03/01/2017
Collection Romans
EAN 978-2707343079
ISBN 2707343072
14 € 50
En lice pour le 40è Prix Relay :
Grand prix RTL-Lire 2017
Prix du Public du Salon du livre de Genève 2017
Excellent roman oui ! Tanguy Viel est devenu, pour moi, un auteur à ne pas rater.
Je continuerai ma découverte avec un poche oui ! 🙂
J’en parlerai demain… je l’ai trouvé très bon, mais je suis tout de même loin d’être aussi enthousiaste que tout le monde ^^
A mi parcours du roman, je n’étais pas aussi enthousiaste. Après, je trouve que la narration est montée crescendo, ce n’était plus la peinture d’un misérable. Je crois que le développement de la figure du fils a largement contribué à cette montée du coup de coeur, du « sel ».
Oulala il a l’air bien! Tu m’as donné envie de le découvrir.
Il l’est oui ! Plonges-y ! 🙂
bien vendu ! sans ton article celui du titre n’aurait eu aucune chance avec moi, merci
Un article de blog qui donne envie de lire un autre article ! Ha ha, mise en abyme !
Tant mieux, sinon. Belle lecture. 🙂
Comme de nombreux lecteurs, j’ai beaucoup aimé ce roman.
Oui, je n’ai pas vu de billets négatifs encore …
Tu en parles très bien
Merci ! 🙂
Il me tente de plus en plus, même si, comme tu le dis, c’est un drôle de titre.
C’est le seul que j’ai lu parmi la sélection du Prix Relay. Un grand et beau roman, le meilleur de cet auteur
Acheté au salon du livre. Je suis certain qu’il va me plaire, vu ce que tu en dis.