Sa vie avait été tout entière de solitude, une longue attente. Sur les mers, comme en ce moment, fumant sa pipe, seul parmi les vents et les lueurs de feu follet, une étroite couchette. Aucun jour n’était celui de l’escale définitive, sur un quai où l’attendrait une famille, l’épouse rongée de remords, les enfants impatients des cadeaux rapportés des terres exotiques et lointaines. En aucun port il n’avait jamais eu de maison à lui, il posait sa tête fatiguée sur les traversins mercenaires de maisons closes, reposait son coeur ardent sur le sein de femmes inconnues, il était seul au monde, seul avec son navire. Seul avec ses voyages.
Il est des romans qui nous font voyager. Par leur histoire sur différentes mers, par leur langue savoureuse, déliée et aux arabesques ensorceleuses, par leur protagoniste haut en couleurs. Le vieux marin de Jorge Amado nous embarque dès les premières pages pour ne nous relâcher qu’au tout dernier point. Et encore, le voyage continue sans doute en esprit, dans nos rêves, comme aime le rappeler le narrateur.
Tout commence dans le quartier de Periperi à Salvador de Bahia. Y arrive un jour un commandant Vasco Moscoso de Aragao. Ce vieil homme aspire à des jours tranquilles : fumer la pipe et raconter ses histoires de marin. Très vite, ses talents de conteur ravissent les villageois, suspendus à la fumée bleue et aux lèvres de Vasco. Les soirées se teintent de magie et de merveilles : Periperi n’a jamais connu aussi bel aède. Oui, mais voilà, ce succès rend jaloux. Surtout Chico Pacheco qui ne cesse de clamer que le commandant est un usurpateur et un menteur. Quid de la vérité ?
Jorge Amado est un fin roublard. Alléchant le lecteur par une histoire d’usurpation, il détourne la narration de sa quête première. Au fil des pages, il ne s’agit plus de connaître bassement la vérité, mais bien de découvrir les péripéties de ce vieux marin attachant. A l’image de la vie, la vraie, pas celle où s’étale la morne monotonie, le narrateur donne à voir tour à tour tendresse, malice et pied de nez au destin. Voilà un homme qui a vécu, pourra se dire le lecteur en fermant le livre.
A lire pour se rappeler la force de la fiction. Un livre ensorcelant qui démontre une fois de plus le pouvoir de la littérature : faire de nous des rêveurs libres et libérés.
C’était l’amour, un amour sans pareil, incommensurable et absurde, qui s’était emparé de lui, le rendant fou, dès le moment où il l’avait prise dans ses bras et avait goûté la saveur de sa bouche. Mais il était le commandant, jamais dans sa carrière, ses quarante ans de navigation, la plus petite tache ne l’avait souillé, et il ne pouvait pas, il ne pouvait pas… C’est ce qu’il lui dit, les yeux humides, lui qui n’avait jamais pleuré de sa vie.
Intéressant, je note
Il est en poche chez j’ai lu. Le roman est sorti en 1961. 🙂
Un roman sorti en 1961 mais toujours aussi fort, alors.
Ben heureusement ! Un bon bouquin passe les siècles.
On verra au siècle prochain, alors 😉